Ce sont des débats qui reviennent continuellement. À chaque fois qu’une équipe qui se veut joueuse prend un but sur une erreur individuelle de relance, on attaque frontalement cette manière d’aborder les sorties de balle. Longtemps peu utilisés par les entraîneurs et éducateurs, les sorties de but sont devenues au fil du temps une obsession pour certains. Cette volonté de bien ressortir le ballon et ne rien laisser au hasard est-il une bonne chose ? Tentative de réflexion.
« Allonge », « jamais dans l’axe », « premier sur le ballon » ; ces phrases, qu’on entend toujours aussi souvent dans les tribunes d’un stade amateur ou dans le calme relatif d’une enceinte professionnelle sont remis en question par une approche différente des sorties de balle. Pendant longtemps, les ballons qui devaient être gérés dans cette zone étaient vus comme très dangereux. L’idée était donc d’allonger le plus possible pour écarter ce danger d’une manière simple. Pour autant, une nouvelle vague d’entraîneurs ne voit plus dans ces situations un danger mais une opportunité de pouvoir être dangereux sans perdre le contrôle du cuir. Pour autant, les risques sont grands car une perte de balle dans cette zone et c’est souvent le but qui est ouvert. Masochisme ou pragmatisme ?
Des notions fourre-tout
Il faut déjà évacuer les débats qui se concentrent sur le jeu long ou court dans les relances. C’est un peu comme pragmatique et dogmatique concernant les approches de entraîneurs, ce sont des mauvaises portes d’entrée pour évoquer des faits intéressants et structurants d’une rencontre. Il est plus intéressant de parler de relance préparée ou non, de volonté de garder le contrôle du cuir ou non, de prise de risque ou non. Ce ne sont pas des gros mots ou des choses compliquées à comprendre. Par exemple, un gardien qui allonge jusqu’à la médiane sur une sortie de but, même si les seconds ballons ont été travaillés à l’entraînement ou qu’une zone sera plus densifiée qu’une autre, cela revient quand même à jeter une pièce en l’air et espérer qu’elle retombe du bon côté. De l’autre côté, une relance plus courte vers un central attire le bloc adversaire et qui enchaîne avec une relance longue vers un joueur cible pour sauter la ligne de pression et donc mettre hors de position une grande partie des adversaires. C’est une préparation même si elle fait intervenir le jeu long dans sa réalisation. Une relance courte sans soutien est aussi une situation non préparée et donc qui repose sur la chance ou le hasard.
Ce qui est intéressant de comprendre, c’est que les entraineurs qui aiment contrôler ou préparer leur relance ne le font pas par goût du risque ou volonté de souiller un slip par relance si jamais la pression adverse est bonne. Ils le font parce que, bien souvent, c’est pour eux le meilleur moyen de bien préparer leur attaque et donc de gagner des matchs. Dans la vision française du football, on sépare trop les situations qu’on peut retrouver dans le football alors que le football étant un sport de transition, séparer une relance d’une situation de déséquilibre dans le camp adverse est un peu contre-intuitif intellectuellement, tant les deux sont liées dans l’activité football. Dans les faits, une bonne relance va mettre tes milieux dans les meilleurs dispositions pour attaquer le camp adverse, ce qui de fait rejaillir sur la qualité de tes situations offensives. Une relance mal préparée va offrir un ballon difficile à jouer à tes milieux ou, pire, le risque de perdre un ballon que tu avais en ta possession 3 secondes avant. Le danger interviendra encore plus rapidement sur ce genre de perte, parce que bien souvent le bloc n’est préparé à rien vu qu’il ne sait pas encore ce qu’il va devoir gérer comme ballon. Lors d’une phase plus préparée, on cherche autant à avancer avec le cuir que d’être le mieux organisé à la perte pour pas ou peu subir.

Les sorties de but offrent une disposition très favorable à l’équipe qui relance. En plus du gardien, qui n’est pas attaqué, la surface de réparation est protégée, et donc les joueurs qui se situent à l’intérieur ne sont pas marqués. Ne pas se servir de cette opportunité offerte par les règles du football pour balancer un vieux ballon dans le rond central, c’est quand même dommage. Surtout que la qualité technique globale des joueurs a bien progressé et que les gardiens ont maintenant un niveau très proche de celui des joueurs. Il ne faut pas tomber dans le piège de ne regarder les relances préparées, qu’elles soient courtes ou longues, seulement quand ça ne fonctionne pas, mais les regarder pour ce qu’elles apportent aux équipes qui ne refusent pas le jeu ainsi que l’opportunité offerte par la situation.
La meilleure manière de relancer ?
Pourquoi les relances préparées sur la ligne des 5.50m notamment sont de plus en plus à la mode dans le football ? Peut-être parce que c’est le meilleur moyen de préparer sereinement une attaque. Si le travail d’un entraîneur est de préparer au mieux son équipe pour le match suivant, il doit se focaliser sur les aspects du jeu où il peut agir. Les relances en font partie, logiquement. Ne pas vouloir perdre le contrôle d’un ballon dans une situation qui est très favorable à l’équipe qui relance est une position intellectuelle logique, loin des choix très dangereux comme c’est annoncé dans la bouche de certains observateurs ou entraîneurs très conservateurs. Mieux : balancer un ballon et le perdre, c’est se mettre encore plus en danger.
Même si ça peut déplaire aux entraîneurs qui pensent qu’avoir de l’ambition dans le jeu n’est réservé qu’aux équipes très bien loties en termes de qualités individuelles brutes, il ne faut pas obligatoirement être le meilleur pour travailler ces séquences. Encore une fois, si un entraîneur doit tirer le meilleur de son groupe, il doit le connaître, et s’appuyer sur ses forces tout en l’éloignant des situations où il est le plus en difficulté. Avoir des joueurs rapides ou forts physiquement ne doit pas résoudre le modèle de jeu présenté par l’équipe. Préparer ses relances, c’est d’abord mettre ses joueurs dans les meilleurs dispositions, que ça se termine par une ouverture longue ou une remontée de balle faite de passes courtes. C’est aussi ne pas perdre le ballon rapidement et surtout, attirer ou jouer avec l’adversaire pour essayer de l’amener où tu as envie pour le mettre en difficulté. Penser que parce que tu as une équipe moins forte, tu dois balancer et faire reposer tes sorties de balle sur la réussite des seconds ballons, c’est se tirer une balle dans le pied.
Bien sûr, parfois, ça ne fonctionne pas. Parfois, ça fait de sacrés boulettes qui vont de fait influer sur la confiance des joueurs, les faire se questionner, sur pourquoi l’entraîneur a choisi cette approche et leur a donné cette responsabilité. C’est logique en somme mais, bien souvent, ces erreurs ne sont que des passages pour l’entraîneur qui ne s’y attarde que pour comprendre ce qui a été raté pour corriger ensuite. L’idée n’est pas de s’excuser de choisir cette manière de faire, mais d’être meilleur et surtout capable d’apporter de la variation match après match. C’est bien souvent ce qui manque : du temps et de la variation dans le jeu. C’est l’idée que relancer uniquement court, toujours avec un circuit identique, met en difficulté, non pas parce que l’équipe n’est pas forte dans cette filière, mais parce qu’elle n’a que cette filière. Pep Guardiola qui recrute Ederson pour avoir du jeu long et casser un pressing adverse entre dans cette logique. Relancer de manière préparée ne veut pas dire relancer de manière robotique, il faut comprendre et voir ce que le jeu attend de toi et ce qu’il te propose.
Si avoir le contrôle du ballon, des espaces et du temps permettent de gagner des matchs ou, en tous cas d’en être très proche, il faut profiter de toutes les situations que le match t’offre pour garder ce contrôle et en profiter. Balancer d’un revers de la main les relances comme étant une chose dangereuse qui doit conduire à éloigner le ballon de ta surface quand tu l’as en ta possession, c’est faire preuve d’un manque d’ambition manifeste. Bien sûr, par moments, un long ballon bien loin peut être nécessaire, si la pression adverse est bonne ou si tu as fait une erreur dans ta préparation. Ce qui est important, c’est la gestion du risque. Refuser le risque est impossible dans le football. Il faut savoir jouer avec pour que ce risque t’aide à générer le danger dans le camp adverse. Le football c’est aussi ça, on veut tous marquer sans rien concéder, mais c’est impossible. Tout est question de savoir où tu veux aller.
Benjamin Chahine
@BenjaminB_13