Vieux, usé, fatigué. Poussé vers la sortie par le Barça, recalé à un entretien surréaliste en italien pour acquérir la nationalité transalpine et signer en Serie A, Luis Suárez a trouvé refuge à l’Atlético de Madrid. Non seulement, il s’est mué en buteur providentiel mais il a en plus conduit le Cholo Simeone a faire évoluer son système de jeu. En quelques mois, le résultat est déjà là : les Colchoneros sont champions d’Espagne. Luis Suárez est le joueur de l’année pour ¡Furia Liga!
Cela aurait pu être une nouvelle fois Lionel Messi, dont le génie n’est jamais érodé par le temps qui s’écoule, capable à lui seul ou presque de replacer le FC Barcelone sur le toit de l’Espagne, à défaut de l’Europe car, au milieu du marasme institutionnel et collectif, à l’impossible nul n’est tenu, pas même Lui. Cela aurait pu être Karim Benzema, à la fois chef d’orchestre et premier violon d’un Real Madrid trop ronronnant et manquant de fantaisie. Mais, en regard de l’ironie de l’histoire, de son échec à un examen d’italien alors qu’il devait rejoindre la Serie A, de la façon dont il a relancé une attaque morne et profondément contribué à modifier le jeu d’une équipe que l’on pensait jusqu’alors incapable de changer, Luis Suárez a été l’homme de la saison 2020-2021.
Les histoires d’A.
Le temps de Luis Suárez au Barça était révolu. Du moins comme titulaire indéboulonnable. Devenu trop lent, trop gros, le poids trop lourd du vestiaire a été prié de voir ailleurs. Éconduit comme un paria par un simple coup de fil de Ronald Koeman, le même qui réclame du respect en conférence de presse, le Pistolero a décampé du Camp Nou par la porte de service, vestige d’une MSN dont le souvenir ne cesse d’alimenter le moulin à rumeurs catalan. Initialement, l’Italie devait être la destination du Charrua. L’Inter et la Juventus étaient tentées. Mais pour cela, il fallait recevoir le passeport transalpin après un examen de langue. Une formalité… que Suárez n’a pas été en mesure de réussir, incapable de conjuguer autrement qu’à l’infinitif et manquant cruellement de vocabulaire. Dès lors, il fallait trouver une autre porte de sortie au buteur honni. Pour seulement 7M€, l’Atlético de Madrid a sauté sur l’occasion. Le début d’une petite révolution qui a conduit à la conquête du titre en Liga.

Photo by Icon Sport – José Zorrilla – Valladolid (Espagne)
Évasion
Depuis plusieurs saisons, l’Atlético s’imposait comme une alternative crédible à l’éternel duel Real Madrid-FC Barcelone. Mais hormis en 2014, les Colchoneros n’ont pas su ravir le titre en Liga, alors que tout était réuni pour y parvenir. Outre cette faillite, le jeu rojiblanco laissait de plus en plus à désirer. Les purges se multipliaient et le sempiternel 4-4-2 resserré et très bas rebutait même les plus fervents supporters, alors que cet Atlético-là était, en termes de résultats, le meilleur d’une histoire initiée en 1903. Vu et revu, devenu éculé et pénible à regarder, le Cholismo avait besoin d’un vent nouveau. Mais parier sur un joueur de 33 ans sonnés, il fallait le voir pour le croire. C’est pourtant ce qui s’est passé. El Mono Burgos parti après un Final 8 désastreux et achevé dès le 1/4 de finale contre le RB Salzburg, Nelson Vivas est devenu l’ombre de Diego Simeone. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble à Estudiantes et le 3-5-2 avait régulièrement été utilisé. Changement d’air et changement d’ère : cette saison 2020-2021 devait provoquer un nouveau cycle.
C’est comme ça
Avec le recrutement de Luis Suárez, deux solutions s’imposaient : utiliser l’Uruguayen en sortie de banc (ce qu’aurait pu faire le Barça avec davantage de pédagogie et de diplomatie afin de ne pas se contenter de Martin Braithwaite comme unique solution en 9) ou l’intégrer dans le jeu. Dans le 4-4-2 traditionnel, associer le Pistolero au pressing n’aurait strictement servi à rien, même en cours de match. Et dans la mesure où le Charrua n’était pas venu jouer les utilités, il devenait impératif de le rendre protagoniste.
Remplaçant pour le premier match de la saison contre Granada (6-1), Súarez joue 20 minutes, marque un doublé et adresse une passe décisive. Une belle entrée en matière. En concurrence avec un Diego Costa, Bestia jadis T-Rex, présentement en voie d’extinction, le Pistolero est titulaire dès le match suivant contre Huesca (0-0). Hormis blessure ou coronavirus, il ne quittera plus sa place dans le XI, hormis contre l’Athletic (1-2) lors de la 32e journée, après avoir été indisponible 3 matches consécutivement. Une belle preuve de confiance de la part de Simeone mais aussi un reflet du manque de profondeur à ce poste, un problème récurrent pour les équipes du podium en Espagne.
Deux matches nuls sans but consécutifs contre Huesca et Villarreal provoquent le début de la gestation d’un nouveau paradigme colchonero. Pendant encore 3 matches l’Atleti évolue à 4 défenseurs : Celta, Betis, Osasuna. Lors des deux premiers, Suárez marque à chaque fois. Contre les Rojillos, il est blessé.

C’est lors de la 9e journée (le 7e match de la saison de l’Atlético, les 2 premières journées étant reportées en raison du Final 8, ndlr) que les Rojiblancos font véritablement basculer leur saison. La Bestia Costa n’est plus là et s’ils veulent profiter au maximum de l’ancien Blaugrana, le jeu doit impérativement évoluer. Simeone et Vivas prennent le parti de passer à 3 derrière et de renforcer le milieu de terrain, avec deux ailiers tous terrains pour multiplier les courses et les dépassements de fonctions. Si le 3-5-2 n’a pas été systématique, il a eu le mérite de restructurer une équipe en quête d’un second souffle en matière offensive. Antoine Griezmann évoluant dans un rôle protéiforme jusqu’en 2019, l’Atlético et Simeone se sont énormément reposés sur lui et aucun attaquant n’a pu le compléter efficacement en championnat. Avec Luis Suárez, l’équipe a été contrainte de s’adapter aux capacités de l’Uruguayen. Avec des éléments offensifs plus proches de lui, les Colchoneros ont retrouvé de l’efficacité. Lors des 3 dernières saisons, ils avaient marqué 58 buts en 2017-2018, 55 en 2018-2019 et 51 en 2019-2020 (8e attaque de Liga !).
Cool frénésie
Avec 21 buts et 3 passes décisives, Luis Suárez est le « pur » buteur fiable qui manquait à l’Atlético depuis cette fameuse saison 2013-2014 lors de laquelle Diego Costa avait planté 36 banderilles en Liga et 8 en Champion’s. Les limites physiques de l’Uruguayen ont été transformées en force et cela tient proprement du miracle. Certes, cela ne convient pas au cran supérieur. Suárez n’a plus le niveau pour émerger en C1 et cette campagne, guère plus glorieuse que la précédente aussi bien pour lui que pour l’Atlético, l’a confirmé. La fin de saison colchonera a été erratique, l’ombre du Pupas a plané mais à chaque fois, c’est le buteur providentiel qui a planté ses crocs, contre l’Osasuna et le Real Valladolid. Ses deux buts ont valu un titre à l’Atlético et ses larmes sur la pelouse du José-Zorilla témoignaient de la rage qui l’a animé tout au long d’une saison qu’il aura marqué de son sceau. Le banni a réussi son pari. Il restait bien quelques cartouches Parabellum dans le flingue du Pistolero.
François Miguel Boudet