🎙 Interview : José Daniel Alfonso (Malmö FF) : « La Suède ne ressentira pas l’absence de Zlatan mais il lui manquera son génie »

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Natif de Cartagena dans la province de Murcia, José Daniel Alfonso vit sous des latitudes nordiques depuis plusieurs années. Après avoir été analyste au FC Nordsjælland au Danemark, il travaille à présent au Malmö FF, l’un des plus grands clubs suédois. Avant que la Roja ne défie les Blågult, il nous fait part de ses observations sur le football scandinave, son fonctionnement et, évidemment, sur la figure tutélaire de Zlatan Ibrahimovic, grand absent de cet Euro.

Comment un Espagnol s’est-il retrouvé dans un pays où il fait nuit à 16h dès le mois d’octobre ?

J’ai étudié en Espagne, un Master en analyse sportive puis j’ai eu l’opportunité de travailler en deuxième division, à Cartagena ma ville natale. J’y suis resté 4 ans. Et puis l’entraîneur de l’époque, Juan Ignacio Martínez, a signé à Levante et je l’ai suivi pour faire partie de son staff pendant 2 saisons. Nous sommes ensuite allé à Valladolid, à Almería. J’ai toujours été tenté par l’étranger. Après un moment au chômage, j’ai rejoint le Danemark et le FC Nordsjælland, connu pour son centre de formation et inspiré par le football espagnol, avec des joueurs techniques qui prennent l’initiative avec le ballon et au pressing. J’y suis resté 3 ans avant de signer à Malmö qui se situe de l’autre côté de l’Øresundsbron, le pont qui relie le Danemark à la Suède. Et cela maintenant que 3 ans que j’y suis.

L’Espagne et la Suède sont deux pays très différents : comment vous-êtes vous adapté à cette culture nordique ?

Je me sens très bien ici, ma fiancée est de Malmö. En plus, je ne suis pas parti parce que je n’aimais pas l’Espagne ou la Liga mais pour découvrir justement une nouvelle culture. Le football est ma passion et c’est lui qui m’a offert ce genre d’opportunité que je n’aurais peut-être pas eu autrement.

Les Suédois sont réputés amicaux mais il faut au préalable être entré dans leur cercle. Vous l’avez vécu ?

Oui, ils ont une façon de penser différente. Par exemple, ils sont très respectueux, notamment par rapport à la vie privée de chacun et à l’espace à laisser. A titre personnel, comme je suis venu pour travailler, j’avais des collègues qui m’ont aidé et facilité les choses. Ils m’ont ouvert la porte de chez eux et cela s’est fait naturellement. C’était plus évident que si vous ne connaissez personne. Les Espagnols sont plus expressifs mais parfois pour ce qui est de l’intimité, c’est difficile de rester tranquille. Et par rapport au travail, ma perception est qu’en Suède on veut vraiment profiter de la lumière du jour. Du coup, le travail est effectif et efficace pour avoir du temps de libre. Et ici, les gens boivent énormément de café. Moi je n’en bois pas et ça surprenait beaucoup mes collègues. Et je me suis rendu compte que les plus gros consommateurs de café en Europe et dans le monde sont les Scandinaves mais ils étaient convaincus que les Espagnols en buvaient plus qu’eux. C’est devenu un sujet de blagues entre nous (rires).

Des techniciens espagnols sont souvent contactés sur LinkedIn par des clubs étrangers, cela a-t-il été votre cas avec le FC Nordsjælland ?

Il existe un site, Theanalist.com, qui s’intéresse aux aspects tactiques et théoriques, aux données, aux analyses vidéos. Des annonces de travail sont régulièrement publiées. J’ai tout simplement postulé. C’était une expérience totalement atypique parce que généralement, ça se passe par l’intermédiaire d’amis, d’amis d’amis, d’agents. Mais en fait, je suis arrivé en Scandinavie en envoyant mon CV et après deux entretiens, j’ai été engagé.

210410 Malmö FFs Anel Ahmedhodzic jublar med lagkamraterna efter att Sören Rieks gjort 2-1 under fotbollsmatchen i Allsvenskan mellan Malmö FF och Hammarby den 10 april 2021 i Malmö.
Foto: Ludvig Thunman / BILDBYRÅN / kod LT / LT0146
By Icon Sport – Anel AHMEDHODZIC – Malmö Stadion – Malmo (Suede)

Ça aide d’être Espagnol pour trouver un club à l’étranger ?

Cela dépend du contexte et du club. Le football espagnol est très bien perçu hors de nos frontières. En plus, l’entraîneur du FC Nordsjælland était très intéressé par le jeu de position et le poste d’analyste n’existait pas. Cela a contribué à leur intérêt pour mes aptitudes et également au mien car le club souhaitait développer un football qui me plaisait. Le club a disputé la Ligue des Champions en 2012 et est assez jeune car il est monté en première division en 2004. Il a beaucoup travaillé sur l’éclosion de jeunes talents. Il y a eu des joueurs comme Mathias Jensen qui a signé au Celta en 2018 et qui vient de monter en Premier League avec Brentford. Le dernier grand potentiel sorti est le Ghanéen Mohammed Kudus qui évolue à l’Ajax.

La Liga semble de plus en plus ouverte aux joueurs venus des championnats scandinaves. Outre Jensen, il y a eu Pione Sisto et Stanislav Lobotka au Celta, Daniel Wass et Jens Jönsson ont connu des détours mais ce sont désormais des cadres à Valencia et à Cádiz.

En Scandinavie, les clubs insistent énormément sur la formation, tout simplement car ils ne sont pas en mesure de concurrencer de nombreux championnats au niveau des droits économiques. Donc plutôt que d’importer des joueurs, la meilleure façon de progresser et de se développer est de former avant d’exporter.

Quel est votre rôle à Malmö ? Est-ce que cela se cantonne à un seul secteur d’analyse ou le département d’analyse traite la data de manière collégiale et globale ?

A Malmö, le système se structure. A côté de ça, je suis un adjoint de l’entraîneur chargé de l’analyse vidéo. C’est un rôle assez important et on constate que le club nous encourage énormément, nous appuie et investit pour que nous ayons les meilleurs moyens à disposition.

En 2018, nous avions interviewé le fondateur de Fox in the Box, un logiciel finlandais spécialisé dans l’analyse de data et qui travaillait notamment avec le Deportivo Alavés. L’entreprise avait été financée par les anciens de Nokia. Existe-t-il des initiatives de ce genre en Suède ?

La fédération et la ligue professionnelle suédoises ont un accord pour investir dans divers secteurs, de l’analyse à la formation, en passant par les équipements et les infrastructures. A Malmö, nous travaillons avec une entreprise locale, Spiideo, qui a développé des caméras tactiques qui ont également utilisé en USL aux Etats-Unis. Quand on a moins de potentiel économique, il faut savoir précisément là où on désire investir pour optimiser les rendements.

Le Malmö FF est un club notoire en Suède, finaliste de la Coupe d’Europe des Clubs champions en 1979. Quel est l’engouement populaire par rapport à l’équipe ?

Parmi les pays scandinaves, la Suède est celui où le soutien populaire est le plus fort. Le stade de Malmö fait le plein ou presque à chaque match. Et c’est le cas dans de nombreux clubs. Cela m’a beaucoup surpris. Je ne pensais pas qu’un pays aussi froid puisse avoir une telle afición (rires). Comme Malmö est une équipe qui gagne, les supporters sont exigeants et réclament la qualification pour l’Europe afin que nous représentions la Suède. Les jours de match, on voit les autobus avec les drapeaux du club qui font le tour de la ville pour que tout le monde sache que nous jouons.

210331 Zlatan Ibrahimovic of Sweden during the international friendly football match between Sweden and Estonia on March 31, 2021 in Stockholm.
Photo: Andreas L Eriksson / BILDBYRÅN / COP 106 / JM0103
By Icon Sport – Zlatan IBRAHIMOVIC – Friends Arena – Solna (Suede)

Malmö, c’est aussi la ville natale de Zlatan Ibrahimovic. Il a récemment investi dans le club rival d’Hammarby et cela a été très mal perçu. Quelle est son image chez lui ?

Zlatan est du quartier de Rosengard, un quartier avec de nombreux immigrés et des classes populaires et ouvrières. Il est très aimé car il représente la lutte pour réussir quand tu viens d’un autre pays. La Suède est un pays accueillant et il est un symbole d’intégration et de succès. Cela fait de lui un modèle pour les Suédois autochtones comme les Suédois venus d’ailleurs. Ibra était vraiment une idole locale jusqu’à l’année dernière. Il y a eu beaucoup de déception quand, un mois après l’inauguration de sa nouvelle statue, il a acheté des parts d’Hammarby. Des supporters ont déboulonné la statue qui était devant le stade. Cela a créé la controverse.

Ibrahimovic est le joueur suédois le plus connu mais il n’a pas connu la grande épopée avec la sélection comme Gunnar Gren et Nils Liedholm en 1958 ou Henrik Larsson et Thomas Brolin en 1994. La Suède a sorti l’Italie en barrage du Mondial 2018 sans lui non plus.

Zlatan est un jugadorazo. Il a un talent naturel qui manquera à la sélection suédoise lors de cet Euro. Mais la Suède s’est qualifiée avant tout grâce à son bloc défensif solide et sa capacité à convertir ses occasions. En ce sens, l’équipe ne va pas ressentir énormément son absence. Mais il lui manquera le génie de Zlatan qui peut marquer un but de nulle part.

L’attraction de la saison en Suède a été le passage éphémère de Marek Hamsik à l’IFK Göteborg. Y a-t-il eu un regain d’intérêt suite à cette arrivée inattendue ? 

Il n’était pas là quand Malmö a affronté Göteborg et je n’ai malheureusement pas pu l’observer de près. Il est venu préparer l’Euro et comme le mercato était encore ouvert, il a pu rejoindre le club. Cela a été une vraie surprise et cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu un joueur aussi médiatique. C’est toujours d’avoir un tel exemple dans le championnat, un joueur qui puisse servir de modèle pour les jeunes pour améliorer leur niveau. J’espère que leurs supporters ont su en profiter.

Est-ce que la sélection suédoise est un reflet de son championnat ?

Je ne trouve pas. La majorité des clubs veut avoir l’initiative, avec la possession et du jeu de possession. Envoyer de longs ballons devant, cela ne se fait plus vraiment. Pourtant, la sélection a un style de jeu plus conservateur. Cela peut se comprendre dans le sens où la Suède, au niveau international, a une tradition moindre et la façon de jouer en championnat n’est pas encore arrivée en sélection. Mais c’est peut-être aussi en raison de la volonté du sélectionneur de jouer ainsi car il connaît ses joueurs et se dit que c’est la meilleure manière de réussir. Et la qualification semble lui donner raison jusqu’à présent.

L’idée de jeu est de trouver très vite les attaquants en sautant le milieu de terrain, avec toujours beaucoup de verticalité ?

Exactement. Quand tu vois un de leurs matches, ce n’est pas toujours très élaboré mais ils sont très forts sur les coups de pied arrêtés, tout comme sur leurs centres dans la surface. Ils sont dominants dans ces secteurs car ils parviennent à optimiser leur rendement.

A quoi peut-on s’attendre contre l’Espagne pour ce premier match de groupe ? Dans les deux camps, il y a eu des cas de COVID-19 et la préparation a été tronquée. 

Il y a beaucoup d’incertitudes et ça s’annonce serré. Avec tous les impondérables qu’il y a eu récemment, y compris lors de la préparation des matches amicaux, tout peut se passer. Mais on peut envisager que chaque équipe comptera sur son propre style, aussi bien l’Espagne avec sa qualité technique et sa capacité à se connecter pour des possessions très rapides accélérées par de grosses individualités, et de l’autre un collectif compact qui devra mettre à profit les quelques occasions qu’il se procurera.

Comment un analyste espagnol travaillant en Suède perçoit l’état de la Selección ? Est-ce aussi faible que présagé ? 

Le niveau des joueurs est très bon mais c’est vrai aussi qu’il sera très difficile de retrouver la génération dorée qui a tout gagné. Pour autant, la Selección a toujours été compétitive. Et dans ce tournoi, sur un seul match, tu peux te qualifier pour le prochain tour. L’Espagne a tout à fait le potentiel pour le faire.

Et puis le groupe n’est pas aussi relevé que celui de la France par exemple. 

C’est vrai mais je ne suis pas un grand fan du concept des favoris d’une compétition. Dans un tournoi très court, il peut tout se passer. Et il n’y a pas besoin de regarder loin en arrière pour se rappeler de plusieurs surprises en demi, en finale ou même vainqueur. On peut terminer 3e de son groupe et ensuite gagner, le Portugal l’a montré en 2016. Tu peux terminer 1er mais affronter un equipazo dans un 1/8 aux airs de finale et tu es dehors. Et puis, il y a également la notion de dynamique à prendre en compte, c’est dans les difficultés que se forme un groupe et cela naît pendant le tournoi.

Propos suscités par François Miguel Boudet

 

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