Deux ans après avoir décidé de faire une demande officielle d’intégration au sein de l’UEFA et de la FIFA, la fédération basque a déposé à la mi-décembre son dossier de candidature. L’objectif est clair : obtenir la reconnaissance d’une équipe officieuse depuis plus d’un siècle.
Peut-être en hommage à 1915 et l’année du premier match de sa sélection, la fédération basque – appuyée par le gouvernement local – a franchi le pas le 15 décembre. En 105 ans, l’Euskal Selekzioa a parcouru un long chemin. Les traditionnels matchs de Noël – dont le dernier a vu les Basques s’imposer 3-1 contre la Tunisie – ont pris fin en 2016. Un processus de réflexion avait par la suite été engagé, avant de déboucher sur un accroissement de son ambition. Reconnue par aucune instance si ce n’est la fédération basque, l’Euskal Selekzioa a fait le choix en 2018 de disputer ses matchs lors des mêmes trêves internationales que les Bleus ou la Roja.
Ainsi en octobre d’il y a deux ans, la sélection basque avait reçu le Venezuela dans un stade de Mendizorrotza enflammé. Les locaux s’étaient imposés par 4-2, dans un match qui avait pour but de réaffirmer le souhait de la société basque d’avoir sa propre sélection. Mais depuis 2018, l’avancée s’est considérablement ralentie…
L’accord de Durango puis plus rien
L’ambiance créée par les supporters au Mendizorrotza avait autant impressionné les Basques que les joueurs vénézuéliens. Tifo géant, fumigènes, tambours et chants inarrêtables étaient au programme du début à la fin du match. La fédération, inquiète depuis le fiasco de 2016 – seulement 15 000 personnes avait assisté au match contre la Tunisie à San Mamés – avait pris conscience que le peuple basque soutient toujours sa sélection.

Mais supporters comme joueurs en attendent bien plus. Les matchs de Noël représentaient davantage un divertissement au milieu des fêtes de fin d’année qu’une réelle compétition. Jouer durant les trêves internationales permet de donner une vraie-fausse impression de légitimité. Cela permet également de trouver plus facilement des adversaires. Le Costa Rica avait par exemple profité de son match contre le Qatar en Autriche pour se rendre en terres basques trois jours plus tard. Le directeur du sport du gouvernement basque, Jon Redondo, se félicitait alors de la « visibilité donnée à la sélection » lorsqu’elle joue en pleine trêve.
Poursuivant dans son élan d’ambition, la fédération dirigée par Luis Mari Elustondo avait franchi un premier cap, en soumettant aux votes la demande d’officialisation de son équipe. Le 12 décembre 2018, l’Assemblée générale de Durango vote à l’unanimité – seule une abstention – pour faire une demande officielle d’intégration auprès de la FIFA et de l’UEFA. Une décision historique dont les espoirs s’amenuiseront rapidement. En mai 2019, l’Euskal Selekzioa se déplace pour affronter le Panama (0-0), sans qu’aucune candidature n’ait encore été déposée par la fédération basque.
2020, particulière même au Pays Basque
En début d’année, à une époque où tout le monde se dit que le virus apparu à Wuhan n’arrivera pas en Europe, les sportifs basques sont plein d’ambition. En mars, 750 d’entre eux signent un manifeste en faveur de la participation officielle d’une sélection basque dans les compétitions internationales. Un document qui va bien au-delà du ballon rond, mais dans lequel on retrouve des footballeurs des cinq principales équipes. Oier Sanjurjo d’Osasuna, Manu García d’Alavés ou encore Asier Villalibre de l’Athletic sont signataires. C’est d’ailleurs à San Mamés qu’est présenté ce manifeste.

Huit mois plus tard, toujours aucune candidature déposée. Dans un contexte cette fois pandémique, la fédération basque décide de disputer un match, malgré l’imposition du huis-clos. Au nom du gouvernement basque, Jon Irondo explique que « l’Euskal Selekzioa continue de rivaliser avec d’autres équipes internationales ». L’absence du public est dommageable mais doit selon lui illustrer « l’engagement à continuer de concourir normalement et régulièrement ». L’emballement médiatique autour de cette victoire, dans le temps additionnel face au Costa Rica, apportera une nouvelle preuve de l’engouement autour de cette sélection.
Une couverture médiatique qui se poursuit deux jours après la rencontre, lorsqu’Elustondo affirme sur Radio Euskadi qu’il « existe un pré-accord entre le gouvernement basque et celui de Madrid pour ouvrir la présence des équipes sportives basques au niveau le plus officiel et international ». Déclaration qu’il corrigera le lendemain sur Cadena Cope, s’excusant de sa maladresse : « Il n’y a pas d’accord préalable pour que le Pays Basque participe à des tournois internationaux ».
La perte de patience des joueurs portent ses fruits
Le président de la fédération locale s’humilie à la radio. Pire encore, il déçoit les espoirs d’un peuple encore motivé par la victoire face au Costa Rica. Trois semaines après, ce sont les joueurs eux-mêmes qui décident de booster Elustondo, à qui ils adressent une lettre publique. Se lamentant qu’aucune avancée n’ait été faite depuis l’accord de Durango, Ainhoa Tirapu, Mikel Riesgo, David Zurutuza et Asier Illarramendi veulent du changement. Des personnalités loin d’être anonymes. La première était gardienne des sélections espagnole et basque, Illarramendi représente la sélection actuelle – et a lui aussi joué pour l’Espagne – tandis que les deux autres sont des figures récentes de l’Euskal Selekzioa.

Ensemble, ils s’inquiètent du mandat d’Elustondo qui arrive à sa fin et lui demandent de tenir la promesse faite en 2018. « Cette procédure devant les instances internationales compétentes doit être effectuée maintenant » écrivent-ils. Six jours plus tard, la fédération et le gouvernement basque annoncent dans un communiqué commun que la direction d’Elustondo se rend en Suisse pour déposer le dossier de candidature.
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La délégation se rend aux sièges de l’UEFA et de la FIFA – respectivement à Nyon et Zurich – pour transmettre leur demande d’intégration. Le 15 décembre 2020 devient un jour historique. Elustondo termine son mandat comme il se doit. De retour de Suisse, le président de la fédération ne fait aucune mention du coup de pression qu’il a reçu quelques jours avant. « Ça n’a pas été facile, en raison de la pandémie et de d’autres circonstances, mais nous voulions terminer notre mandat ainsi » a-t-il affirmé au premier micro tendu.
Bataille juridique avec la RFEF
Javier Clemente, sélectionneur de l’équipe basque, n’était pas passé par quatre chemins sur ETB. « La Fédération espagnole fera tout son possible pour que l’Euskal Selekzioa ne soit pas officialisée ». C’est donc sans surprise que la RFEF a rapidement exprimé sa désapprobation. Profitant d’une assemblée prévue le lendemain, son directeur institutionnel a affirmé que la candidature basque est « irréalisable ». « L’une des conditions nécessaires est d’être un pays reconnu par la majorité de la communauté internationale » a poursuivi Jorge Mowinckel, ajoutant que « [UEFA et FIFA] n’ont des relations qu’avec les institutions nationales, et non pas avec celles membres de ces dernières ».

D’après les informations qu’il a dévoilées ce 17 décembre dernier, ces instances n’ont pas reçu la fédération basque. Celle-ci avait anticipé la réaction de Madrid et a communiqué sa réponse quelques heures plus tard. Elle explique notamment que son but n’était pas de rencontrer la FIFA mais uniquement de leur transmettre le dossier de candidature. Elustondo rappelle qu’il a envoyé un message à Luis Rubiales le jour même à 18h50, pour lui faire part de son déplacement en Suisse. Le Basque a affirmé « n’avoir reçu aucun message ni mail du président de la fédération espagnole ».
La fédération basque n’est pas dupe. Elle sait que la FIFA et l’UEFA ont contacté Madrid après réception de leur candidature. Elustondo et sa direction espèrent – peut-être naïvement – pouvoir compter sur le soutien du gouvernement espagnol. Le Premier ministre Pedro Sánchez avait en effet négocié « la promotion de la culture basque au niveau international » avec les partis indépendantistes locaux, en échange de leur soutien au Parlement.
Un projet au cœur des tensions politiques
C’est sans doute en lien avec cette alliance passée en janvier 2020 qu’Elustondo avait déclaré le mois dernier qu’un préaccord avait été trouvé entre Madrid et Gasteiz à ce sujet. À ce stade, seul le gouvernement basque soutient le projet d’officialisation. La RFEF pourrait suspendre le processus, ce qui conduirait au Tribunal Arbitral du Sport. Il faudrait pour en arriver là que la FIFA valide la reconnaissance de l’Euskal Selekzioa. Aussi peu probable soit-elle, cette officialisation entraînerait des conflits politiques de grande envergure.

L’actualité illustre dans quelle situation pourrait se retrouver le Pays Basque en cas de reconnaissance sportive. L’Espagne est dans le même groupe que le Kosovo pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 2022. Problème : Madrid ne reconnaît pas l’existence de ce pays des Balkans qui a déclaré son indépendance en 2008. Au contraire de l’Espagne, la FIFA a officialisé l’existence – au moins sportive – du Kosovo. Affronter cet État lui donnerait de la légitimité et risquerait surtout d’inspirer la fédération basque. Dans son dossier de candidature, Elustondo aurait d’ailleurs pris l’exemple du Kosovo pour valider la position de l’Euskal Selekzioa.
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Pour des raisons politiques claires, il paraît quasiment impossible de voir des sélections européennes affronter le Pays Basque. Les clubs étrangers au Pays Basque refusent d’ailleurs de prêter leurs joueurs à l’Euskal Selekzioa. Actuellement, aucune équipe du Vieux-Continent n’a d’ailleurs accepté de jouer contre l’Euskal Selekzioa. Il faut remonter jusqu’à 2006 pour trouver l’existence d’un déplacement du Pays de Galles en terres basques. Sur Radio Marca, le sélectionneur basque Javier Clemente avait d’ailleurs glissé qu’un « match contre l’Espagne ne serait pas bizarre mais sportivement très intéressant ».
Un « lent recours » qui pose question
Pas sûr que les dirigeants politiques de France et d’Espagne soient du même avis. Les particularités territoriales du Pays Basque posent évidemment problème. Euskal Herria est composé de trois parties : la Communauté autonome du Pays Basque (les trois provinces du Pays Basque espagnol), la Communauté Forale de Navarre (autre province en territoire espagnol) et l’Iparralde (les trois provinces du Pays Basque français). Les joueurs issus des sept provinces peuvent porter le maillot de l’Euskal Selekzioa. Ainsi Bixente Lizarazu a pu disputer un match avec la sélection basque.

Dans le cas où cette équipe était reconnue par la FIFA, le sort des joueurs étrangers à la Fédération basque pose problème. Les Navarrais tels qu’Iker Muniain ou Roberto Torres pourraient-ils encore jouer ? Et qu’en sera-t-il des Français d’Iparralde ? Sportivement, la sélection basque ne peut pas se séparer de ses joueurs navarrais. La question a forcément été traitée dans le dossier de candidature mais pour des raisons administratives, la FIFA pourrait interdire la présence de Français ou de Navarrais dans l’Euskal Selekzioa.
Tout ceci est évidement hypothétique et il apparaît plus que probable que les instances internationales refusent l’officialisation sportive d’Euskal Herria. Les différents recours possibles et les tensions politiques qu’elles entraînent risquent de considérablement retarder la décision. « Ça va être long, mais nous avons posé la première pierre » tranche Luis Mari Elustondo. Guidé par l’espoir, les Basques veulent leur Selekzioa.
Jérémy Lequatre-Garat
@Euskarade