L’hymne d’un club est un marqueur de l’identitĂ© d’une institution et des membres qui la constituent. Il Ă©voque le passĂ©, les exploits, les peines et les valeurs partagĂ©es par une communautĂ© rassemblĂ©e par le football. Cette sĂ©rie est consacrĂ©e Ă l’histoire des hymnes et leur importance pour l’aficiĂłn. Premier Ă©pisode : l’Athletic Club et son Athleticen Ereserkia.
Ongi etorri dans la terre basque de Bizkaia, ou Vizcaya en espagnol, la rĂ©gion de Bilbao, pays de football par excellence. Son emblĂšme est lâAthletic Club, l’un des clubs les plus anciens dâEspagne mais aussi lâun des dix clubs fondateurs de la Liga, en 1928. Club historique donc, qui a aussi marquĂ© le paysage footballistique par son palmarĂšs, en dĂ©tenant jusquâen 2009 le record de Copa Del Rey gagnĂ©es (24) ainsi que 5 doublĂ©s Liga-Copa. Ce ne sont pas les seuls motifs de fiertĂ© de lâAthletic. Son lĂ©gendaire principe de recrutement qui impose de ne faire jouer que des joueurs ayant une filiation basque rĂ©sonne comme une fiertĂ© au sein du peuple zuri-gorri. Ainsi en 1990, pas moins de 76% des supporters du club affirmaient prĂ©fĂ©rer une relĂ©gation plutĂŽt que dâabandonner cette mĂ©thode particuliĂšre au club.
A la bi, a la ba, a la bin, bon, ba !
Athleeeeeetic ! Quand San MamĂ©s parĂ© de ses atours rouge et blanc rugit et rĂ©pond Ă cet appel guttural, les gradins de la cathĂ©drale tremblent sur ses fondations. Plus qu’ailleurs, l’Athleticen Ereserkia est un motif de fiertĂ© et de sentiment d’appartenance.
DĂšs 1913, un premier hymne issu du vieil euskera est adoptĂ© officieusement : l »‘AlirĂłn ». MĂȘme si les sources demeurent floues, le terme alirĂłn serait une dĂ©formation idiomatique locale Ă l’expression « all iron » (tout fer en VF) des ouvriers mĂ©tallurgiques anglais qui ont importĂ© le football au pays basque. Il a Ă©tĂ© remplacĂ© Ă deux reprises, en 1950 puis en 1983. Â
Revenons un instant sur celui de 1950. Alors que le pouvoir franquiste sâĂ©tait installĂ© en Espagne, lâhymne de l’Athletic Ă©tait devenu un moyen de lutte et dâaffirmation, l’utilisation des langues rĂ©gionales Ă©tant prohibĂ©es et rĂ©primĂ©es. Celui-ci fut donc modernisĂ© dans un basque moderne plus accessible et centrĂ© sur la fiertĂ© dâĂȘtre un Basque qui soutient le club de sa ville, Bilbao. Or le franquisme ne lâentendit pas de cette oreille et, dans sa volontĂ© dâhispaniser et de gommer les particularismes locaux, il imposa au club de se renommer AtlĂ©tico Bilbao et de traduire son hymne.
En 1975, aprĂšs la mort du dictateur, l’Athletic retrouve son nom originel, symbole de ses origines anglo-saxonnes, et adopte dĂšs 1983 le nouvel hymne encore chantĂ© aujourdâhui dans les travĂ©es du San MamĂ©s. Celui-ci est Ă©videmment scandĂ© en euskera. Il est entonnĂ© pour la 1re fois le 30 mars 1983 lors de la rĂ©ception du Barça de Diego Maradona. Outre la victoire des Leones, l’Athletic a Ă©galement remportĂ© la Liga cette saison-lĂ . Ce que l’on appelle porter chance !Â
Un hymne basque par des Basques et pour les Basques
Musicalement, l’hymne officiel, le seul d’ailleurs de l’histoire du club Ă avoir ce statut, est issu des deux premiers, s’inscrivant dans la tradition musicale basque. Il est composĂ© par Feliciano Beobide, natif de la province voisine de Gipuzkoa et JosĂ© Olaizola avec, comme sources d’inspiration, « la canciĂłn del AlirĂłn » et « Altza Gaztiak » du mĂȘme Beobide. Les paroles sont signĂ©es Antxon Zubikarai.
Parmi les particularismes de cet hymne, outre le fait qu’il est bien Ă©videmment Ă©crit en euskera (comment pourrait-il en ĂȘtre autrement ?), il y a aussi le moment de sa composition. Le texte en dit beaucoup sur le club, les supporters, les valeurs partagĂ©es et entretenues mais aussi sur le Bilbao des annĂ©es 1980 et du post-franquisme.
L’Athletic est un club nĂ© du peuple basque dans son sens littĂ©ral. A lâorigine, il y a deux entitĂ©s distinctes : d’une part, le Bilbao Football Club fondĂ© par les ouvriers anglais du port et, dâautre part, lâAthletic Club créé par des Ă©tudiants de retour dâĂ©tudes au Royaume-Uni. En 1903, date Ă laquelle nĂ© l’Athletic Club de Madrid grĂące Ă l’action de quelques Ă©tudiants basques de la capitale, la rĂ©union des deux clubs marque la crĂ©ation de lâinstitution que lâon connaĂźt aujourdâhui. Le football est Ă Bilbao une affaire dâaccessibilitĂ© mais aussi de fiertĂ©, thĂšmes que lâon retrouve dans lâhymne, entre football du peuple et football du vainqueur. Entre 1983 et 1986, soit juste au moment de la naissance de lâhymne, lâAthletic emmagasine pas moins de 2 titres de champions de Liga, 1 victoire en Copa Del Rey, 1 en Supercoupe dâEspagne et deux troisiĂšmes places !
Un autre majeur thĂšme Ă©voquĂ© dans cet hymne, et quâil ne faut surtout pas omettre de mentionner, concerne la diaspora basque ! En effet, le Pays basque a connu de forts mouvements de migrations notamment vers lâAmĂ©rique du Sud. A ce titre, lâAthletic connaĂźt une popularitĂ© certaine partout dans le monde. PĂ©trie de traditions et de respect des origines basques, sa politique de recrutement lâexplique Ă merveille, mĂȘme si elle s’est assouplie.Â

Un chant de supporter et une carte de visite de lâĂ©quipe
Un hymne doit Ă©galement ĂȘtre envisagĂ© Ă travers le prisme des supporters, ceux qui l’Ă©coutent et le scandent. Il Ă©tait impossible pour les auteurs de ne pas faire rĂ©fĂ©rence Ă ces fidĂšles du club. Ainsi ils sont mis en avant Ă plusieurs moments, relevant leur exemplaire fiertĂ© et leur implication. Les paroles Ă©voquent ainsi lâ »irrintzi », cri historique des supporters et dĂ©monstration de leur foi en ce club quâils considĂšrent comme le meilleur.
Ăvidemment, le chant fait aussi rĂ©fĂ©rence aux joueurs qui restent la base de tout club de football. Lâaccent est mis sur la nouvelle gĂ©nĂ©ration de joueurs aux lendemains de la dictature franquiste Ă travers de la formule « Aritz zarraren enborrak / Loratu dau orbel barria », signifiant que du tronc du vieux ChĂȘne (le club), une nouvelle feuille est nĂ©e (la jeunesse qui porte lâavenir du club). La confiance et lâimportance donnĂ©es Ă ces jeunes reflĂštent une vĂ©ritable culture de la promotion des jeunes en Ă©quipe A au terme dâun parcours de formation effectuĂ© Ă Lezama, le fleuron zuri-gorri.Â
Entre histoire et actualité : ce chant fait-il toujours sens ?
Lâhymne composĂ© en 1983 se fait le tĂ©moin d’une Ă©poque bien diffĂ©rente de celle actuelle. La façon de jouer au football a changĂ©, la compĂ©titivitĂ© entre les clubs a Ă©mergĂ© et Bilbao brille moins que lors des prĂ©cĂ©dentes dĂ©cennies. Nous pourrions penser que les dires de lâhymne sont devenus les symboles dâune pĂ©riode passĂ©e et quâils ne correspondent pas aux rĂ©alitĂ©s actuelles. Or si vous connaissez un minimum le club alors, Ă la lecture de cette phrase vous avez tiquĂ©, car vous savez que câest faux. En effet, lâAthletic Club fait partie de ces clubs historiques qui rĂ©ussissent Ă maintenir leur identitĂ© et Ă faire rĂ©sister leurs traditions face aux impĂ©ratifs financiers du football. PassĂ© Ă pas grand-chose dâun doublĂ© historique, lâAthletic a participĂ© Ă deux finales de Copa del Rey en 2021, remportĂ© la SuperCopa en triomphant du Real Madrid et du FC Barcelone et a prouvĂ© quâil Ă©tait toujours capable de se frotter aux meilleures Ă©quipes du championnat malgrĂ© sa dĂ©cevante 11e place en Liga. La philosophie unique en son genre du club continue de porter ses fruits : l’Athletic n’est jamais descendu en Segunda et continue de promouvoir la culture basque en Espagne et en Europe. L’Athleticen Ereserkia est plus qu’un hymne : c’est un Ă©tendard qui reflĂšte l’ADN d’une identitĂ© incomparable.Â
François
@vistafrou