Après 4 ans de règne absolu en Espagne, la Dream Team de Johan Cruyff est sur la pente descendante depuis son cinglant revers en finale de Ligue des Champions 1994. Un an après avoir infligé une manita mythique au Real Madrid, le Barça se prend la revanche merengue en boomerang, avec un Michael Laudrup aussi revanchard que génial. C’est le 5e épisode de notre série Old School.
La vengeance est un plat qui se mange froid et le Real Madrid a attendu très précisément 364 jours. Le 8 janvier 1994, le FC Barcelone est au sommet de son art et la Casa Blanca se disloque face aux assauts de la Dream Team de Johan Cruyff : 5-0 au Camp Nou. Romario ouvre le score avec son but le plus emblématique en blaugrana, la fameuse « cola de vaca » infligée à Aitor Karanka avant d’ajuster Paco Buyo d’un extérieur du droit.
Laudrup, la revanche a sonné
Les choses ont pas mal changé depuis. Le Barça a été puni en finale de la Ligue des Champions contre le Milan de Capello à Athènes. Chez les Vikingos, Jorge Valdano s’est installé sur le banc merengue après avoir fait des miracles avec Tenerife (1990-1992) et… privé le Real Madrid d’un titre de champion qui lui semblait promis en 1992 lors de l’ultime journée. Les Catalans sont sur une série de 4 Ligas consécutives et leur règne est à son crépuscule. Au coup d’envoi, ils pointent au 4e rang tandis que leurs rivaux caracolent en tête.
« Ce fut une menue correction. Un des pires jours de ma carrière sportive que j’aimerais éliminer de ma mémoire »
Sergi Barjuán, dans ABC, le 25 octobre 2014
L’équipe alignée par Cruyff ne manque pas d’une certaine allure mais elle paraît en fin de course. Certes, Hristo Stoichkov est le Ballon d’Or en titre et Gheorghe Hagi a envie de rappeler au bon souvenir du Real Madrid après avoir porté le maillot merengue de 1990 à 1992. Romario a remporté le Mondial en 1994, il est la référence en attaque mais il entame la rencontre sur le banc.
En face, quoique privé de Fernando Redondo et Míchel González, Valdano propose une équipe en quête de revanche avec la présence d’un facteur X : Michael Laudrup. Le Danois a été un membre éminent de la Dream Team mais l’arrivée de Romario en 1993 lui a progressivement fait perdre sa place, les équipes ne pouvant évoluer à l’époque qu’avec 3 étrangers. Absent de la finale de Champion’s, remplaçant lors de la manita blaugrana de 1994, il a franchi le Rubicon et a rejoint l’ennemi à l’intersaison.
La mi-temps parfaite de Zamorano
Santiago-Bernabéu est bondé : 105.000 spectateurs ! ¡Lleno a reventar! Et après des années de joug blaugrana, ils assistent au crépuscule des demi-dieux contre une équipe qui a pour seule ambition d’étouffer son adversaire. Dès le premier tacle, le ton est donné. Le Real Madrid est déterminé quand le FC Barcelone n’est pas impliqué. Si les Culés jouent bien le hors-jeu et mettront les Vikingos en position illicite à 11 reprises tout au long du match, ils sont terriblement patauds pour contrôler les mouvements de Michael Laudrup, Raúl Gonzalez Blanco, Luis Enrique, Emilio Amavisca et surtout Iván Zamorano. Le Chilien n’agite pas les pales de l’hélicoptère cette fois-ci mais, avec 14 buts au compteur depuis le début de saison, il est au faîte de sa confiance. Le verrou cède une première fois à la 5e minute. Laudrup entame une chevauchée pied gauche, il perce et trouve Raúl dans l’axe entre Ronald Koeman et Abelardo. La future légende contrôle et transmet à « Bam Bam » Zamorano qui attend le bon rebond pour catapulter un missile du gauche sous la transversale de Carles Busquets. Le début du calvaire pour Pep Guardiola et ses coéquipiers.
À (RE)LIRE – Laudrup, le traître élégant
Le ton est donné et toute la première période sera de cet acabit. Le FC Barcelone est incapable de s’approcher des cages de Paco Buyo. La défense merengue est intransigeante et tandis que les offensives des joueurs de Valdano parviennent à rapidement se mettre en position de tir, les Culés, eux, ne sont jamais inquiétants. Il faudra attendre le second acte pour que Buyo s’interpose sur une frappe lointaine d’Hagi. De l’autre côté de la pelouse, Zamorano se balade. S’il est régulièrement pris au piège du hors-jeu, quand Abelardo n’est pas d’équerre avec Koeman, c’est la sanction. Amavisca lance en une touche de balle le Chilien avec une passe lobée. Plein axe, le buteur contrôle du droit et ajuste du gauche. Après 21 minutes, le Real Madrid a déjà deux buts d’avance et on voit mal comment le Barça pourra répliquer.
Quatre minutes plus tard, Laudrup joue un coup franc rapidement et lance Zamorano. Altruiste, il centre pour Raúl qui frappe… sur Busquets. Sur le côté gauche, Amavisca a pris la mesure de Sergi Barjuán et se régale avec Laudrup. Le centre du Danois arrive sur le pied droit, devinez qui, Zamorano, qui frappe de volée au-dessus. C’est la panique chez les Catalans. Même quand il n’y a pas de danger sur une transversale de Quique Sánchez Flores, José Mari Bakero est pressé par Laudrup qui lui chipe le ballon et offre le triplé à Zamorano seul au second poteau. Que peut-il arriver de pire à Cruyff ? À la 44e minute Stoichkov verse la ciguë et fait boire le calice jusqu’à la lie. Le Bulgare est un brin chaud et il passe ses nerfs sur Sánchez Flores qui se fait labourer le genou. Carton rouge direct !
La Dream Team n’est (presque) plus
Contraint de réagir pour au moins stopper l’hémorragie, Cruyff sacrifie Bakero et Guardiola et fait entrer Miguel Ángel Nadal et Romario, dont l’idylle est déjà à son crépuscule. Mais malgré cette tentative, le Barça tombe dans tous les pièges. Laudrup, très inspiré, se joue de la défense blaugrana pour lancer Amavisca qui perd son duel. Mais le Real Madrid ne desserre pas son étreinte. Côté droit, Laudrup reçoit le ballon de Rafael Martín Vázquez, administre un grand pont à Abelardo et centre pour Zamorano. Le poteau refuse le quadruplé mais il offre le 4e but du match à Luis Enrique qui a bien suivi, tandis que Koeman, impuissant, regarde l’ailier pousser le ballon au fond. « ¡Toma! » hurle plusieurs fois l’Asturien qui aura l’occasion de disputer d’autres Clásicos avec le maillot du Barça.
« Oui, cette fois-ci, j’ai vraiment senti que j’avais participé à la goleada »
Michael Laudrup
Et quasiment sur la remise en jeu, Santiago-Bernabéu peut célébrer la manita merengue quand Zamorano adresse un caviar à Amavisca. Il reste encore 20 minutes à jouer, et même si la 2e période a été moins intense, la Casa Blanca a mis un point d’honneur à rectifier l’humiliation reçue un an auparavant.
« Nous avons joué sans enthousiasme et, en première période, nous avons été groggys. Ce résultat fait mal, mais voyons si cela aide de nombreuses personnes à descendre de leur nuage »
Johan Cruyff
La chute amorcée à Athènes se confirme pour le FC Barcelone qui ne terminera que 4e et attendra 4 ans avant de reconquérir la Liga, tandis que le Real Madrid retrouvera enfin le titre domestique, après des années de domination sans partage blaugrana. Le seul grand vainqueur de cette rivalité est Michael Laudrup qui deviendra le premier à remporter 5 championnats consécutifs avec deux clubs. Un ligne de plus à sa légende, celle d’un des étrangers qui a le plus marqué l’Espagne de son sceau.
François Miguel Boudet