Paula Serrano a beau avoir été formée à l’Atlético de Madrid, c’est elle qui a ouvert le score contre les Colchoneras en 1/16 de finale aller de la Ligue des Champions. Avant le match retour (20h30), la milieu de terrain du Servette a pris le temps pour ¡Furia Liga! de raconter ce but historique pour le club suisse, mais aussi de sa carrière et de sa région natale, l’Estrémadure.
Paula Serrano, vous avez été formée à l’Atlético de Madrid et c’est vous qui avez ouvert le score contre les Colchoneras !
Jouer contre mon ancienne équipe, c’est comme revenir à la maison. Marquer ce but est un signe du destin. Mais l’émotion reste la même que si ça avait été contre le Bayern ou Chelsea car ce que je souhaitais, c’était aider le Servette du mieux possible.
Vous pouvez nous décrire ce but vécu de l’intérieur ?
On récupère le ballon dans notre camp, à hauteur de la ligne médiane. On s’oriente à gauche, une coéquipière joue le un contre un à l’intérieur. Elle donne à notre milieu de terrain qui est placée dans l’axe. Il y a ensuite un centre dans la surface, je vais au duel et je parviens à frapper avec la pointe du pied. Et c’est rentré !
C’est un but qui intervient contre le cours du jeu car la possession était principalement en faveur de l’Atlético de Madrid. Cependant, le Servette n’a pas perdu son identité de jeu. C’était le plan de départ ?
Nous savions que ce serait difficile de tenir le ballon contre une telle équipe. Nous devions donc disputer un match différent de l’accoutumée car nous aimons nous approprier la balle et faire le jeu. Nous étions conscientes que ce serait comme ça. Alors, nous désirions utiliser toutes nos cartes pour obtenir le meilleur résultat possible.
En dépit de la défaite, 4-2 reste un résultat honorable, d’autant que le Servette a remporté la première période (il y avait 2-1 pour les Suissesses à la pause, ndlr). Cela reste anecdotique mais encourageant vu la différence de professionnalisme entre les deux équipes ?
Exactement, par rapport au niveau respectif de chaque club, être rentrées au vestiaire avec l’avantage au score est un très bon indicateur pour le Servette, dans le sens où nous faisons bien les choses. Mais c’est vrai que lors des 10 premières minutes de la 2e mi-temps, si nous avions eu un tout petit peu plus de concentration, le match se serait peut-être terminé avec encore moins de différence au tableau d’affichage et on aurait plus de possibilités en vue du match retour à Madrid.
Avant le match, Marta Peiró disait que Ludmila da Silva était l’une des meilleures attaquantes mondiales. Elle ne s’y est pas trompée puisque la Brésilienne a quasiment gagné le match à elle seule avec un doublé et deux passes décisives.
Avant même notre match en Ligue des Champions, Ludmila a été déterminante pour l’Atlético en championnat contre l’Athletic. Peut-être que l’Atlético se focalise trop sur elle, ce qui parfois lui coûte collectivement. Mais si ce système fonctionne, il n’y a pas de raison de ne pas l’utiliser car c’est une joueuse vraiment très forte. D’une manière globale, l’Atlético dispose d’une équipe de très haut niveau et a une manière très professionnelle de s’entraîner et de se préparer physiquement. Le Servette n’est pas une équipe 100% professionnelle, il y a des joueuses qui travaillent et qui s’entraînent en même temps. C’est plus difficile de concurrencer une telle équipe, malgré nos efforts. Au retour, nous donnerons tout pour revenir de Madrid avec le meilleur résultat possible.
Vous travaillez à côté du football ?
A une époque, j’étais complètement professionnelle mais désormais je travaille à mi-temps et mes horaires s’adaptent au football puisque je travaille avec un sponsor du Servette. J’aimerais me dédier à 100% au football mais ce n’est pas le cas.
Que peut espérer le Servette lors du match du retour, sachant qu’il faudra marquer au moins 3 buts à Madrid pour réaliser un exploit ?
C’est la première fois que le Servette dispute la Ligue des Champions. Nous savons que cette compétition est très relevée mais aussi que le football est parfois magique et que rien n’est impossible. Alors, nous irons à Madrid pour faire le meilleur résultat. Que nous y parvenions ou pas, nous apprendrons de cette expérience, quoi qu’il advienne, dans le positif comme dans le négatif. Cela nous servira pour les prochaines années si, je l’espère, le Servette se qualifie de nouveau. Quand nous reviendrons, nous pourrons participer de la meilleure des manières.
Cette double confrontation contre l’Atlético de Madrid permet aussi au Servette d’attirer les regards sur son travail et son projet, ce qui pourrait plaire à des joueuses pour renforcer l’équipe dans les prochains mois ?
Tout à fait et cela met aussi en valeur le travail que nous réalisons toutes pour faire grandir ce projet. J’espère que des filles viendront s’y ajouter pour apporter de la qualité à notre équipe. Par rapport à ce que souhaite mettre en place le Servette pour les prochaines années, c’est que comme ça que cela pourra se réaliser.
D’ordinaire, le Servette recherche le protagonisme avec le ballon. Comment vit-on un match où on est contraint de d’abord bien défendre. La concentration est différente ?
C’est certain mais nous nous étions préparées mentalement à disputer un tel match. Avant d’entrer sur le terrain, toute l’équipe savait exactement ce qu’il fallait faire et que ce ne serait pas ce que nous avions l’habitude de proposer. Néanmoins, une fois que nous avions le ballon, nous devions essayer de jouer du mieux possible, car c’est notre essence. Sur le plan défensif, toutes les filles étaient particulièrement concentrées pendant tout le match. Nous avons fait du mieux possible, même si nous avons commis quelques erreurs qui nous ont coûté des buts. Mais c’est comme cela qu’on gagne en expérience. C’est très difficile de rester aussi concentrées aussi longtemps mais on a fait notre maximum.
Le Servette a su être réaliste car, même sans avoir beaucoup d’opportunités offensives, vous avez marqué deux fois. C’est une satisfaction d’y être parvenues ?
Je trouve que si l’aspect défensif a été très bon, l’aspect offensif l’a été tout autant. Nous avons profité de nos incursions au maximum avec un excellent rendement. Il y a des matches où les ballons ne veulent pas entrer mais nous avons eu cette réussite. C’était merveilleux pour l’équipe et aussi à titre personnel, car j’ai inscrit le tout premier but du Servette en Ligue des Champions.
C’est votre 3e saison en Suisse (elle a évolué au FC Neunkirch en 2017-2018 avant de signer au Servette en 2018, ndlr). Comment estimez-vous le niveau du championnat, sachant qu’il n’y a pas beaucoup d’équipes mais tout de même un projet ambitieux au Servette ?
La différence par rapport à des pays comme l’Espagne ou l’Italie, c’est que la Suisse est plus petite et qu’il y a donc moins de filles pour jouer au football. Je constate que le niveau est en train de grimper car les clubs misent de plus en plus dans leurs sections féminines, notamment en allant cherchant des joueuses étrangères, ce qui a des répercussions sur la qualité du championnat. Chaque année que j’ai passée ici, le championnat progresse, notamment grâce au Servette, à Zürich et à Bâle. Ce sont souvent les étrangères qui améliorent le niveau. Par exemple, au coup d’envoi, l’Atlético n’avait que 3 Espagnoles sur le terrain (Laia Aleixandri, Amanda Sampedro et Silvia Meseguer, ndlr). Avec l’arrivée d’AXA comme sponsor-titre du championnat, je pense que cela contribuera à donner une meilleure médiatisation au football féminin et donc d’augmenter le niveau général.
On constate que de plus en plus de joueuses espagnoles quittent la Primera pour jouer à l’étranger. C’est bon signe ?
La Primera a majoritairement été composée de joueuses espagnoles renforcées ponctuellement par des étrangères. Les choses évoluent peu à peu. Les Espagnoles rejoignent d’autres championnats, comme Ona Battle qui est à Manchester United, Lola Gallardo à Lyon, Irene Paredes au PSG ou encore Virginia Torrecilla qui a porté le maillot de Montpellier. On voit que les grandes équipes s’intéressent aux joueuses espagnoles car elles ont de grandes qualités.
En clubs comme avec la Selección et les catégories de jeunes, l’Espagne peut devenir une grande puissance dans un futur proche ?
L’Espagne a beaucoup de potentiel et d’ici 5 ans elle aura un niveau qui pourrait être supérieur à la France. Quand j’avais 20 ans à peu près, je me suis aperçue que des filles qui avait 6 ans de moins que moi débutaient dans des équipes féminines, pas avec des garçons comme cela a été mon cas jusqu’en U14. La génération née en 1998 a commencé à s’entraîner directement dans des équipes de filles.
Est-ce que c’est dû en partie à la culture sportive et la culture du stade, même s’il y a toujours du machisme et du sexisme ?
C’est vrai qu’il y a du machisme mais de moins en moins et c’est une bonne nouvelle. En Espagne, devenir joueur professionnel a toujours été le rêve des petits garçons mais aussi des petites filles. Au début, quand nos matches étaient diffusés pour la première fois, beaucoup disaient que personne ne nous regarderait. Mais en réalité, l’inverse s’est produit. De nombreux journalistes en interview m’ont dit qu’ils n’aimaient pas le football féminin ou qu’il n’avait même pas vu un match…avant de changer d’avis. Le football féminin est, entre guillemets, un sport différent du football masculin. Je trouve que le football professionnel masculin est devenu un spectacle au lieu de rester un sport. Si tu regardes une émission sportive à la télévision, on te dit si Messi est triste, si Cristiano a répondu à l’entraîneur. Je ne vois quasiment rien qui parle de football, de tactique. C’est en train de se perdre. Le football féminin est plus pur. La tactique se travaille de moins en moins chez les hommes car c’est surtout du travail individuel alors que les femmes sont plus organisées.
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Vous avez débuté à l’Atlético de Madrid avant de partir en Italie, à Torres ! Le lien était tout trouvé !
(Rires) J’ai évolué 7 ans à l’Atlético de Madrid et à ce moment-là, j’ai décidé d’aller à Italie car Torres était un très bon club. J’ai eu l’opportunité de disputer mon premier match de Ligue des Champions. J’ai vécu une très belle saison, j’ai découvert le championnat italien. Si je suis ensuite rentrée en Espagne, cette année-là a été gratifiante et j’y ai beaucoup appris.
Après votre 1re expérience en Suisse, vous êtes revenue à Madrid mais chez le rival, le Madrid CFF qui a été créé par un père supporter du Real Madrid qui ne voulait pas que sa fille entre à la cantera colchonera !
Oui, c’est Alfredo, le père de Paulo Ulluoa (la gardienne titulaire du Madrid CFF, ndlr). Il a lancé le club de très bas et regardez où il en est arrivé ! Il a investi beaucoup de temps et d’argent, il a tout fait pour créer une belle équipe et il obtient des résultats tous les ans car le club continue de progresser.
Son seul regret sera peut-être d’avoir été devancé par le CD Tacón pour se confondre avec le Real Madrid ?
Quand on a appris que le Real Madrid allait se doter d’une section féminine, on ne savait pas si ça allait être avec le Tacón ou le Madrid CFF. Mais finalement peu importe car ce qu’il réalise est très fort. Le club se bat très bien et n’a absolument rien à envier à un autre. Le début de saison le prouve (le Madrid CFF est actuellement 7e avec 2 matches de moins et vient de battre l’Atlético de Madrid, ndlr).
Vous êtes Estrémègne : comment expliquez-vous que seul le Santa Teresa soit le seul club de la région en Primera ? On a l’impression que l’Estrémadure est sevrée de clubs performants au haut niveau depuis de très nombreuses années.
Le Santa Teresa était descendu en Segunda il y a quelques saisons mais vient de remonter cette année. Fut un temps, chez les hommes, il y avait Extremadura. C’est vrai que cela fait un moment qu’il n’y a pas eu un club important en 1re division et heureusement qu’il y a le Santa Teresa. Il faudrait peut-être changer certaines choses ou travailler d’une autre manière. Je crois que ça évolue et que les choses avancent. Le moment viendra.
Dernière question, la plus importante : gruyère ou torta del casar ?
(Rires) Torta del casar à 100% ! J’adore le fromage et la torta del casar c’est quelque chose ! Ça schlingue mais qu’est-ce que c’est bon !
Propos suscités et traduits par François Miguel Boudet