🎙️Interview – Ignacio de Orbe (entraĂ®neur U18 Granada CF) : «La formation ne doit pas ĂŞtre quelque chose que l’on dit, mais quelque chose de rĂ©ellement visible sur le terrain»

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Ignacio de Orbe est entraĂ®neur du Juvenil B du Granada CF. PassionnĂ© de tactique, il a Ă©galement Ă©crit un livre sur Antonio Conte. Pour ¡FuriaLiga!, nous nous sommes entretenus avec lui afin d’approfondir son travail au Granada CF, sa mĂ©thodologie d’entraĂ®nement et ses inspirations. 

Ignacio de Orbe, pouvez-vous nous expliquer votre parcours au sein de l’académie du Granada CF ?

Je suis entré à l’académie en février 2021 suite à une restructuration des équipes de football à 11. Le club cherchait un entraîneur pour le Cadete B [U15]. A cause du Covid, le Cadete B avait fait peu de matchs de championnat et il en restait beaucoup à jouer. Le directeur du centre de formation, Luis Fradua, m’a contacté. A la fin de la saison, ils ont décidé que je continuais et je suis allé avec le Juvenil B [U18 première année]. Ça ne fait pas très longtemps que je suis au club mais je suis très content et c’est un très bon endroit pour travailler.

Décrivez-nous une journée type de votre travail au Granada CF durant une semaine de compétition.

Pendant la matinée, le staff technique se réunit au centre de formation pour définir la semaine avec l’analyse du rival et l’analyse de notre équipe. Nous parlons avec le préparateur physique afin d’ajuster les charges selon les minutes jouées par les jeunes. Le mardi, nous introduisons des éléments que nous voulons voir le week-end mais nous priorisons notre modèle de jeu. Concernant l’analyse de l’adversaire, elle nous sert à approfondir certains éléments sur des situations que nous allons retrouver le week-end. Nous ne perdons jamais de vue notre modèle de jeu mais nous faisons des ajustements en fonction de l’adversaire. Je pense que c’est aussi quelque chose qui aide les joueurs dans leur formation de footballeur. Les jours les plus conséquents sont le mercredi et le jeudi. Le vendredi, c’est plutôt un jour d’activation, de travail de vitesse, de coordination, d’exercices ludiques pour la cohésion de groupe, et de coups de pieds arrêtés auxquels nous donnons de l’importance.

Avec le Juvenil B, vous êtes quatrièmes au classement : quels sont les objectifs marqués par le club et par votre staff technique pour l’équipe ?

Les objectifs du club sont très clairs et ceux de notre staff technique coïncident pas mal avec ceux du club, pour ne pas dire complètement. Le classement final en championnat doit être la conséquence de ce que nous travaillons durant la saison, mais le club accorde de l’importance à une progression forte du groupe de joueurs et que la grande majorité de nos joueurs puissent jouer l’année d’après avec le Juvenil A [U18 deuxième année]. Nous sommes une équipe très jeune avec des premières années et c’est quelque chose que nous ressentons chaque week-end. Parfois c’est compliqué par rapport aux jeunes qui viennent de plusieurs saisons où ils ont eu des résultats très bons. Maintenant, chaque match est une guerre différente pour eux. Il faut les motiver à aller de l’avant parce que certains faisaient la différence sur les catégories inférieures et ne la font plus autant. Ça ressemble davantage à la vraie réalité du football. Donc l’objectif du club est celui-là, qu’ils progressent en minimisant leurs faiblesses et en potentialisant leurs forces.

Comme staff technique, personnellement j’ai toujours pensĂ© que le travail d’un entraĂ®neur sur ces catĂ©gories doit ĂŞtre de prioriser les performances du joueur. La formation ne doit pas ĂŞtre quelque chose que l’on dit, mais quelque chose de rĂ©ellement visible sur le terrain. Nous devons y voir une Ă©volution de chaque joueur qui le rapproche de son objectif : le football professionnel.

D’un côté, vous avez l’objectif de former et continuer le processus d’apprentissage et, de l’autre, vous vous trouvez dans une catégorie et un championnat dans lesquels le résultat a plus de poids, comment orientez-vous votre discours face aux joueurs en fonction de ces deux éléments ?

Cette question est très bonne parce qu’en tant qu’entraîneurs, nous avons le dilemme que le résultat est ce qui valorise notre travail. Mais heureusement la direction de l’académie est assez claire avec nous. L’accent n’est pas trop mis sur le classement, même si nous souhaitons que les équipes du Granada CF soient le plus haut possible dans toutes les catégories. L’académie nous demande surtout que n’importe quel joueur du club puisse avoir un parcours fiable au fil des équipes. Il y a énormément de détails à améliorer sur chaque joueur que nous avons et ces détails s’améliorent chaque semaine en individualisant beaucoup l’entraînement.

C’est quelque chose que les jeunes ont de la peine à comprendre. En tant qu’entraîneur tu peux être conscient qu’un joueur progresse beaucoup parce que l’équipe progresse beaucoup, mais les joueurs voient le classement. Si l’année passée ils étaient premiers ou deuxièmes, et cette année ils sont sixièmes, ils se disent que quelque chose ne va pas. Alors le discours que nous utilisons doit être très réfléchi pour qu’ils n’interprètent pas mal ce que nous voulons et qu’ils soient conscients que l’analyse ne doit pas se réaliser en fonction du résultat mais en fonction de où nous étions et où sommes nous. C’est très compliqué à cet âge parce qu’il y a beaucoup de choses à gérer. Il y a des jeunes qui jouent plus ou moins. Dans les catégories en dessous, le temps de jeu de chaque joueur est très étendu. C’est ce qui est requis pour que le travail de la semaine ait de la continuité en compétition. Dans notre catégorie, c’est compliqué de voir que certains s’entraînent très bien mais n’entrent pas dans le onze titulaire le week-end. Ils te demandent ce qu’ils doivent faire en plus ou corriger pour entrer dans le onze. En tant que staff technique, le discours que nous avons c’est qu’ils doivent comprendre que le sport d’élite, le football concrètement, c’est ça. Il y a des coéquipiers avec un très bon niveau, l’équipe a trouvé une stabilité, il y a des dynamiques… Ce qui a suffi jusqu’ici ne suffit plus, il en faut un peu plus. Mais à cet âge c’est toujours complexe.

Concernant ces joueurs qui entrent moins dans le onze que ce soit par niveau ou par concurrence, comment faites-vous pour que ces joueurs restent connectés au groupe, à l’équipe et ses objectifs ?

Avec le Juvenil B, nous avons eu seulement deux arrivées de l’extérieur. C’est proche de ce que nous prétendons en tant que club : former les jeunes et arriver dans des catégories exigeantes avec la sensation que l’équipe formée pendant plusieurs saisons est prête pour performer. Ce qui nous arrive, c’est que certaines zones et positions ont une concurrence énorme. Des joueurs qui s’entraînent vraiment très bien n’ont pas les minutes qu’ils aimeraient. C’est difficile à gérer, notamment les facteurs externes de son entourage comme les agents, les familles et autres qui appellent, posent des questions et cherchent des solutions. Cet aspect est géré par la direction du centre de formation. Mais d’un point de vue uniquement sportif, c’est complexe d’expliquer à un joueur qui s’entraîne bien, qui comprend les concepts que nous proposons, qui est capable d’amener sur le terrain ce que nous cherchons, pourquoi il n’entre pas dans le onze. Quand ce sont des situations qui se répètent, c’est difficile à gérer. Cette année, nous avons donné l’opportunité à tous et une fois qu’ils ont tous eu une opportunité, nous regardons en détail nos besoins pour les matchs selon nos objectifs et les caractéristiques de l’adversaire. Mais je suis content du groupe de cette année. Ce sont des jeunes très nobles. C’est le groupe le plus noble que j’ai entraîné, ils se sentent tous coéquipiers, ils sont tous confiance en les autres, tout le monde est en soutien quand quelqu’un va mal. C’est quelque chose de rare dans le football de formation et dans le football professionnel. En tous cas, la gestion de ces situations est le plus difficile à ces âges-là. Ça a un poids vraiment important dans les performances de l’équipe.

« Au sein des exercices, nous voyons les stimulus comme différents selon ce que nécessite chaque joueur »

Vous êtes arrivé au Granada CF l’année passée. Quand vous arrivez en tant qu’entraîneur vous avez un bagage d’expériences et d’apprentissages, mais aussi de méthodologies et d’idées. Cependant, aujourd’hui chaque club professionnel espagnol a un département de méthodologie assez poussé. Quelle marge de manœuvre avez-vous quant à vos idées et méthodes par rapport à celles du club ? Avez-vous dû adapter ou renoncer à certaines idées ?

J’entraîne depuis pas mal d’années. Certaines choses que je faisais il y a 10 ans quand j’ai commencé à entraîner, maintenant je les remettrais en question. Au fil des années, j’ai eu une curiosité pour progresser et apprendre de différents entraîneurs ou professeurs. A la Faculté de Sciences du Sport à Grenade j’ai eu Luis Fradua qui est le directeur de l’académie depuis 5 ans. Pour moi, ça a été quelqu’un d’important à l’université en me faisant réaliser que nous pouvions approfondir beaucoup plus les thèmes de l’entraînement sportif. Mes idées ressemblent assez à celles du club et à celle que Luis met en place depuis plusieurs saisons. Je ne pense pas que le travail que je faisais dans d’autres clubs et le travail que je fais maintenant soit très différent, concernant la manière de gérer le groupe et d’animer les séances… même si je sens une progression personnelle. Mais je ne considère pas que j’ai dû renoncer à quoi que ce soit de méthodologique ou dans d’autres détails. Je ne suis pas très extrémiste en tant qu’entraîneur. Ce qui peut me servir à moi, à d’autres ça ne leur servira pas. Il n’existe pas de vérité absolue en football. Chacun a ses objectifs au final. Les miens c’est qu’un maximum de mes joueurs joue dans la meilleure catégorie Juvenil l’année prochaine, et pas de gagner le championnat. Et si nous gagnons le championnat comme conséquence de la progression tant mieux, mais je n’y pense pas du tout. Au Granada CF, chaque entraîneur peut amener ses adaptations au sein d’un cadre commun et je pense que c’est enrichissant pour les joueurs aussi.

Juvenil B Granada CF 2021-2022 (Crédits: Granada CF)

En continuant sur la méthodologie d’entraînement, nous considérons que la variabilité et la progression des exercices sont fondamentales pour rester dans une zone de « risque » où le joueur continue à être stimulé et confronté à de nouvelles situations. Mais nous parlons moins des différences entre joueurs, les joueurs ne répondent pas toujours de la même façon aux exercices et aux concepts. Un joueur peut pratiquer trois fois un exercice avant d’en maîtriser les problèmes, alors qu’un autre les comprend et résout en deux minutes et nécessiterait une progression. Comment trouvez-vous l’équilibre entre continuer sur un certain niveau de difficulté dans l’exercice et amener des variations pour que les stimulus changent, en prenant en compte la diversité de compétences et de compréhension des concepts ?

Nous ne pouvons pas exiger la même chose pour tous les joueurs, ni dans chaque exercice, ni dans chaque aspect du jeu. Si en tant qu’entraîneur tu traites tout le monde de la même façon, et tu penses que si tu réussis telle chose tu vas progresser, tu te trompes. Certains joueurs sont plus limités sur un aspect mais nous devons potentialiser leurs forces. Certains joueurs ont besoin que tu passes un moment avec eux et que tu leur expliques ce que tu veux, comment tu le veux et où tu le veux. Au sein des exercices, nous voyons les stimulus comme différents selon ce que nécessite chaque joueur. C’est quelque chose de très compliqué à mettre en place évidemment, mais comme notre objectif est d’exploiter leur potentiel individuel, nous leur disons ce que nous attendons de chacun. Ça peut être en rapport avec leur position, mais peut être que nous ne demandons pas la même chose à l’ailier droit qu’à l’ailier gauche. Parfois, il y a certains joueurs à qui nous ne pouvons pas expliquer beaucoup et il faut plutôt leur créer un contexte où ils pourront exprimer le talent inné qu’ils ont. Ce type de joueur, si tu le prends à part et tu lui expliques ce qu’il doit faire, il n’est plus concerné. Nous devons peut-être développer quelque chose avec le reste pour arriver à ce que nous voulons avec ce joueur-là, sans lui avoir expliqué. Mais il faut connaître le groupe et que le groupe se connaisse.

Après c’est vrai qu’il y a des détails qui sont propres à chaque footballeur. Par exemple, nous proposons un exercice de notre modèle de jeu où nous voulons sortir le ballon par derrière, progresser en contrôlant le ballon et aller en camp adverse, et là nous avons un défenseur central avec une passe longue distance excellente qu’il a travaillé pendant plusieurs années. Et moi, en tant qu’entraîneur, même si j’aime sortir depuis derrière, je ne peux pas priver ce défenseur de recevoir et mettre une passe longue de 70 mètres en diagonale sur l’ailier qui fait une course de rupture. Je ne vais pas lui dire : « Écoute, ce n’est pas ce que je veux dans cet exercice » parce que je suis en train de le limiter. Par contre, je dois lui faire comprendre que cette passe doit être bien faite, que l’intention doit être bonne. S’il fait la même passe face à un bloc médian-bas et que nous n’avons pas une capacité d’attaquer l’espace ou une supériorité au moment de la retombée, il doit interpréter qu’il ne doit pas faire cette diagonale, même s’il sait bien l’exécuter. Il devra peut-être attirer pour créer ces espaces. Mais effectivement, c’est complexe parce que certains auront détecté les situations très vite et d’autres qui sont un peu bloqués. Après, s’ils sont bloqués, c’est aussi ton problème en tant qu’entraîneur si tu es en train de lui exiger quelque chose qu’il n’a pas ou qu’il n’est pas encore apte à faire.

Pour la méthodologie, nous aimons travailler sur deux ou trois moments du jeu avec une continuité. Par exemple, nous mettons deux ballons. Quand l’action se finit nous mettons un autre ballon en cherchant des mouvements préparatoires chez nos deux attaquants ou certains appels. L’action termine d’un côté avec une sortie et nous donnons le ballon aux attaquants adverses pour qu’ils soient déjà bien orientés et séparés de leur marquage pour jouer rapidement en transition. Ou alors nous avons différents endroits pour commencer l’exercice, depuis les gardiens, depuis le milieu de terrain ou autre pour que l’équipe doive se replier. Nous ne voulons pas que les exercices deviennent routiniers. Si je sais que c’est toujours le gardien qui relance, à chaque fois que le ballon sort je me relâche un peu. Nous voulons que ce ne soit pas clair pour le joueur où sera la prochaine situation, dans quelle zone se trouvera le ballon. Nous varions beaucoup selon ce que nous voulons réussir.

Historiquement, l’Andalousie est la région la plus représentée en Primera et Segunda. C’est une région avec énormément de talents, mais maintenant la concurrence pour capter le talent va au-delà de la région. Les grands clubs ont des scouts partout. Comment essayez-vous de vous démarquer et faire en sorte que les talents viennent et restent au Granada CF face à la forte concurrence andalouse et même nationale ?

Depuis plusieurs années, les footballeurs qui viennent d’en dehors de la Province de Grenade au Granada C.F viennent parce qu’ils ont quelque chose que nous n’avons pas réussi à créer ou que nous ne voyons pas chez nous. Si nous avons des joueurs dans la province ou dans le club qui ont un profil similaire, ça ne sert à rien de prendre à l’extérieur. Le travail de scouting dans nos équipes est important pour faire des différences avec le talent de la province et le talent de l’extérieur. La concurrence sur cet aspect est extrêmement haute, que ce soit des clubs de la région andalouse ou d’autres régions espagnoles avec lesquels je crois que nous ne pouvons pas entrer en compétition. Le bon travail qui se réalise à l’académie du Granada C.F se voit sur le fait que beaucoup d’équipes sont intéressés par nos joueurs et que certains sont partis vers des clubs avec lesquels nous ne pouvons pas entrer en compétition pour des raisons économiques, comme le Real Madrid ou le FC Barcelone. Notre travail de scouting consiste aussi à garantir la stabilité de nos équipes et atténuer la fuite des talents qui arrive inévitablement. Indépendamment des joueurs qui partent ou arrivent, les équipes de l’académie performent, des joueurs arrivent dans notre équipe réserve et petit à petit arrivent en première équipe. C’est une réussite.

« Conte me paraît être un entraîneur brillant tactiquement et un connaisseur absolu du jeu de position »

Vous avez Ă©crit un livre sur Antonio Conte [Antonio Conte – La Estructura], quelle influence a l’entraĂ®neur italien sur vos idĂ©es et votre manière d’entraĂ®ner ?

C’est un référent très important pour moi. En tant que joueur je ne m’y intéressais pas beaucoup, mais quand il a commencé à entraîner j’y ai prêté plus d’attention. Ce qui m’a intéressé, c’est ce qu’il réussit à faire avec les équipes qu’il entraîne. Il obtient des performances élevées indépendamment du club ou du championnat. A partir de là, j’ai commencé à l’étudier, à approfondir ses idées. Mais ce n’était pas simple parce qu’il n’y avait pas de livre ou de matériel sur lequel approfondir, donc c’est plutôt en regardant des matchs, en lisant des interviews en italien, en regardant des conférences de presse. Ce qui m’a frappé c’est le niveau d’exigence qu’il a avec son staff technique et avec chaque footballeur. Dans des clubs avec un niveau aussi grand et qui viennent parfois de dynamiques compliquées, quelqu’un capable d’obtenir toujours des performances aussi bonnes, ça me provoque beaucoup de curiosité.

Malheureusement, je n’ai jamais pu assister à une séance d’entraînement et voir quels feedbacks il donne, quelles ressources il utilise, quel discours il a. Mais en approfondissant, je vois qu’il prend soin des détails, qu’il donne de l’importance à avoir certains automatismes dans ses équipes. Nous parlons de la liberté qu’il faut donner au footballeur, la prise de décision et autres, mais souvent le footballeur te demande ce qu’il doit faire et où il doit le faire. L’amener d’une manière si bien faite dans des équipes où chaque personne est un monde à part entière, ça me semble impressionnant. Donc il a une influence très grande sur moi, surtout sur les détails, le professionnalisme, le niveau d’exigence, la mentalité face aux défis… J’ai pris énormément de plaisir à écrire le livre par rapport à ce que j’ai appris sur une référence du monde de football.

Vous parlez des contextes variés auxquels s’adapte Antonio Conte, la preuve c’est que cet été les médias en parlait pour des clubs très différents, notamment pour le Real Madrid et le FC Barcelone. Vous qui avez approfondi la figure de Conte, dans quel club espagnol vous le verriez bien ?

Une des choses qui me plaisent le plus chez Conte, c’est qu’il ferait gagner le championnat à n’importe quel club qu’il prendrait en Espagne. Son prestige et sa mentalité font que je le verrais dans deux ou trois clubs, en incluant l’Atlético de Madrid, qui pourraient lui donner ce qu’il veut. Mais je pense qu’engager Conte, c’est lui donner les clés du club et ça je ne sais pas quel club espagnol serait prêt à le faire. C’est le seul doute que j’ai par rapport à Conte en Espagne. Par rapport à la manière de jouer et ses idées de jeu ce ne serait pas un problème pour des clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone. En allant au-delà de l’opinion générale, Conte me paraît être un entraîneur brillant tactiquement et un connaisseur absolu du jeu de position. Nous identifions souvent le jeu de position à Guardiola ou d’autres entraîneurs qui s’en réclament, mais si nous analysons les équipes de Conte le jeu de position est maîtrisé à un niveau très haut avec beaucoup d’efficacité. L’opinion générale dirait qu’il est extrémiste avec les trois centraux, que c’est un entraîneur italien très défensif, mais je pense que ce n’est pas du tout le cas. Mais comme je vous disais, il ferait gagner la Liga au club qu’il prendrait. Après par rapport à la culture, il correspond peut-être plus au Real Madrid.

Au FC Barcelone l’entourage et le contexte du club sont quand même complexes par rapport à la méthodologie et les idées. Au Real Madrid, tant que tu gagnes, tu vas être aimé et avoir un certain crédit. A l’Atlético de Madrid, Diego Simeone a quand même un poids énorme sur le club. Ces éléments font quand même la différence.

Au FC Barcelone, si un entraîneur doit maîtriser certains aspects du modèle de jeu et les idées qu’ils proposent, je pense que c’est quelque chose que Conte maîtrise. Ça ne poserait aucun problème. Mais ce qu’il se passe c’est qu’au FC Barcelone ce n’est pas suffisant de gagner, tu dois gagner d’une certaine manière. Conte serait capable de gagner de cette manière ? Oui. Après, par rapport à l’histoire du Real Madrid et ce type qui a une mentalité de gagnant à cent pour cent, ce serait un choix qui fonctionnerait. En plus, le Real Madrid a une matière première que peu d’autres clubs ont. Il s’y insérerait parfaitement parce qu’il gagnerait bien, mais surtout il gagnerait. Et c’est ce qu’exige le madridismo.

 

Diego Martinez (à gauche) et Ignacio de Orbe (à droite) avec le livre sur Antonio Conte. (Crédits: Ignacio de Orbe)

Au-delà de Conte, que vous a apporté personnellement le processus d’écrire un livre sur la tactique et le football ?

Honnêtement je ne pensais pas écrire un livre. C’est tombé sur une année avec la pandémie et je n’entraînais pas d’équipe cette saison. En tant qu’entraîneur, je m’exigeais de progresser sur certains aspects et à partir de là j’ai approfondi la figure de Conte. Vu que j’avais accumulé du matériel d’analyse sur lui, je me suis lancé sur l’écriture. Ça m’a apporté des conversations avec des personnes comme Bruno Alemany et Alberto Egea ou d’autres entraîneurs par rapport au livre. C’était très enrichissant. Sinon, le fait d’écrire un livre qui peut être publié et lu, ça force à expliquer correctement quelque chose qui n’est pas de toi. C’est de Conte. Si je dis « Conte fait ça et ça » et à un moment quelqu’un dit à Conte « Regarde ce que dit ce mec sur toi », je me dirais mais qui je suis pour dire ça. Alors, écrire sur la tactique et le jeu en me basant sur l’idée d’un entraîneur selon mes interprétations, c’est enrichissant parce je dois reconsidérer les analyses plusieurs fois. Je peux dire qu’il réalise de telle manière les sorties de balle et peut être que lui n’y prétend pas. Donc je dois exposer ces analyses aux gens par rapport à ce que moi j’interprète sans savoir réellement ce qu’il travaille et entraîne. Je vois ses équipes le week-end mais je ne suis pas présent sur les séances. J’analyse des séquences se répétant avec différentes équipes et différents joueurs qui me font comprendre en tant qu’entraîneur qu’avec beaucoup de travail je peux y arriver. Ensuite, il y a le fait d’approfondir le jeu et l’écrire qui m’a aidé à l’expliquer, ça m’a fait beaucoup progresser d’expliquer l’idée d’un entraîneur d’élite.

Pour terminer, pouvez-vous nous donner quelques références qui vous ont marqué dans votre parcours ? Des livres, des films, des interviews, des individus… Pas forcément du monde du football.

Les rĂ©fĂ©rences du monde du football sont Ă©videntes pour moi, ce sont les personnes qui m’ont le plus aidĂ©. Nacho Ruiz et JosĂ© Gomez, coordinateur et directeur de clubs oĂą j’ai entraĂ®nĂ© qui ont eu confiance en moi. Et Luis Fradua. A l’UniversitĂ© c’est un professeur qui m’a beaucoup marquĂ©, et ensuite il est entrĂ© en contact avec moi pour entrer au Granada C.F. Je lui suis reconnaissant pour la capacitĂ© qu’il a pour te considĂ©rer en tant qu’entraĂ®neur et de t’aider Ă  t’amĂ©liorer. Avoir une personne aussi expĂ©rimentĂ©e – passĂ©e par l’Athletic Club, RDC Espanyol, Real Betis – comme directeur de l’acadĂ©mie, c’est un plus.

Ensuite il y a mes parents. Ils m’ont beaucoup aidé par rapport au fait d’être entraîneur, mais ils m’ont aussi ramené les pieds sur terre. J’ai toujours été passionné de football et j’ai toujours voulu être entraîneur, ils ont pu me payer les cours parce que je n’en avais pas la capacité financière. Ils essayent de me soutenir, ils souffrent quand nous sommes en difficulté sur le terrain… Mais ils ont aussi été capables de me dire « Il faut t’ouvrir à d’autres domaines, notamment professionnellement et les langues ». Ils m’ont exigé de me former dans d’autres domaines parce qu’être entraîneur c’est compliqué et le football est très instable.

Propos suscités et traduits par Pablo Sánchez (@pablosanch19)

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