🎙 Interview – Luis Fernandez : « À San Mamés, j’étais sur un nuage ! »

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Pour le 2500e article publié par ¡Furia Liga!, il fallait un symbole de l’attachement aux deux côtés des Pyrénées. Et qui de mieux que Luis Fernandez pour représenter cette double culture ? Toujours passionné et émouvant, le consultant pour BeIN Sports (qui diffuse l’intégralité de l’Euro 2020) raconte son Andalousie natale, l’Athletic, le Betis, l’Espanyol et l’amour des Français pour l’éternel « vas-y mon petit bonhomme » dont il suffit de prononcer le prénom pour savoir immédiatement de qui il s’agit.

Luis, vous êtes né à Tarifa et vous avez grandi aux Minguettes : quel est votre relation entre l’Espagne et la France ?

Je suis né en Espagne et j’ai quitté l’Espagne après le décès de mon père. J’ai été accueilli par la France qui m’a adopté et pour qui j’ai essayé de réussir et d’aller le plus loin possible jusqu’à aujourd’hui. La France est un pays auquel je dois beaucoup mais j’ai encore des relations avec l’Espagne, de la famille et beaucoup d’attachement. J’ai cette particularité de bien connaître les deux pays et également au niveau professionnel.

Est-ce que vous vous êtes senti tiraillé entre les deux côtés : l’Espagnol en France et le Français en Espagne ?

Je ne m’y suis jamais attaché car j’ai toujours tenu compte des situations. La France est le pays qui a accueilli mes frères, mes soeurs et ma mère. C’était en 1966 et l’Espagne ne traversait pas le meilleur moment de son Histoire. Aujourd’hui, l’Espagne est belle, resplendissante. J’y retourne souvent, je parle la langue, je regarde son football mais ça n’empêche pas non plus que j’aime la culture française qui nous a intégré. J’ai porté ce maillot bleu avec honneur et fierté et c’est avec ces mêmes sentiments que j’ai travaillé en Espagne car je suis de ces deux cultures.

Quand on parle de vous, on ne dit pas Luis Fernandez mais tout simplement Luis. Il y a une forme de proximité entre vous et les Français, c’est peut-être votre plus beau trophée ?

Si la France t’aime, c’est que tu es quelqu’un d’honnête, de propre, qui a une conscience et des valeurs. Toute ma famille m’a aidé à l’être. Quand tu représentes un pays, quand tu portes un maillot, il faut être le plus honnête possible. Je n’ai pas changé. Comme joueur, j’ai toujours été à fond, je donnais le maximum, ce qui comporte son lot de qualités et de défauts. Je n’étais pas un grand technicien mais j’ai toujours voulu répondre aux attentes de mes entraîneurs et de mes coéquipiers. Ma devise a toujours été de ne pas décevoir ceux qui vous ont offert une opportunité. Cette éducation vient de ma mère qui, sans mon père, a su refaire sa vie, s’est occupée de mes frères et soeurs et je ne suis pas près de l’oublier. J’ai aussi travaillé en usine, ça m’a forgé. Je ne demande pas qu’on m’aime mais qu’on me respecte pour mon engagement et car je n’ai jamais triché.

Luis Fernandez of France during the European Championship Final match between France and Spain at Parc des Princes, Paris, France on 27 June 1984 ( Photo by Alain de Martignac / Onze / Icon Sport ) – Luis FERNANDEZ – Parc des Princes – Paris (France)

Quand on évoque votre nom à Bilbao, la première image qui vient en tête des supporters et des journalistes, c’est votre cape de torero à San Mamés. Votre tempérament est différent des Basques mais vous avez parfaitement matché.

La première chose à faire, c’est respecter la philosophie basque. A l’Athletic, elle existe depuis plus de 120 ans et elle fonctionne toujours parce que personne ne triche, tout le monde s’engage. C’est pour ça que les joueurs et les supporters m’ont respecté. Quand tu as été Européen, que tu as terminé à la 2e place du championnat, tu te dis que tu as apporté quelque chose. Ce club est tellement particulier, tellement attachant… J’aurais aimé travailler de nouveau à l’Athletic car c’est une organisation où il y a du sérieux, de l’implication. Ce club est un exemple et il faudrait le mettre davantage en avant car chacun y est à sa place. Mon président ne m’a jamais demandé une composition d’équipe et avec mon adjoint Pierre Alonzo, on nous a toujours laissé travailler ainsi qu’avec Iribar. Et puis j’avais des joueurs remarquables, avec un engagement à toute épreuve. C’était beau à voir. J’ai vraiment vécu des choses exceptionnelles.

Txopo Iribar fait toujours partie de l’organigramme, ce respect des légendes est un garant du respect de l’identité du club ?

L’Espagne a cette culture de ne pas oublier ceux qui ont fait l’Histoire d’un club. En France, c’est une notion qu’on oublie assez souvent. En Espagne, on valorise, on respecte, surtout à l’Athletic. Aujourd’hui, c’est Rafael Alkorta le directeur sportif, un joueur que j’ai eu sous mes ordres. Josu Urrutia a été joueur du club avant d’en devenir le président.

Vous avez également été l’entraîneur du Betis, un club avec une identité très forte mais très souvent en crise.

Séville, avec le Betis et le Sevilla, est une ville de football mais ça s’étend à toute l’Andalousie, ma région natale, avec Cádiz, Málaga… Le football est roi, c’est une tradition, les enfants y jouent beaucoup et les clubs font un très gros travail. C’est impossible de ne pas aimer ce football-là car c’est un football de magie.

Et puis même si le niveau de la Liga a baissé et que le Real Madrid et le Barça n’ont pas été au mieux cette saison, il y a toujours des clubs qui réussissent.

Il y a eu l’Atlético de Madrid et le Villarreal d’Unai Emery qui a remporté l’Europa League. C’est une performance exceptionnelle ! Un club comme ça qui gagne, c’est magnifique. En France, ce ne serait pas Nantes ou Saint-Étienne, ça aurait été un club de seconde zone mais il gagne parce que son organisation interne est bonne. Quand j’entraînais l’Athletic, il y avait Paco Roig et même si c’est son fils qui gère davantage le club aujourd’hui, il est toujours là ! La vérité, c’est que dans les clubs espagnols, il y a de la qualité mais pas que sur le terrain. Les directeurs sportifs savent travailler. Par exemple, Emilio Butragueño au Real Madrid, on ne le voit jamais, pas plus que Monchi au Sevilla. Ils travaillent dans l’ombre pour le club, pour l’institution, qui respectent les supporters car ils savent qu’ils ont une part importante en payant leur abonnement et qu’il faut en tenir compte. Dans d’autres pays, il y a des manquements par rapport à ça car le football est devenu un tel business que ça fait peur. Mais le Covid va les calmer car les clubs vont devoir se refaire une santé avant tout.

Maxime BOSSIS / Dominique ROCHETEAU et Luis FERNANDEZ – 23.11.2014 – Nantes / Saint Etienne – 14eme journee de Ligue 1

A Bilbao, quand on compare votre façon d’être au caractère local, on entend régulièrement la phrase : « Luis était Basque, mais il ne le savait pas encore » !

Quand tu apprends à connaître cette ambiance, tu t’y attaches. Un ami basque supporter de l’Athletic m’a dit quelque chose de fondamental : le club fédère. Que tu sois de droite ou de gauche, quand tu entres à San Mamés, tu laisses la politique dehors. Tu viens pour encourager, pour supporter un maillot, une équipe. C’est ça que j’ai beaucoup aimé. Quand tu entrais dans San Mamés, la folie était là, une ambiance même avec les supporters adverses, c’était de la rivalité mais sans violence. Même quand on jouait moins bien, on les sentait qui nous poussait. Pour moi, San Mamés restera un stade mythique. J’aime ce club. Quand on me demande mes clubs, je dis le PSG, l’AS Cannes, l’Athletic car j’y ai vécu des expériences énormes. J’ai démarré ma carrière d’entraîneur à Cannes, je reste 4 ans à Bilbao et je réussis des choses formidables. Ça te marque et tu t’identifies à tous ces gens, ce public, ces supporters. Quand tu sors, les gens ne sont pas agressifs. Et puis ils connaissent le football !

Elle avait quoi cette vieille Catedral de San Mamés ?

Dans les chants, dans l’ambiance, c’était très fort. Tu sentais l’engagement du public et ça c’était merveilleux. Les gens ont l’Athletic dans le coeur, c’est un sentiment qui leur appartient et on s’en rend compte quand on se promène dans le Pays basque. C’est une philosophie qui leur est propre. Ils te font courir plus vite, sauter plus haut. Même quand tu rates, on t’applaudit. Donc cette passe ratée, tu vas la retenter et la réussir. Et puis ils ont cette connaissance du football. La relation public-joueurs-staff : à San Mamés, j’étais sur un nuage. Et quand je suis revenu, notamment avec l’Espanyol, quand on a marqué un but, je ne me suis pas levé pour le célébrer, tout simplement parce que je ne pouvais pas. Pourtant, on devait se sauver mais c’est peut-être le seul match où je ne me suis jamais levé, par respect pour ce public, ce club et ce stade. J’avais dit à Pierre Alonzo de passer les consignes parce que je ne pouvais pas. Pour une fois, je suis resté au calme !

Un dernier mot sur l’Euro de la Roja. Ce n’est pas fameux depuis le début de la compétition : est-ce que vous pensez que l’élimination guette contre la Slovaquie ? 

J’espère qu’elle va se qualifier, sinon ce serait une sacrée déception ! L’équipe va souffrir car ce n’est pas la même génération et qu’elle est en phase de reconstruction. Pour ça, je fais confiance à Luis Enrique. C’est quelqu’un que j’apprécie, qui a réalisé de belles choses avec le Barça. Mais pour le moment quand on la voit jouer, on voit bien qu’il en faut davantage pour être au niveau de l’Allemagne, de la France ou de l’Italie alors qu’il y a quelques années, l’Espagne était au-dessus de tous ces pays-là.

Propos suscités par François Miguel Boudet (entre deux commandes pour la 8 au Ô Pas Sage)

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