📝 Analyse / La Real Sociedad d’Imanol Alguacil : finesse tactique et engagement collectif

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Source : IconSport

En ce début de saison, la Real Sociedad s’est installée en tête du championnat avec quatre victoires, deux matchs nuls et une défaite. Alors que l’après-confinement avait été difficile, le succès actuel des Txuri-urdinak s’explique en grande partie par une finesse tactique et un engagement collectif mis en place par Imanol Alguacil. Cette analyse porte principalement sur les deux derniers matchs de Liga contre le Real Betis et Huesca.

Parlons de structure

Dans le football, le mot système a une connotation rigide qui ne colle pas avec la réalité de nombreuses équipes. C’est le cas de la Real Sociedad. Nous allons voir que dans chaque phase du jeu, l’équipe de San Sebastián se structure d’une manière différente. Alors que les feuilles de match annoncent des 4-1-4-1 (ou des 4-4-2), la Real ne se retrouve que rarement dans ce système. Le jeu dicte la structure et nous retrouverons l’équipe d’Imanol Alguacil organisée du 4-1-4-1 au 2-1-4-3, en passant par le 4-1-3-2.

Alors que dans l’Histoire tactique du football certaines équipes structurellement changeantes paraissent avoir une organisation complètement liquide, ce n’est pas le cas de la Real Sociedad. Manque de structure fixe ne veut pas nécessairement dire manque de discipline tactique.

Échelonnement et permutations au milieu de terrain

La sortie de balle fait partie des quelques séquences où on retrouve un 4-1-4-1. Alguacil a mis en place une sortie de balle bien connue, la « Lavolpiana ». Les centraux s’ouvrent, les latéraux montent, le pivot vient demander dans l’axe. Ce dernier a le devoir d’être toujours disponible pour les centraux et créer des triangles. (Image 1). Dans le modèle de jeu d’Alguacil, l’intérieur gauche est très mobile sur la verticalité, il doit à la fois apporter son soutien au pivot et se placer haut sur le terrain en attaque placée. Sur certaines séquences de sortie de balle, l’intérieur gauche (Merino ou Guridi) descend former un double pivot en 4-2-3-1 (Image 2) pour libérer l’espace de son dos. Oyarzabal (ailier gauche) ou Monreal/Muñoz (latéraux gauches) ne sont jamais très loin pour occuper et bénéficier de l’espace créé.

Image 1: Sortie de balle « classique »: les centraux s’ouvrent, les latéraux montent, le milieu vient créer des triangles dans l’axe et attire un adversaire.
Image 2 : Merino descend former un double pivot, attire le milieu adverse et crée un espace pour le latéral gauche

Sur cette phase apparaît une subtilité qui a son importance. David Silva, intérieur droit, est plus avancé sur le terrain que l’intérieur gauche. Cette différence de hauteur est parfois très légère, mais elle témoigne d’une idée précise qui sert de fil rouge au milieu : David Silva doit toujours être plus haut que l’intérieur gauche. C’est Merino qui apporte l’équilibre pour que Silva puisse se déplacer librement plus haut et apporter un échelonnement sur la verticalité (Image 3). Le principe est visible lors de différentes phases avec ballon. De plus, l’attention portée à Silva par ses adversaires lui permet de libérer des espaces grâce à ses mouvements.

La relation entre les 3 joueurs du milieu est une des clés de la Real Sociedad. Il y a une permutabilité entre l’intérieur gauche et le pivot qui s’adaptent au jeu. Le passage à un double pivot se fait naturellement si la situation le demande. Merino, Guevara, Zubimendi et Guridi ont tous les qualités nécessaires pour comprendre leur placement selon où est David Silva. En quelque sorte, la maxime du milieu de terrain Txuri-urdin est : « Quand Silva se balade plus haut, les autres équilibrent. »

Image 3: David Silva offre une ligne de plus sur la verticalité. L’intérieur gauche et le pivot se répartissent les espaces derrières Silva.

Mikel Merino permet à ses coéquipiers d’avoir un joueur référence sur toutes les hauteurs du terrain. Sa capacité à fournir des appuis nécessaires peu importe la zone est une des grandes forces de la Real. Que ce soit derrière pour aider à la sortie de balle et récupérer des ballons, au milieu pour organiser et faire le pressing, mais aussi devant pour faire la dernière passe et charger les seize mètres avec son 1,86m, le Basque est une valeur sûre. Il est sans doute l’un des meilleurs joueurs de Liga actuellement.

Verticalité et répartition des rôles

L’équipe de San Sebastián propose une grande variété de mouvements en attaque. Elle mise sur une alternance entre supériorité qualitative et numérique. C’est-à-dire qu’au lieu de toujours apporter un surnombre dans une zone, l’objectif est de miser sur le fait que la qualité d’un joueur dans une zone sera plus élevée que celle de l’adversaire dans la même zone (supériorité qualitative). C’est le cas avec David Silva qui reçoit dans une zone avec peu d’options mais qui réussit quand même à filtrer une passe vers un attaquant, ou encore celui d’Oyarzabal et Portu qui peuvent être lancés en un contre un.

Offensivement, l’idée est d’arriver au but le plus rapidement possible. Pour cela, il faut casser les lignes avec des passes verticales, proposer différentes hauteurs sur le terrain et s’associer rapidement en haut.  Les 3 devants, Oyarzabal, Willian José/Alexander Isak et Portu ont une répartition des rôles bien définie. Lors d’une attaque rapide le premier récepteur a le rôle d’attirer l’attention de l’adversaire, le deuxième de déséquilibrer (par sa position ou par son action) et le troisième de finir. La répartition ne tient pas forcément du joueur mais de la situation, même si le plus souvent c’est Willian José qui fixe et fait la remise (contrairement à l’image 4 où c’est Oyarzabal), pour qu’ensuite Portu et Oyarzabal attaquent l’espace. Dans tous les cas, la présence de ces trois joueurs demande une concentration extrême des défenseurs adverses.

Image 4: Exemple de triangulation entre les deux ailiers et l’attaquant. Oyarzabal fixe et remet à Portu qui déséquilibre par sa position, Portu essaye de trouver le troisième homme, Willian José, qui se reconnaît en tant que 3ème homme en faisant un appel.

Parmi les trois, Oyarzabal jouit de la plus grande liberté positionnelle. Il faut dire que le numéro 10 a un répertoire impressionnant. On le retrouve dans l’axe dans un rôle de remise et/ou pour proposer une hauteur de plus sur la verticalité (Image 5), sur le côté avec des courses intérieur-extérieur difficiles à contenir ou encore dans les 16 mètres pour amener du danger de la tête. Impossible de parler de la Real Sociedad sans parler du natif d’Eibar. Mikel Merino et lui sont les hommes-clés d’Alguacil.

Image 5: Oyarzabal dézone et vient proposer une ligne de passe verticale dans l’axe. Mouvement régulier quand les trois milieux sont plus bas. A noter également les différentes hauteurs proposées par la Real Sociedad et la largeur qu’offrent les latéraux.

La dynamique offensive change un peu lorsqu’Alexander Isak est sur le terrain à la place de Willian José. Le Suédois est plus mobile que son coéquipier, son jeu demande plus d’espace. La coordination avec Oyarzabal devient importante pour que les deux joueurs ne se marchent pas dessus. Isak remplit moins le rôle de fixateur que Willian José. Tout comme Oyarzabal, il aime attaquer l’espace, faire des courses intérieur-extérieur et toucher le ballon lors de la construction. Son profil fait donc qu’un des deux ailiers peut se retrouver un peu plus bas. La répartition des espaces entre Isak et Oyarzabal reste tout de même un point à clarifier.

D’une manière générale, attaquer l’espace derrière la défense adverse est toujours une option pour les Basques qui savent qu’ils peuvent jouer long sur les trois joueurs aux avant-postes. De fait, les attaques ne suivent pas toujours la logique des trois rôles présentés, mais la possibilité de verticaliser par au moins deux des trois attaquants est à chaque fois présente.

Prendre le temps, mais pas trop

Réduire la Real Sociedad à une recherche constante de verticalité serait réducteur. Par moment les hommes d’Alguacil posent le jeu et s’organisent pour développer une attaque placée. C’est alors que l’équipe se structure dans un 2-1-4-3. Les deux ailiers et l’attaquant se rapprochent pour fixer les défenseurs dans l’axe, les latéraux montent dans les couloirs et les deux intérieurs mènent le bal un peu en retrait (Images 3 et 6).  Pour préparer la perte, le pivot et les centraux restent en arrière. Le pivot et l’intérieur gauche doivent toujours être attentifs à l’équilibre de l’équipe. Si le pivot monte d’un cran en attaque placée, l’intérieur gauche vient compenser et vice-versa.

Image 6 : Les deux ailiers et l’attaquant fixent dans l’axe, les latéraux montent et créent un 5 contre 5 sur le front de l’attaque. Le pivot vient se placer derrière les intérieurs pour préparer la perte.

Les attaques de la Real passent aussi par une occupation des couloirs bien définie. La relation entre l’ailier et le latéral est souvent la suivante : quand l’un est dans l’axe ou le half-space, l’autre est dans le couloir. Ce positionnement mène à des situations où le latéral se retrouve comme un intérieur, ce qui permet à la fois de prévenir la perte de balle et de faire monter un intérieur plus haut (Image 7).

Image 7: Le latéral gauche Muñoz (numéro 12) vient à l’intérieur pour préparer la perte et permettre à l’intérieur gauche Guridi (numéro 14) de surcharger les 16 mètres. Par la même occasion, la répartition des espaces se fait de manière claire avec l’ailier gauche Oyarzabal (numéro 10) qui vient occuper le couloir.

Contre Huesca, le latéral gauche Muñoz s’est parfois retrouvé très haut sur le terrain dans le half-space pour fixer et libérer de l’espace à Oyarzabal (Image 8). Le principe est le suivant : fixer pour libérer un espace qu’un coéquipier pourra occuper. Les ailiers alternent entre être et venir dans le couloir. Ce sont ces placements intérieur/extérieur qui permettent aux ailiers de partir depuis l’intérieur et demander à leur latéral une passe verticale dans le couloir. Oyarzabal est coutumier du fait.

Image 8: Muñoz se place très haut dans le half-space et fixe le latéral adverse. Oyarzabal reste dans le couloir et a la possibilité de créer un 2v1 en faisant l’appel en profondeur.

Bien que travaillées, les attaques organisées ne s’éternisent pas. Le principe d’arriver rapidement au but n’est jamais très loin. Que ce soit par une combinaison avec un des trois qui fixent, par un décalage sur un latéral ou par une accumulation de joueurs (avec les intérieurs qui montent) dans les 16 mètres pour centrer, les Txuri-Urdinak trouvent toujours un moyen de finir l’action. Ils savent se montrer redoutables au moment de centrer et reprendre de la tête. La Real Sociedad refuse d’être stérile avec le ballon, quitte à risquer de le perdre.

Organisation défensive et pressing après la perte

Au moment de défendre, la Real Sociedad a les idées très claires. Si l’adversaire est organisé et fait bon usage du ballon, les joueurs d’Alguacil se structurent en 4-4-1-1. Les ailiers descendent, l’intérieur gauche recule un peu et se tient prêt à bondir si le ballon arrive dans sa zone. Ensuite, Willian José et David Silva sortent mettre la pression.

La ligne de 4 au milieu est très réactive et sort sans hésiter sur les joueurs adverses. Le but n’est pas de maintenir longtemps dans cette structure, mais de limiter la progression des adversaires en réduisant les espaces et les faire reculer rapidement. Encore une fois, le pivot et l’intérieur gauche ont des profils (Guevara, Zubimendi, Merino et Guridi) qui permettent de jouer correctement avec une ligne de 4, alors que Silva est plus utile un cran au-dessus pour préparer la transition offensive. Cette organisation n’est pas imaginable sans discipline tactique et engagement collectif.

Image 9: Deux lignes de 4 se forment et Silva sort au pressing. Les lignes de 4 avancent le plus possible vers l’avant pour faire reculer l’adversaire. Attitude agressive des joueurs qui sortent selon leur zone.

A la perte, le pressing est immédiat. Le joueur le plus proche met la pression sur le porteur, les joueurs autour coupent les potentielles solutions et les joueurs éloignés protègent la profondeur (Image 10). Le principe des trois cercles mêlé à l’intensité des joueurs permet aux Basques de rester proche du but adverse. D’une manière générale, la Real peut se permettre de laisser des espaces dans son dos grâce à la présence d’Elustondo et Le Normand qui dès la perte de balle réagissent vite pour protéger la profondeur. Les deux défenseurs centraux gèrent globalement bien quand il faut défendre les grands espaces.

Image 10: Principe des 3 cercles. Le joueur proche presse le porteur, les joueurs autour coupent les lignes de passes et les plus éloignés protègent la profondeur. Grande intensité demandée à la perte.

Défendre haut, récupérer haut

Quoi de mieux que de parler du pressing haut de la Real pour terminer l’analyse ? Encore une fois, la situation détermine la structure. Les joueurs s’organisent en 4-1-3-2 ou 4-3-1-2 pour empêcher la progression de l’adversaire. Portu monte d’un cran et rejoint Willian José pour presser les centraux à deux, Oyarzabal descend à la hauteur des milieux qui s’organisent généralement avec le pivot qui reste en retrait ou David Silva qui monte un peu. Cependant, Oyarzabal n’occupe pas le couloir. Il entre un peu dans l’axe pour préparer le piège.

Image 11: Blocage de l’axe et orientation corporelles des joueurs pour pousser l’adversaire vers le couloir.

L’objectif de la pression txuri-urdin est de récupérer rapidement pour attaquer proche du but adverse. Pour cela, Alguacil fait le choix de bloquer l’axe et d’orienter vers un couloir, généralement du côté gauche. Le pressing se déroule de la manière suivante. Portu et Willian José orientent les centraux vers la gauche avec des courses en virgule. Les trois milieux se tiennent prêts des adversaires pour empêcher toute possibilité de jouer dans l’axe. Et finalement, lorsque le latéral adverse reçoit la balle, le piège se referme avec Oyarzabal qui vient presser dans le couloir et le latéral gauche le couvre. En résumé, la Real Sociedad laisse de l’espace à l’adversaire dans le couloir pour ensuite le bloquer.

Image 12: Blocage de l’axe et orientation vers une zone libre qui se referme avec Oyarzabal et Muñoz.

Une bouffée d’air frais

Dans une Liga qui se nivelle par le bas depuis quelques années, la Real Sociedad propose une approche différente et ambitieuse qui paye pour le moment. Son pressing, sa recherche de verticalité, son organisation offensive et son engagement ravissent les amateurs de football espagnol en quête de tactiques plus modernes. Si l’après-confinement avait été difficile pour la Real Sociedad, Alguacil a su relancer la machine de plus belle. Inutile de mentir en disant que l’entraîneur basque a inventé les principes mis en place, mais il a le mérite d’avoir implanter des dynamiques collectives cohérentes et attractives tout en potentialisant ses meilleurs joueurs.

Il reste une considération à prendre en compte, l’analyse fournie ici se base sur le début de saison 2020/2021 de la Real Sociedad et en particulier les deux derniers matchs de championnat (Real Betis et Huesca). Il est probable que les adversaires s’adaptent peu à peu à la Real Sociedad, il sera alors intéressant de voir comment les structures et les plans de jeu changent ou se perfectionnent tout en gardant les mêmes principes.

Pablo Sánchez
@pablosanch19

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