« Le temps n’a pas le temps pour le temps ». Thierry Henry, habitué des sorties aussi philosophiques que difficiles à assimiler, semble avoir résumé en une phrase l’un des grands maux du football moderne : le temps et surtout son absence. Xavi, qui vient d’être intronisé entraineur principal du Barça dans une présentation digne des plus grands et en présence de Pep Guardiola, devra faire avec cette réalité. Le football est impatient, et le seul moyen d’avoir du temps, ou de la tranquillité, c’est d’avoir des résultats très tôt. Pourtant, rien n’arrive dans la précipitation, surtout pas dans un sport aussi particulier.
Après 6 ans (4 comme joueur et 2 comme entraineur) à Al Sadd, au Qatar : Xavi revient à la maison ! La présence de Josep Maria Bartomeu à la tête du Barça ainsi que la mauvaise dynamique autour de ce mandat avait retardé l’évidence, mais la prophétie semblait écrite : le génial milieu de terrain devait être celui qui allait relever la maison Blaugrana. La victoire de Joan Laporta aux élections ainsi que la mauvaise forme des Catalans auront permis de destituer Ronald Koeman pour faire de la place au natif de Terrassa en cours de saison. Un choix aussi évident que risqué tant le milieu a beaucoup à perdre. Xavi sait qu’il quitte un cocon douillet et protecteur pour la frénésie d’un football qui ne laisse le temps à rien et qui veut simplement se gaver jusqu’à en crever. C’est sa figure contre l’impatience du football.
Une plongée dans le grand bain
Au Qatar le championnat est attractif seulement parce qu’il est le fait d’hommes aux moyens illimités qui s’en servent comme hochet de temps en temps. Al Sadd, l’un des clubs les plus riches et surtout les mieux structurés a permis à Xavi d’avoir le temps de parfaire sa méthode. Dans un championnat où les stars étrangères font la différence, le Catalan a mis une saison à infuser totalement sa méthode. D’un jeu souvent peu dangereux et stéréotypé lors de sa première saison sur le banc, son équipe va devenir une machine à brouiller ses adversaires par un jeu de possession et de position magnifique. En 2020-21, Al Sadd va terminer champion en ne perdant aucun match et surtout en restant invaincu sur l’ensemble du championnat. Le parcours en Coupe Continentale est frustrant, mais la machine était partie sur les mêmes bases cette saison avec 5 victoires en 5 journées et 4 buts marqués en moyenne.

Cette tranquillité, cette patience pour mettre en place son jeu, Xavi aura du mal à la retrouver au Barça. Pas que la direction ne soit pas favorable à son nouvel homme fort, au contraire, mais son club de cœur se trouve en plein milieu de la tempête qui souffle sur le football. Ici, il est impossible d’avoir du temps, très difficile d’instaurer sur le long terme des changements qui chamboulent les habitudes ou qui n’auront pas d’impact immédiat et surtout, il est interdit d’avoir une période de moins bien. Il faut gagner vite, longtemps et surtout toujours, sinon le club doit se débarrasser de vous pour montrer qu’il agit, même si bien souvent ce n’est pas la bonne décision. Le fait de continuer à changer d’entraineur en cours de saison, alors que divers études ont prouvé que l’impact sportif de ce genre de décision était nul, surtout par rapport à la dépense économique, prouve bien que le football ne tourne pas rond. Bien entendu sur ce cas précis, le dossier déjà sur la table cet été, a juste subi un retard.
Sportivement l’effectif du Barça, ainsi que son écosystème, semble être un terreau plus fertile pour la compréhension du football proposé par Xavi que ne l’était Al Sadd à son arrivée. Cependant, il va falloir aussi accepter de se faire juger sur autre chose que le terrain. Dans les clubs qui sont autant des organes politiques que des lieux de consommation, le terrain et le lien entre un coach et ses joueurs, ne sont pas forcement les choses les plus importantes. Xavi devra être en capacité de dompter tout ça pour espérer pouvoir travailler dans un environnement sain, ou au moins avec de la tranquillité, et garder sa capacité à expliquer ses choix. C’est un changement de dynamique importante et notable, tant il était protégé au Qatar et qu’il sera exposé au Barça.
Qu’espérer ?
Actuellement le Barça est dans le dur. Cette crise, qui n’est pas que sportive, (elle ne l’est pas du tout, le terrain n’étant que le résultat d’erreurs et de mauvais choix de directions et d’orientation) pénalise durement le club. Habitué à l’ivresse des sommets, le Barça ne peut pas être dans le ventre mou plus de trois semaines, il ne peut pas enchainer 4 matchs sans victoires, ou vivre une claque en C1. Le FC Barcelone doit gagner et actuellement la direction cherche à remettre le club sur le devant de la scène coute que coute, quitte à prendre des semblants de raccourcis qui seront les erreurs de demain. Le choix de destituer Francisco Garcia Pimenta alors coach de la B qui était dans une excellente dynamique et qui a influé sur le groupe professionnel peut en être une par exemple. Le choix de virer l’expérimenté Ronald Koeman pour lancer le tout jeune Xavi peut être la suivante.
Actuellement, il est difficile d’espérer grand chose de ce premier exercice qui sera disputé sous le signe du Xaviball. Dans les faits, le Barça est dans une mauvaise dynamique sportive, a une hécatombe de blessures et a comme toujours une pléiade d’internationaux rendant la fenêtre de trêve internationale peu propice à l’élaboration du modèle de jeu. 10e au classement avec 17 points en 12 journées, il faudra quand même faire mieux et rapidement. De par sa présence, il est certain que Xavi va dynamiter l’effectif et changer un temps la dynamique du club. Ce qui est vécu comme l’impact d’une nouvelle méthode lors d’un changement d’entraineur n’est souvent que le soubresaut d’une possibilité de changement dans la hiérarchie et la volonté de certains de prendre du temps de jeu et pour d’autre de conserver leur statut. La nouveauté est plaisante, mais elle ne dure qu’un temps.
« Xavi transmet de la joie, de la confiance et de l’espoir. J’ai vu de gens heureux comme jamais auparavant » Joan Laporta
Certes, Xavi est Xavi mais il va tout de même devoir composer. Ce contexte massacrant couplé à des difficultés financières qui empêchent le Barça de trop exister sur le marché, a permis l’émergence de Gavi ou Nico Gonzalez. Mais il n’y a pas que du positif. Ce contexte a conduit à l’absence longue durée de Pedri, surutilisé, mais aussi à la mise à l’écart de Yusuf Demir pourtant intéressant en début de saison, mais qui a à peine 18 ans est déjà remis en question. Il est possible que Xavi connaisse une bonne dynamique, quelques résultats flatteurs et des progrès dans le jeu avant de connaitre les premières difficultés. Les critiques et remises en question ne tarderont pas alors que l’opposition politique contre Laporta rode toujours. La figure de grand joueur a protégé Ronald Koeman longtemps, cela sera identique avec Xavi, mais pas indéfiniment et il l’a dit lui même lors de sa présentation : « En fin de compte, on est jugé sur les résultats« .
Le prochain bouc émissaire ?
Ronald Koeman qui a remis au centre la domination au milieu avec un football pro-actif, tout en faisant confiance à de nombreux jeunes, a fini par être mis dehors comme les autres. Son bilan n’est pas mémorable, mais il aura qualifié le Barça en C1 tout en prenant une Copa del Rey. Loin des ambitions du club, mais tout de même honnête au vu du contexte et de l’état de l’effectif. Pour autant sa figure, qui a ramené de la joie un temps, a fini par être remplacée. La réalité de Koeman, qui était devenu la réalité du Barça, a offert un quotidien qui n’est pas supportable pour la direction du Barça. Il fallait se remettre à rêver pour s’évader de ce quotidien et la figure désirable de Koeman fut remplacée, par celle de Xavi, sans aucun souci. Comme celle de Gavi qui remplace celle Pedri. Il faut bien comprendre, les Catalans ne se débarrassent pas vraiment de Koeman, ils choisissent surtout de rêver avec un nouveau coach. Comme c’était le cas avec le licenciement de Quique Setien par exemple. Ici, le football n’est pas au centre des considérations et tout est loin de la réalité du terrain. Si on plante plusieurs belles plantes à différents moments et qu’aucune ne se maintient sur la durée, le problème c’est l’écosystème pas la qualité des plantes.

Il ne faut pas non plus exclure trop rapidement l’environnement médiatique autour du Barça. Bien sûr la presse et les journalistes n’ont pas la capacité de dicter des décisions à un responsable du Barça, mais ils sont en capacité de créer un contexte qui va saturer l’espace avec une idée ou une opinion. Le cas Xavi, n’a pas été créé, mais a été encouragé par un nuage de propositions diverses qui a matérialisé son arrivée et l’a rendue encore plus évidente, quitte à tirer sur l’ambulance Koeman par exemple. Comme le cas Clauss avec l’EDF actuellement, les médias spécialisés ou non ont besoin d’informations, de nouveautés, pour grossir et faire du clic ou vendre des tirages. La nouveauté c’est parfait et c’est facile à exploiter en plus.
Xavi devra jongler habilement avec la réalité du contexte et les attentes d’un environnement qui veut le Barça en haut de l’affiche, toujours. Qu’importe les blessures, les problèmes ou les choix politiques, il faut performer et le Catalan le sait, il l’a dit lors de sa présentation : « Il faut gagner et convaincre. » Pour autant, sa figure ne sera jamais indiscutable, et la nouveauté restera toujours plus désirable que la réalité, même si elle est vécue avec le sourire de Xavi et sa tendresse pour le jeu de position. A la première mauvaise dynamique, il sera remis en question, et il n’est pas dit que la direction le soutienne très longtemps si un nouveau profil se rapproche. Surtout que pour réussir sa mission de remettre le Barça tout en haut durablement, Xavi aura le même effectif et le même écosystème que Ronald Koeman. C’est la réalité du football, le Milan AC a exposé et lessivé bon nombre de ses légendes, avant de retrouver une relative stabilité. Le FC Barcelone semble loin de cette étape du deuil, surtout qu’en place de son glorieux passé, les Blaugrana doivent digérer le départ de Messi. Ca fait beaucoup !
Benjamin Chahine
@BenjaminB_13