🎙 Interview – Damien Perquis : « Lewandowski, c’est l’attaquant moderne avec les caractéristiques du 9 à l’ancienne »

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Ancien joueur du Betis, international polonais et consultant pour BeIN Sports, Damien Perquis est l’homme de la situation pour évoquer cet Espagne-Pologne qui vaut très cher. L’ancien défenseur central, actuellement en charge de la réserve du Gazélec, revient sur son parcours chaotique chez les Verdiblancos, le rêve réalisé de jouer pour le pays de sa grand-mère et les aventures du perroquet de Geoffrey Kondogbia.

Damien Perquis, vous êtes international polonais et ancien joueur du Betis. Justement, comment vous êtes-vous retrouvé à Heliópolis ? 

Après l’Euro 2012, j’ai reçu l’appel d’un agent qui n’était pas le mien. Il m’a expliqué que depuis la compétition, j’étais suivi en Espagne, principalement par le Betis et Mallorca. Je suis allé au Betis car Vlada Stosic, le directeur sportif de l’époque, m’avait repéré.

Le Betis est un club immense en Espagne mais il est toujours entre deux crises et vous avez pu en être témoin. 

Effectivement, lors de ma 2e saison, on descend en Segunda. On s’était qualifié pour la Ligue Europa, on a fait un beau parcours mais on avait éprouvé des difficultés en championnat. Par le passé, le Betis a eu des mauvaises gestions, il y avait des problèmes en coulisses. Descendre avait évidemment été une grande déception.

Vous avez tout de même eu l’opportunité de voir le Benito-Villamarín en feu quand l’équipe gagne.

Pour moi, l’afición du Betis est la plus belle d’Espagne, tout simplement. Il y a une communauté énorme dans tout le pays et à chaque déplacement, nous avions beaucoup de supporters avec un parcage rempli, l’effervescence à l’hôtel. Il y a une identité et une institution Betis dans toute l’Espagne. Et quand le stade est rempli, c’est magnifique !

Vous avez joué avec deux légendes du Betis et qui jouent encore à près de 40 ans : Jorge Molina et Rubén Castro. Ça ne vous fait pas envie ? 

Non, pas spécialement parce qu’eux sont encore capables d’être physiquement au niveau. Moi, j’ai dû arrêter en partie parce que j’éprouvais des difficultés. Même à l’entraînement, je sentais que j’étais moins bien. Il faut savoir s’arrêter et ne pas faire l’année de trop et ma dernière saison a été chaotique au Gazélec.

« à séville, Si quelqu’un n’a qu’un euro dans la poche, il préfère t’offrir une bière plutôt que de se la payer pour lui. Cette générosité m’a beaucoup marqué et C’est un état d’esprit commun à toute la ville ».

On imagine que vos blessures vous ont frustré quant à votre passage à Betis. Vous n’avez pas été épargné.

C’est certain car le Betis est un club qui me correspond au niveau de l’énergie, des supporters, de cet enthousiasme. Je me suis blessé avec la sélection et j’ai perdu 2 mois à cause d’une déchirure. Quand je suis revenu, je souffrais du dos. En fin de saison, j’ai eu un morceau du ligament de la cheville arraché. Et la 2e saison a aussi été compliquée.

Vous pensez que votre corps vous a fait passer la note après vos efforts pour être disponible pour l’Euro ? 

Je pense, car ça avait été émotionnellement très dur. Je m’étais imposé un gros travail physique pour revenir à temps. Avant l’Euro, j’avais eu une blessure (quintuple fracture au coude et à l’humérus, ndlr) qui devait me prendre entre 4 et 6 mois pour retrouver le terrain. Après ça, je n’ai pas envie de dire qu’il y a eu un relâchement parce que ce serait faux mais j’avais envie de savourer et je l’ai peut-être un peu trop savouré.

Votre coach a été Pepe Mel, un nom bien connu en Espagne. Il est réputé pour son leadership, ses missions sauvetage et c’est aussi lui qui a lancé Pedri à Las Palmas. Est-ce que son image d’homme à poigne charismatique le définit ?

C’est un entraîneur qui est très bon dans le management, il a confiance dans sa philosophie de jeu. Moi, je n’étais pas un de ses élus. En fait, Vlada Stosic m’a vendu le projet en me disant que Pepe Mel me voulais. Or je me rends compte que je ne suis pas dans ses petits papiers. Il a donc fallu que je travaille deux fois plus et avec les blessures qui sont arrivées… Pour autant, c’est un entraîneur dont je respecte la philosophie. C’était porté sur l’offensive et il avait cette faculté à sortir beaucoup de jeunes. Il a lancé Álvaro Vadillo qui joue à l’Espanyol aujourd’hui et Alejandro Pozuelo qui est actuellement à Toronto et qui a fait une belle carrière en Belgique.

La vie à Séville permet de compenser les mauvais moments dus aux blessures notamment ? 

Séville est la plus belle ville d’Europe que j’ai pu visiter, y compris au niveau des gens. Si quelqu’un n’a qu’un euro dans la poche, il préfère t’offrir une bière plutôt que de se la payer pour lui. Cette générosité m’a beaucoup marqué et c’est un état d’esprit commun à toute la ville. En revanche, ce n’est pas parce que j’ai été blessé que j’ai eu plus l’occasion d’en profiter. Bien au contraire, j’évitais de sortir car les supporters sont tellement passionnés, c’était la crise, il y avait beaucoup de chômage, alors que j’étais payé. J’avais beaucoup de mal avec le regard extérieur. Dans mon jardin, avec la chaleur, le soleil, j’étais au top, mais la deuxième année, on évitait de sortir par rapport à la pression populaire. On ne faisait pas de bons matches et cela se ressent en ville. J’avais des adresses où je me permettais d’aller car je savais que ce ne serait pas hostile, pas au niveau des remarques mais plutôt au niveau des regards où on ressentait de la tension. Le Betis allait mal et on était les fautifs.

Éternel débat : y a-t-il plus de Béticos que Sevillistas ?

Il y a plus de Béticos ! Malgré les blessures, j’ai tout de même des souvenirs. Le plus grand, c’est le Gran Derbi en Ligue Europa. Après la qualification à Kazan, on tombe contre Sevilla en 1/8. En plus, c’était en format aller-retour, c’était exceptionnel. On va gagner là-bas mais malheureusement on perd au retour et au je me claque au bout de 20 minutes. Finalement, c’était un peu le résumé de ma vie à Séville.

C’est l’heure de la question fatidique : c’est quoi cette histoire de perroquet avec Geoffrey Kondogbia ?

Geoffrey jouait à Sevilla et il m’appelle un soir pour me dire qu’il signe à Monaco et qu’il doit partir. Il me demande de nourrir son perroquet. Comme on habitait dans la même résidence, il me ramène la cage, je la mets dans le sous-sol. Sauf que son perroquet est très malin, il sait ouvrir la porte de la cage. Du coup, il s’est envolé dans le garage. La première fois, on avait réussi à le rattraper…mais pas la deuxième ! Il est parti voler dans les arbres de la résidence ! On avait appeler quelqu’un qui avait pu le récupérer et puis Geoffrey l’a ensuite emmené à Monaco et lui l’a ensuite définitivement perdu.

Damien Perquis – 05.12.2014 – Real Betis / Almeria – Coupe du Roi – Photo Icon Sport

« Je me suis entraîné sur le terrain de La Cartuja pendant 3 mois avec le Betis. il faut le dire : cette pelouse est vraiment une merde ! »

Cet Espagne-Pologne a tout du match de la mort entre les deux équipes a priori favorites du groupe mais qui ont connu des contre-performances lors du premier match. Malheur au vaincu ? 

Même avec la possibilité de passer au titre de meilleur 3e, il faut partir du principe qu’il faut au moins une victoire pour y prétendre et ne pas avoir une différence de buts négative. La Pologne a perdu contre la Slovaquie et le carton rouge reçu par Grzegorz Krychowiak prive l’équipe d’un très bon joueur car il connaît très bien le football espagnol puisqu’il a joué à Sevilla. C’est le match à ne pas perdre, l’Espagne est favorite, ça complique la tâche.

Sans parler de la pelouse !

Je me suis entraîné sur le terrain de La Cartuja pendant 3 mois avec le Betis et il faut le dire : cette pelouse est vraiment une merde ! Je ne comprends pas comme on peut faire jouer l’équipe nationale là-dessus. C’est d’ailleurs ça qui fait que l’Espagne n’a pas été flamboyante. J’aurais aimé voir ce match au Sánchez-Pizjuán ou au Benito-Villamarín. Elle aurait pu jouer à Madrid, dans de plus beaux stades pour lui permettre de mieux jouer.

La star de la Pologne, c’est Robert Lewandowski. Vous l’avez côtoyé lors de l’Euro 2012. Il était déjà coté mais il y avait aussi des histoires de brouilles avec ses coéquipiers et compatriotes au Borussia Dortmund, ça se ressentait en sélection ? 

Lewy est quelqu’un de très introverti mais à l’époque, j’avais déjà dit qu’il figurerait parmi les meilleurs buteurs du monde. Il y avait des bisbilles au Borussia Dortmund, notamment avec Jakub Błaszczykowski et Łukasz Piszczek qui étaient arrivés avant lui. Lewy venait du Lech Poznan et s’était plutôt rapproché des Allemands. Je ne me suis surtout pas mêlé de leurs histoires.

Même s’il n’a pas eu d’opportunité contre la Slovaquie, on a l’impression persistante qu’il y a de moins en moins de profil comme le sien, avant tout buteur de surface.

Maintenant, on trouve plus d’attaquants qui ont tendance à décrocher, du style de Karim Benzema, ou qui cherchent la profondeur. On peut par exemple voir avec l’Italie qu’il n’y a pas un 9 de classe mondiale. Certes, Ciro Immobile marque beaucoup en Serie A mais on voit qu’il pêche un peu avec la Nazionale. L’Angleterre a Harry Kane qui correspond davantage à ce 9 de surface. C’est vrai que les profils ont évolué et Lewy est un attaquant très complet, capable de décrocher, d’être très agile malgré sa grande taille. Je me rappelle d’un but qu’il avait inscrit contre le Real Madrid : en pleine surface de réparation, il avait pu se retourner, frapper et marquer. C’est l’attaquant moderne qui a conservé les caractéristiques du 9 à l’ancienne.

Avec sa femme, il a aussi élaboré un suivi nutritionnel inédit.

Son épouse Anna est une ancienne karatéka professionnelle (deux fois médaillée européenne, ndlr) et elle a monté une marque de compléments alimentaires, de barres de céréales. De ce que j’ai pu observer, elle a toujours été aux petits soins pour lui, comme s’il s’agissait de son propre corps. Il a une hygiène de vie irréprochable.

Il s’autorise même à commencer ses repas par le dessert ! 

(Rires) Comme quand on faisait les repas inversés à la cantine quand on était petit ! C’est particulier mais c’est un mode de vie et d’alimentation qu’il respecte.

Aymeric Laporte est sélectionné avec l’Espagne. Est-ce que vous voyez des points de vue avec votre propre parcours et celui de Ludovic Obraniak en sélection ? 

Je ne vois pas de vraies similitudes parce que Laporte est en Espagne depuis qu’il est très jeune, il parle très bien espagnol, aussi bien que le français. Avec Ludo, nous n’avions pas cet avantage. Par exemple, ma grand-mère comprenait le polonais mais elle ne le parlait plus trop. Nous n’avons pas eu ces bases-là et c’était compliqué. Heureusement que Krycho nous a beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup aidés. Il fallait utiliser l’anglais et comme l’essentiel des joueurs évoluait en Pologne et ne le parlait pas, ce n’était pas simple non plus. Là où on peut rejoindre le cas de Laporte, c’est par rapport à son intégration au sein d’une équipe qui se connaît déjà et aussi parce qu’il vient d’arriver et qu’il prend la place d’un autre.

Vos exemples restent plutôt rares en Europe.

La Pologne est un pays très nationaliste, très fier de ses origines. Il y a des mouvements d’extrême-droite qui étaient opposés. Mais c’était aussi une ouverture aux frontières. Les Polonais sont entrés dans les mœurs du monde actuel, ils ont vu des gens voyager et s’installer dans d’autres pays. Je savais que c’était le terrain qui ferait la différence. Quand j’entrais sur la pelouse, je me disais que j’avais encore moins le droit à l’erreur. Je partais du principe que je devais à chaque fois faire un match plein. C’est ce qui m’a permis de me faire accepter au fur et à mesure. Je voulais montrer que j’avais le niveau, que je ne prenais pas la place mais qu’on me mettait à la place parce que j’avais fait de bonnes prestations.

DAMIEN PERQUIS – 12.06.2012 – Pologne / Russie – Euro 2012
Photo – Varsovie (Pologne)

« Quand ma grand-mère m’a dit qu’elle avait réalisé son rêve et qu’elle ne me remercierait jamais assez… Elle était très pudique mais quand tu vois cette immense fierté, tu te dis que tu as réussi ta vie »

Emotionnellement, ça procure quelles sensations de représenter le pays de ses racines ? 

A titre personnel, c’est un projet que je nourrissais avec ma grand-mère depuis que j’avais 17 ans. Quand je commençais avec les pros, elle me faisait à déjeuner et on en discutait. Elle me disait qu’elle voulait retourner au pays, là où ses parents ont vécu. Je n’étais pas encore international espoirs français mais je lui disais que si on faisait tous les papiers, je pourrai jouer un jour pour la Pologne. On a monté le dossier, on s’est heurté à des obstacles mais tout s’est bien terminé puisque, outre ma participation à l’Euro, ma grand-mère a pu retourner en Pologne pour la première fois de sa vie. Quand elle m’a dit qu’elle avait réalisé son rêve et qu’elle ne me remercierait jamais assez… Elle était très pudique mais quand tu vois cette immense fierté, tu te dis que tu as réussi ta vie. C’est marqué à vie et en parler aujourd’hui est d’autant plus émouvant qu’elle est partie récemment. Ce qui m’avait marqué à l’époque, c’est le manque d’ouverture de certains. Bien sûr qu’il y a eu de l’opportunisme, je ne m’en suis jamais caché et qu’il y avait un Euro à disputer en Pologne. Mais quand elle m’appelait, je me sentais fier de ce que je lui apportais. Quand l’hymne retentit, je pense à ma grand-mère. J’ai joué cet Euro pour elle. Peut-être que ça a déplu, mais moi je sais pourquoi je l’ai fait. Il faut bien comprendre que je n’avais pas à me justifier sur mon sentiment d’appartenance parce que je l’ai toujours eu : ma grand-mère m’apprenait des petits mots en polonais, on mangeait polonais et je voyais ses amies polonaises. Je n’allais pas m’excuser de disputer l’Euro !

Votre famille est de quelle ville ?

Un petit village à côté de Poznan. Quand elle y est retournée, elle a retrouvé le fils d’un cousin de sa mère. On a participé à un film documentaire et les réalisateurs ont emmené ma grand-mère pour la filmer et c’est à ce moment-là qu’elle a fait cette découverte.

On a l’impression que votre histoire était écrite d’avance !

J’ai vécu ça comme un rêve. On sort d’un match contre la Grèce, on est moyen, je manque l’occasion de la gagne, je n’étais pas bien. Mais ensuite, contre la Russie, je réalise peut-être le plus beau match de ma carrière. Au bout de 15 minutes, j’ai un trou dans le tibia de la taille d’une pièce de 20 centimes. Je retourne sur le terrain et je joue quitte à ne plus pouvoir marcher à la fin. Les gens et la presse ont eu une bonne opinion. Il restait le dernier match pour nous qualifier et même si on n’y est pas parvenu, j’avais été bon. Je voyais ma grand-mère à la fin de chaque rencontre et j’avais l’impression de l’avoir ramenée elle et toute ma famille dans le temps et l’époque de nos ancêtres. Même sans la qualification, je l’ai vécu comme un conte de fée.

Et puis réussir son meilleur match contre la Russie, c’est le bon moment pour être apprécié !

Il y a une atmosphère… Un ami polonais venu de Troyes pour le match était comme un dingue, il me disait que dans les gradins, les gens parlaient de moi. Ça m’a galvanisé. Je me suis dit que tout ce que j’avais fait pendant 3 mois, à Capbreton, sans ma famille, de m’être fait opérer, de finir aujourd’hui avec un handicap du bras gauche que je ne peux pas complètement déplier, je ne regrettais rien car j’ai vécu des choses extraordinaires.

Vous êtes actuellement consultant pour BeIN Sports pendant l’Euro, sur La Chaîne L’Equipe, il y a Ludovic Obraniak : ça chambre un peu entre les deux internationaux polonais ?

(Rires) Non, pas du tout, je suis très content de ce qu’il fait. Ludo s’exprime très bien en plus, il a des idées, il dit ce qu’il pense, et franchement, il n’est pas déplaisant à voir. Allez, je vais lui mettre un petit tacle : je pense que le coup de fourchette a été multiplié !

Propos suscités par François Miguel Boudet

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