Quand on fait rĂ©fĂ©rence Ă la Liga et au football sud-amĂ©ricain en France, impossible de ne pas Ă©voquer Omar Da Fonseca, qui officie en tant que consultant sur les antennes de BeIN Sports, le diffuseur de la Liga en France. CĂ©lĂšbre pour ses envolĂ©es lyriques et ses « crises de technicité » au cĂŽtĂ© de son compĂšre Benjamin Da Silva, le plus Français des Argentins sâest confiĂ© sur les similitudes entre le football, la chanson et la danse. Dans son livre « Gracias a la vida », ballon rond et mĂ©lodies font dâailleurs bon mĂ©nage avec de nombreuses rĂ©fĂ©rences musicales distillĂ©es Ă travers les 296 pages du rĂ©cit de sa vie. Avec le cerveau, le cĆur et surtout le courage, il Ă©voque pour ÂĄFuria Liga! lâinĂ©vitable Diego, Leo, Riquelme, Ben Yedder, le BrĂ©sil de 70, les numĂ©ros 10, le tango, les styles de narration⊠Une interview qui se dĂ©guste avec un matĂ© et un disque de Carlos Gardel.
On connaĂźt les grandes voix du football hispanophone comme Victor Hugo Morales qui a commentĂ© le solo de Maradona contre les Anglais ou encore Carlos MartĂnez en Espagne. Est-ce que vous ĂȘtes inspirĂ© par ces personnes lors de vos matchs et quâest-ce qui a bercĂ© votre enfance ?
Absolument ! Je viens dâune grande famille, ma maman avait onze frĂšres et sĆurs donc on Ă©tait beaucoup de cousins. Câest une Ă©poque oĂč lâon jouait Ă©normĂ©ment, on Ă©tait toujours dans la rue avec pleins de copains dans un quartier trĂšs populaire. Mon grand-pĂšre avait une grosse radio et quand il y avait les matchs, il mettait la radio au milieu et on se mettait autour. En rĂ©alitĂ© on appelait ça « regarder la radio » car on nâavait pas de tĂ©lĂ©vision dans les annĂ©es 60. On Ă©coutait les matchs de foot le dimanche. A lâĂ©poque, il y avait un monsieur qui sâappelait JosĂ© MarĂa Muñoz qui Ă©tait lâun des prĂ©curseurs de la maniĂšre dâimager un match de football. « Il a mis le lacet tout blanc », « regardez il est allĂ© chez le coiffeurâŠÂ », « la grosse moustache », « il avait mauvaise haleine câest pour ça quâil ne sâapproche pas »: il donnait toujours des dĂ©tails amusants. Magnifique ! Jâai toujours Ă©tĂ© nourri Ă travers une image dâinterprĂ©tation et dâimagination.
Quelle est la plus grande différence entre la maniÚre de commenter à la radio et à la télé selon vous ? Et les différences entre commentaires français et hispanophones ?
En France, il y a beaucoup plus de diffĂ©rences entre la radio et la tĂ©lĂ© quâen AmĂ©rique du Sud ou mĂȘme en Espagne. Les commentaires dans ces pays restent avec un dĂ©bit important, peu importe le mĂ©dia, et ils sont plutĂŽt dans des histoires humaines. Ils te racontent le match, ils sont beaucoup plus football. Ici, le football est un peu trop scientifique. Lâautre jour je regardais un match et le mec me sort un tas de statistiques : »Ăa fait 3 matchs quâils nâont pas marquĂ©s, ça fait 178 (il insiste sur le chiffre) minutes quâil nâa pas tirĂ©âŠÂ » : je ne sais mĂȘme pas de quoi il me parle. Je regarde encore beaucoup de matchs en AmĂ©rique du Sud et le rythme, la maniĂšre de raconter le match, de raconter des histoires⊠Il y a un cĂŽtĂ© plus vivant et plus humain. En Argentine, on raconte quand le mec il a achetĂ© la nouvelle voiture, sâil prĂ©fĂšre prendre le yaourt plutĂŽt que le riz au lait Ă la collation⊠Le commentateur interpelle le tĂ©lĂ©spectateur ou celui qui Ă©coute la radio. En France, on parle beaucoup de 4-4-2, de systĂšmes, on veut que le foot soit trop scientifique, donneur de leçon. Pour moi, mĂȘme sâil y a un rĂ©sultat et quâil faut gagner, le spectacle du football doit rester festif et surtout divertissant. Je ne regarde pas un match de foot pour connaĂźtre des statistiques ou des numĂ©ros, mais plutĂŽt pour ĂȘtre dans une bonne adrĂ©naline. Alors attention, câest ma prĂ©fĂ©rence et câest ce avec quoi jâai grandi. Je nâai pas la prĂ©tention de dire quelle est la meilleure maniĂšre de commenter un match de football, chacun possĂšde son ressenti et sa propre culture. AprĂšs, cela sâexplique aussi par la formation. Les journalistes en France sont façonnĂ©s de cette maniĂšre. Je vois tous les jours comment ils prĂ©parent leurs matchs et maintenant ils vont sur internet, ils font des fiches, avec pleins de statistiques, de numĂ©rosâŠ. un peu Ă la maniĂšre des comptables (rires). Ils essaient de raconter des trucs fondĂ©s sur des chiffres, alors que pour moi il faudrait raconter le film. Nous les commentateurs sommes comparables Ă la musique dâun film, on accompagne le match. Mais encore une fois, ce nâest quâune prĂ©fĂ©rence de ma part.
Est-ce que vous avez dĂ©jĂ Ă©tĂ© bridĂ© par rapport Ă votre style de commentaires ? Quâest-ce que vous pourriez rĂ©pondre aux tĂ©lĂ©spectateurs qui disent « Omar il en fait trop avec ses mĂ©taphores. Câest du football pas de la poĂ©sie » ?
Non je ne lâai pas vĂ©cu. Jâai des allusions Ă©videmment, on peut me dire que je parle trop, que je surjoue, que je fais des envolĂ©es volontairement⊠Dâabord je mâen fiche, car je suis avec ce naturel-lĂ , je ne prĂ©pare rien, je reste encore liĂ© au football. Le football me procure des Ă©motions donc je me laisse tout simplement porter par lâadrĂ©naline qui se forme en moi-mĂȘme.
Souvent, on vous entend chantonner Ă lâantenne avec des faits qui se dĂ©roulent durant la rencontre. Est-ce que selon vous, les commentaires de football peuvent ĂȘtre assimilĂ©s Ă un rythme, comme la musique argentine type cumbia ?
Jâadore le faire et câest Ă©videmment liĂ©. Il y a pleins de paroles qui sont faites pour ĂȘtre chantonnĂ©es. Des fois je sors des trucs je dis « ça câest ma prĂ©fĂ©rence⊠câest ma prĂ©fĂ©reeeence Ă moi » (ndlr : en rĂ©fĂ©rence Ă la chanson de Julien Clerc). Je lance le refrain. « Si tu marques marques marques câest ta façon dâaimerâŠÂ » La musique me gĂ©nĂšre de belles sensations. Je chante beaucoup, jâĂ©coute beaucoup⊠Je crois quâil faut ĂȘtre liĂ© aux choses simples et qui nous remplissent. Je prĂ©fĂšre Ă©couter de la musique ou regarder un match de foot plutĂŽt quâavoir une grosse montre ou une grosse bagnole. Je mâen fous de tout ça.
Est-ce que câest une fiertĂ© dâavoir imposĂ© ce style dans un pays oĂč ce nâest pas forcĂ©ment la norme ?
Ce nâest pas une fiertĂ© car ce nâest pas voulu. Je suis moi-mĂȘme et jâai toujours Ă©tĂ© expressif comme beaucoup dâArgentins. Enfin maintenant on a Lionel Messi, ce nâest pas un vrai Argentin (rires). Jâessaye tout le temps de ne pas me rĂ©pĂ©ter Ă lâantenne. Je veux me nourrir pour enrichir ma langue française en lisant et en Ă©coutant de la musique. Câest pour cela que je parle souvent du fer Ă repasser, du pyjama. Le football câest quelque chose de lĂ©ger. En rĂ©alitĂ©, ça mâamuse de sortir ce genre de choses et je suis content que ça puisse amuser les tĂ©lĂ©spectateurs. Mais je ne serai jamais insultant. Par exemple, je nâemploie jamais de mots de guerre, en parlant dâaller au combat, de sortir les armesâŠ
Est-ce que votre duo avec Benjamin Da Silva est comparable au tango, oĂč il faut ĂȘtre en accord avec sa moitié ?
(Rires). Oui, comme toutes les danses oĂč lâon sâattrape. Nous, on est dans une situation oĂč il vaut mieux avoir une alchimie et une bonne entente. Il ne faut pas se marcher dessus, que chacun puisse sâexprimer et ĂȘtre Ă lâaise au moment venu. Entre lui et moi, câest lui qui a Ă©tĂ© obligĂ© Ă sâadapter Ă mon style, qui a trouvĂ© le bon compromis.
Et maintenant sur le terrain de football, il y a des similitudes entre la maniĂšre de se mouvoir sur le terrain et la danse. Par exemple, est-ce que Riquelme ou Redondo sont des « joueurs tangueros » selon vous ? Leur moitiĂ© au final, câest le ballonâŠ
(Il rigole). Ăvidemment quâils le sont ! De nombreux numĂ©ros 10 avaient des allures de danseurs. La danse est liĂ©e au football car il y a une gestuelle corporelle, il y a de lâĂ©lĂ©gance, de la tendresse, un peu de douceur. Mais il y a aussi un peu de raideur, de rigiditĂ©. Ăa dĂ©pend quel danseur et ça dĂ©pend quel joueur. Un jour, jâavais fait une rubrique sur la danse, je disais que Cruyff câĂ©tait Le Lac des Cygnes, les Aristochats, Ronaldinho câĂ©tait la capoeira⊠Maradona câest la danse que lâon nâapprend pas car elle est impossible Ă reproduire !

Justement, est-ce que vous regrettez cette disparition du numĂ©ro 10 un peu « bailarĂn » au profit de milieux de terrain plus rigides ?
Beaucoup, beaucoup⊠Dans les annĂ©es 1970, lâĂ©quipe du BrĂ©sil a Ă©tĂ© championne du monde avec 5 ou 6 numĂ©ros 10. Il y avait Gerson, PelĂ©, Rivelino, Tostao⊠Les gars jouaient tous numĂ©ros 10 dans leur Ă©quipe. Et lâentraĂźneur Zagallo les alignait tous ensemble. Câest une Ă©quipe qui mâavait fascinĂ©e. JâĂ©tais en fusion totale car ils avaient tous de la magie dans leurs pieds. Ils domptaient le ballon. Lâautre fois, je regardais un match, je me disais « mais comment on peut lui mettre le numĂ©ro 10 dans le dos Ă lui ». Je suis encore marquĂ© par cette Ă©poque, par cette symbolique. Le 10, dans toute ma culture, signifie une spĂ©cificitĂ© dâintelligence, de stratĂšge. Câest celui qui doit toucher la balle le plus souvent possible. Quand jâĂ©tais jeune, jâavais participĂ© Ă une dĂ©tection et ils mâont donnĂ© le numĂ©ro 10. Jâavais Ă©tĂ© un dĂ©sastre pendant les matchs mais jâĂ©tais fier de porter ce numĂ©ro (rires). Tout le monde voulait lâavoir. Et mĂȘme lorsque je suis arrivĂ© en France dans les annĂ©es 80, il y avait un paquet dâexcellents Diez : Ferreri, Vercruysse, Giresse, Platini⊠Celui qui portait le numĂ©ro 10 remplissait Ă©galement toutes les fonctions et possĂ©dait lâidentitĂ© du poste.
Aujourdâhui, est-ce quâil y a des joueurs qui vous rappellent un peu cette Ă©poque, type Riquelme ou Zico ?
Il y en a oui. Je retrouve ces sensations chez des joueurs comme Thiago Alcantara, Ben Yedder aussi que jâadore. Câest lâun des seuls joueurs qui fait des prises de balle, aprĂšs il la touche avec la semelle, il a les deux pieds⊠Il fait des choses qui sortent de lâordinaire. Il y a une grande diffĂ©rence entre le football de maintenant et dâantan. Ă notre Ă©poque ou mĂȘme avant, on sortait sur le terrain en se demandant ce quâon allait inventer et comment on allait dribbler. Maintenant ils connaissent tout, lâadversaire, ce quâil a mangĂ©, combien de poils il a dans la barbe⊠Tout est Ă©tudiĂ©, mĂ©morisĂ©, la folie et la surprise nâont plus trop leur place dans le football dâaujourdâhui. Ăvidemment que ce genre de joueur, les Ronaldo, les Riquelme, et mĂȘme les Iniesta, parfois on se demande sâils pourront exister de nouveau dans un football si scientifique. Les profils changent, on voit MbappĂ© qui est moins technique mais plus basĂ© sur la vitesse. Le petit Pedri en revanche pourrait nous faire plaisir. Les intermittents du spectacle ont moins leur place car le systĂšme dâaujourdâhui veut que vous soyez au top Ă tous les matchs, tous les entraĂźnements, mais ce nâest pas possible⊠Le football sâĂ©veille dans les terrains vagues, je veux quâil y ait plus de rue dans les matchs, des dribbles, le mensonge du corpsâŠ
CâĂ©tait le 60e anniversaire de Diego rĂ©cemment. Quelle citation de chanson vous fait penser Ă Maradona ?
(Il se met Ă chanter) « On a tous en nous quelque chose de Diegoooooo ». Johnny Hallyday disait « de Tennessee », mais moi je dis « de Diego » car il reprĂ©sente la complexitĂ© de lâĂȘtre humain, avec nos fragilitĂ©s, nos faiblesses, notre mĂ©diocritĂ©, notre tendresse⊠Il a toujours vĂ©cu dans une espĂšce de situation intouchable, dans la cĂ©lĂ©britĂ©, alors quâil venait dâun des bidonvilles les plus difficiles Ă vivre. Diego câest un hymne Ă la libertĂ©. Il incarne cette insouciance. Avec lui, lâerreur a battu lâexemplaritĂ© par deux buts Ă zĂ©ro, car il a fait des grosses conneries. Mais on a tous en nous quelque chose de Diego car on a tous un jour trichĂ©, un peu fraudĂ©. Lui, câest la dĂ©brouille. Il a amenĂ© la rue et les bidonvilles au stade. Il a vĂ©cu toutes les facettes dâune vie. Jâai jouĂ© avec lui, jâai Ă©tĂ© le voir, je lâai fait venir quand ils lui ont donnĂ© le Ballon dâOr avec Di Stefano. Sâil avait Ă©tĂ© Ă©ligible au Ballon dâOr Ă lâĂ©poque, il aurait eu 250 trophĂ©es (rires).
Et une citation de chanson pour Leo Messi ?
(Il se remet Ă chanter) « Messi⊠Il sâappelle Messi⊠Câest un garçon pas comme les autres, mais moi je lâaime câest pas ma faute » (ndlr : en rĂ©fĂ©rence Ă la chanson de CĂ©line Dion). Il y a aussi : « Queeeeee je tâaime, que je tâaime⊠Que je tâaaaaaaaime » !
Est-ce que dans une autre vie vous auriez aimĂ© ĂȘtre chanteur ?
(Rires) Aaah oui. Câest ma frustration ça, mais je nâabdique pas ! Je voudrais essayer avant ma mort de voir si je peux me faire un petit kiff. Je ne risque rien et je suis passionnĂ©.
Propos suscités par Fabien Chevallier (@fabchevallier)