C’est jour d’Euskal Derbia ! Pour la première fois depuis leur double confrontation d’avril, la Real Sociedad et l’Athletic se retrouvent à 21h. Un match crucial, pouvant permettre aux Txuri-urdinak de conserver la tête du classement ou aux Zuri-gorriak de rester en course pour l’Europe. Au-delà des résultats actuels, ce sont deux modèles de politique sportive qui s’affrontent à Anoeta.
Halloween n’est pas la fête la plus célébrée du Pays Basque. Mais à Donostia, les choses sont légèrement différentes. Chaque année, la cité balnéaire accueille le Fantasiazko eta Beldurrezko Zinemaren Astea, la Semaine du film fantastique et d’horreur, dont la 32e édition a lieu du 29 octobre au 5 novembre. Capitale européenne de la culture en 2016, Saint-Sébastien tente de mêler ancrage local et ouverture sur le monde. Un peu comme la Real, finalement. Car malgré la programmation – et notamment la diffusion d’ »Une dernière nuit à Soho » –, c’est tout autre chose qui attend les Donostiarrak pour le soir d’Halloween. La Real Sociedad affronte l’Athletic et c’est l’occasion idéale de mettre en avant le modèle Txuri-urdin.
La Real s’élève en promoteur du football basque
La dernière victoire de l’Athletic face à son éternel rival remonte à août 2019 (2-0). Trois ans, c’est long. D’autant plus lorsque la défaite du 3 avril dernier en finale de la Copa (0-1) n’a pas été digérée. Les Leones ont pour mission de retrouver de bonnes sensations face à une Real qui n’a plus perdu depuis la première journée (4-2 au Camp Nou). De son côté, la Real veut poursuivre sur sa lancée mais souhaite aussi prouver que son modèle n’est pas « un de plus ».

Qui représente le mieux le football au Pays Basque ? Les Bilbotarrak répondront qu’ils ne recrutent que localement ; les Donostiarrak diront qu’ils défendent leur terre en Europa League. Avec à peine 20 % de joueurs étrangers – contre 25 % pour Alavés mais 15 % pour Osasuna –, la Real défend une philosophie de jeu fondée sur sa formation. Plus question de ne jouer qu’avec des joueurs basques comme ce fut le cas jusqu’aux années 1960, mais d’utiliser l’expérience des étrangers pour tirer le collectif vers le haut. Ainsi, le jeune attaquant Julen Lobete (21 ans) peut s’inspirer du crack suédois Alexander Isak (22 ans) tout en s’identifiant au parcours du local Mikel Oyarzabal (24 ans).
Le 18 octobre dernier, Aitor Elizegi, le président de l’Athletic, affirmait sur TeleBilbao que le modèle de la Real Sociedad « n’est qu’un de plus », parmi tant d’autres. Le dirigeant pointait ici le fonctionnement des équipes rivales, qui « profitent des mercatos pour corriger ce qui ne va pas ». Au contraire donc, de l’Athletic. « Je n’ai rien contre ce modèle mais nous avons fait le choix de se fonder sur notre cantera et non sur le mercato », avait-il rajouté.
Quel modèle idéal pour un jeune basque ?
En regardant de plus près, quatre des sept actuels buteurs de la Real sont issus de Zubieta, le centre de formation. Une statistique qui ne donne finalement pas raison à Elizegi. En face, la réponse de Jokin Aperribay n’a pas tardé. La président de la Real ne s’est pas pris au jeu des critiques et n’a « accordé aucune valeur à ces propos ». « Nous avons eu des références parmi lesquelles on trouve l’Athletic », a-t-il reconnu sur Radio Marca. Avant de conclure : « La Real Sociedad s’améliore chaque jour et si elle le fait mieux que le voisin, c’est tant mieux ».

Mais rien n’a plus choqué les supporters Txuri-urdinak que l’affirmation finale d’Elizegi : « Pour un joueur basque, l’Athletic est le projet le plus important qu’il peut trouver ». Rien que ça ! Si la déclaration peut satisfaire l’égo des Zuri-gorriak, elle a rapidement été taclée par leurs rivaux. Il faut dire que la situation actuelle n’aide pas l’équipe de Bizkaia : deux finales de Copa perdues en avril dernier, dont l’une contre la Real, et une dernière saison en Europe remontant à 2018. Autrement dit, la Real Sociedad s’impose comme la plus complète sur pelouse.
Face à ça, l’Athletic ne peut qu’opposer sa politique de recrutement centrée sur les Basques. Un puissant argument pour les jeunes générations de ce territoire à l’identité forte. Mais lorsque l’on dépasse la fierté des Bilbayens, l’engouement actuel autour des Txuri-urdinak prend rapidement le dessus. Depuis plusieurs années, la tendance se fait sentir lors des mercatos. L’Athletic n’est pas parvenu à s’attirer les services des Mikel Merino et Oyarzabal. Les jeunes de la Real Sociedad ont foi dans le projet de leur équipe et sont beaucoup moins nombreux à se tourner vers Lezama.
Fierté prônée par les supporters de l’Athletic
À l’international, le modèle de l’Athletic ne cesse d’être loué. Mais localement, la Real se fait une place considérable. Dirigée par Xabi Alonso, l’équipe réserve se bat avec hargne pour se maintenir en Segunda et les jeunes savent qu’une opportunité en équipe A peut arriver à tout instant. Lezama pourrait presque paraître vieillissant mais les livres d’Histoire rappellent la continuité de l’Athletic. Malgré ses contraintes, il est notamment le seul club – avec le Real Madrid et le Barça – à n’avoir jamais été relégué.
La rivalité entre les deux équipes a toujours donné lieu à des débats enflammés. Les Bilbotarrak ne changeraient leur modèle pour rien au monde. Ils sont prêts à faire face à toutes les accusations. Même celle d’un journaliste français comparant le club au « Front National ». Être taxés de racisme, les Zuri-gorriak y sont malheureusement habitués. Tout comme ils doivent – et c’est paradoxal – défendre les frères Williams quand ils sont accusés de ne pas rentrer dans la politique de l’Athletic. Mais s’il y a une chose à laquelle ils ne sont pas accoutumés, c’est de soutenir ce même club face… à ses dirigeants.
Une philosophie menacée de l’intérieur ?
Il n’est pire ennemi que ses proches. Ce proverbe est désormais bien connu des socios de l’Athletic. Depuis la mort du général Franco en novembre 1975, personne ne semblait pouvoir menacer l’identité de ce club basque. Mais depuis décembre 2018 et l’élection d’Aitor Elizegi au poste de président, les choses ont changé. Et contre toutes attentes, c’est au cœur même d’Ibaigane (le siège de l’Athletic, ndlr) que la philosophie semble la plus menacée.
Dès la campagne présidentielle, Elizegi expliquait n’être « personne pour juger qui est Basque ou non ». Une déclaration censée ouvrir la voie à une modification de la politique de recrutement du club. Mais cette dernière ne peut être touchée sans l’aval des 43 425 socios. Tout cela avait finalement été mis de côté. Jusqu’au mardi 12 octobre. Lors de cette 41e semaine de l’année, les dirigeants de l’Athletic ont multiplié les apparitions médiatiques pour aborder l’avenir du club.

Jon Ander de la Fuentes est le premier à prendre la parole publiquement. Le comptable n’hésite pas à soutenir que « la philosophie du club doit être interprétée de façon plus moderne, avec moins de lignes rouges » car « c’est une erreur manifeste qui limite » l’Athletic. Le tôlé est immédiat et rares sont les supporters à lui donner raison sur les réseaux sociaux. À la seule exception de l’ancien président Fernando Macua (2007-2011), pas le plus apprécié à ce poste. 24 heures avant le derby, le directeur sportif tente d’apaiser les esprits dans Mundo Deportivo. Rafa Alkorta souhaiterait qu’un débat soit organisé avec les socios pour « clarifier la philosophie avec chacun ».
La Real évolue, l’Athletic veut se recentrer sur soi-même
L’actuel président a également dérogé à son habituel silence de plomb pour défendre son bilan et les propos de son comptable. Chez les supporters, l’ébullition est immédiate et le #ElizegiKampora (Elizegi, dégage) refait notamment surface sur Twitter. L’ancien chef cuisinier enchaîne les passages en radio et dans la presse, campant obstinément sur ses positions. Jusqu’au 23 octobre, où il annonce à la surprise générale que sa direction « peut faire partie du problème » alors que les socios venaient de refuser son budget devant l’Assemblée générale. Avec ceci ? Elizegi annonce qu’il quittera sa fonction de président en juin 2022.

Nombreux sont ceux qui auraient parié le contraire, mais l’homme de 55 ans fait le choix de ne pas se représenter aux élections de la fin 2022. La « meilleure décision de son mandat » selon certains Twittos, mais un choix sur lequel il peut revenir à tout moment selon d’autres. D’autant que le timing est surprenant. Les récentes prises de position livraient une impression de pré-campagne. Pourquoi menacer la philosophie du club, défendre l’action des dirigeants en recevant les foudres des socios pour finalement annoncer ne pas rester en poste ? Peut-être n’avait-il plus rien à perdre.
Pour Aperribay, la situation actuelle de la Real Sociedad est le fruit d’un « grand changement structurel débuté il y a six ans ». Chez le voisin, le sentiment est inverse. En 2018, Elizegi est arrivé en bouleversant l’organisation de Josu Urrutia, son prédécesseur dont le travail commençait à être critiqué. Aujourd’hui, les socios semblent regretter leurs choix passés. Quand la structuration du modèle de la Real a enfin trouvé son rythme de croisière, l’Athletic cherche à reprendre ses valeurs conservatrices. D’un côté comme de l’autre, chacun y trouve finalement son compte.
Jérémy Lequatre-Garat
@Euskarade