En ce dĂ©but de saison, la Real Sociedad sâest installĂ©e en tĂȘte du championnat avec quatre victoires, deux matchs nuls et une dĂ©faite. Alors que l’aprĂšs-confinement avait Ă©tĂ© difficile, le succĂšs actuel des Txuri-urdinak sâexplique en grande partie par une finesse tactique et un engagement collectif mis en place par Imanol Alguacil. Cette analyse porte principalement sur les deux derniers matchs de Liga contre le Real Betis et Huesca.
Parlons de structure
Dans le football, le mot systĂšme a une connotation rigide qui ne colle pas avec la rĂ©alitĂ© de nombreuses Ă©quipes. Câest le cas de la Real Sociedad. Nous allons voir que dans chaque phase du jeu, lâĂ©quipe de San SebastiĂĄn se structure dâune maniĂšre diffĂ©rente. Alors que les feuilles de match annoncent des 4-1-4-1 (ou des 4-4-2), la Real ne se retrouve que rarement dans ce systĂšme. Le jeu dicte la structure et nous retrouverons lâĂ©quipe dâImanol Alguacil organisĂ©e du 4-1-4-1 au 2-1-4-3, en passant par le 4-1-3-2.
Alors que dans lâHistoire tactique du football certaines Ă©quipes structurellement changeantes paraissent avoir une organisation complĂštement liquide, ce nâest pas le cas de la Real Sociedad. Manque de structure fixe ne veut pas nĂ©cessairement dire manque de discipline tactique.
Ăchelonnement et permutations au milieu de terrain
La sortie de balle fait partie des quelques sĂ©quences oĂč on retrouve un 4-1-4-1. Alguacil a mis en place une sortie de balle bien connue, la « Lavolpiana ». Les centraux sâouvrent, les latĂ©raux montent, le pivot vient demander dans lâaxe. Ce dernier a le devoir dâĂȘtre toujours disponible pour les centraux et crĂ©er des triangles. (Image 1). Dans le modĂšle de jeu dâAlguacil, lâintĂ©rieur gauche est trĂšs mobile sur la verticalitĂ©, il doit Ă la fois apporter son soutien au pivot et se placer haut sur le terrain en attaque placĂ©e. Sur certaines sĂ©quences de sortie de balle, lâintĂ©rieur gauche (Merino ou Guridi) descend former un double pivot en 4-2-3-1 (Image 2) pour libĂ©rer lâespace de son dos. Oyarzabal (ailier gauche) ou Monreal/Muñoz (latĂ©raux gauches) ne sont jamais trĂšs loin pour occuper et bĂ©nĂ©ficier de lâespace créé.


Sur cette phase apparaĂźt une subtilitĂ© qui a son importance. David Silva, intĂ©rieur droit, est plus avancĂ© sur le terrain que lâintĂ©rieur gauche. Cette diffĂ©rence de hauteur est parfois trĂšs lĂ©gĂšre, mais elle tĂ©moigne dâune idĂ©e prĂ©cise qui sert de fil rouge au milieu : David Silva doit toujours ĂȘtre plus haut que lâintĂ©rieur gauche. Câest Merino qui apporte lâĂ©quilibre pour que Silva puisse se dĂ©placer librement plus haut et apporter un Ă©chelonnement sur la verticalitĂ© (Image 3). Le principe est visible lors de diffĂ©rentes phases avec ballon. De plus, l’attention portĂ©e Ă Silva par ses adversaires lui permet de libĂ©rer des espaces grĂące Ă ses mouvements.
La relation entre les 3 joueurs du milieu est une des clĂ©s de la Real Sociedad. Il y a une permutabilitĂ© entre lâintĂ©rieur gauche et le pivot qui sâadaptent au jeu. Le passage Ă un double pivot se fait naturellement si la situation le demande. Merino, Guevara, Zubimendi et Guridi ont tous les qualitĂ©s nĂ©cessaires pour comprendre leur placement selon oĂč est David Silva. En quelque sorte, la maxime du milieu de terrain Txuri-urdin est : « Quand Silva se balade plus haut, les autres Ă©quilibrent. »

Mikel Merino permet Ă ses coĂ©quipiers dâavoir un joueur rĂ©fĂ©rence sur toutes les hauteurs du terrain. Sa capacitĂ© Ă fournir des appuis nĂ©cessaires peu importe la zone est une des grandes forces de la Real. Que ce soit derriĂšre pour aider Ă la sortie de balle et rĂ©cupĂ©rer des ballons, au milieu pour organiser et faire le pressing, mais aussi devant pour faire la derniĂšre passe et charger les seize mĂštres avec son 1,86m, le Basque est une valeur sĂ»re. Il est sans doute l’un des meilleurs joueurs de Liga actuellement.
Verticalité et répartition des rÎles
LâĂ©quipe de San SebastiĂĄn propose une grande variĂ©tĂ© de mouvements en attaque. Elle mise sur une alternance entre supĂ©rioritĂ© qualitative et numĂ©rique. Câest-Ă -dire quâau lieu de toujours apporter un surnombre dans une zone, lâobjectif est de miser sur le fait que la qualitĂ© dâun joueur dans une zone sera plus Ă©levĂ©e que celle de lâadversaire dans la mĂȘme zone (supĂ©rioritĂ© qualitative). Câest le cas avec David Silva qui reçoit dans une zone avec peu dâoptions mais qui rĂ©ussit quand mĂȘme Ă filtrer une passe vers un attaquant, ou encore celui dâOyarzabal et Portu qui peuvent ĂȘtre lancĂ©s en un contre un.
Offensivement, lâidĂ©e est dâarriver au but le plus rapidement possible. Pour cela, il faut casser les lignes avec des passes verticales, proposer diffĂ©rentes hauteurs sur le terrain et sâassocier rapidement en haut.  Les 3 devants, Oyarzabal, Willian JosĂ©/Alexander Isak et Portu ont une rĂ©partition des rĂŽles bien dĂ©finie. Lors dâune attaque rapide le premier rĂ©cepteur a le rĂŽle dâattirer lâattention de lâadversaire, le deuxiĂšme de dĂ©sĂ©quilibrer (par sa position ou par son action) et le troisiĂšme de finir. La rĂ©partition ne tient pas forcĂ©ment du joueur mais de la situation, mĂȘme si le plus souvent câest Willian JosĂ© qui fixe et fait la remise (contrairement Ă lâimage 4 oĂč câest Oyarzabal), pour quâensuite Portu et Oyarzabal attaquent lâespace. Dans tous les cas, la prĂ©sence de ces trois joueurs demande une concentration extrĂȘme des dĂ©fenseurs adverses.

Parmi les trois, Oyarzabal jouit de la plus grande libertĂ© positionnelle. Il faut dire que le numĂ©ro 10 a un rĂ©pertoire impressionnant. On le retrouve dans lâaxe dans un rĂŽle de remise et/ou pour proposer une hauteur de plus sur la verticalitĂ© (Image 5), sur le cĂŽtĂ© avec des courses intĂ©rieur-extĂ©rieur difficiles Ă contenir ou encore dans les 16 mĂštres pour amener du danger de la tĂȘte. Impossible de parler de la Real Sociedad sans parler du natif dâEibar. Mikel Merino et lui sont les hommes-clĂ©s dâAlguacil.

La dynamique offensive change un peu lorsquâAlexander Isak est sur le terrain Ă la place de Willian JosĂ©. Le SuĂ©dois est plus mobile que son coĂ©quipier, son jeu demande plus dâespace. La coordination avec Oyarzabal devient importante pour que les deux joueurs ne se marchent pas dessus. Isak remplit moins le rĂŽle de fixateur que Willian JosĂ©. Tout comme Oyarzabal, il aime attaquer lâespace, faire des courses intĂ©rieur-extĂ©rieur et toucher le ballon lors de la construction. Son profil fait donc quâun des deux ailiers peut se retrouver un peu plus bas. La rĂ©partition des espaces entre Isak et Oyarzabal reste tout de mĂȘme un point Ă clarifier.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, attaquer lâespace derriĂšre la dĂ©fense adverse est toujours une option pour les Basques qui savent quâils peuvent jouer long sur les trois joueurs aux avant-postes. De fait, les attaques ne suivent pas toujours la logique des trois rĂŽles prĂ©sentĂ©s, mais la possibilitĂ© de verticaliser par au moins deux des trois attaquants est Ă chaque fois prĂ©sente.
Prendre le temps, mais pas trop
RĂ©duire la Real Sociedad Ă une recherche constante de verticalitĂ© serait rĂ©ducteur. Par moment les hommes dâAlguacil posent le jeu et sâorganisent pour dĂ©velopper une attaque placĂ©e. Câest alors que lâĂ©quipe se structure dans un 2-1-4-3. Les deux ailiers et lâattaquant se rapprochent pour fixer les dĂ©fenseurs dans lâaxe, les latĂ©raux montent dans les couloirs et les deux intĂ©rieurs mĂšnent le bal un peu en retrait (Images 3 et 6).  Pour prĂ©parer la perte, le pivot et les centraux restent en arriĂšre. Le pivot et lâintĂ©rieur gauche doivent toujours ĂȘtre attentifs Ă lâĂ©quilibre de lâĂ©quipe. Si le pivot monte dâun cran en attaque placĂ©e, lâintĂ©rieur gauche vient compenser et vice-versa.

Les attaques de la Real passent aussi par une occupation des couloirs bien dĂ©finie. La relation entre lâailier et le latĂ©ral est souvent la suivante : quand lâun est dans lâaxe ou le half-space, lâautre est dans le couloir. Ce positionnement mĂšne Ă des situations oĂč le latĂ©ral se retrouve comme un intĂ©rieur, ce qui permet Ă la fois de prĂ©venir la perte de balle et de faire monter un intĂ©rieur plus haut (Image 7).

Contre Huesca, le latĂ©ral gauche Muñoz sâest parfois retrouvĂ© trĂšs haut sur le terrain dans le half-space pour fixer et libĂ©rer de lâespace Ă Oyarzabal (Image 8). Le principe est le suivant : fixer pour libĂ©rer un espace quâun coĂ©quipier pourra occuper. Les ailiers alternent entre ĂȘtre et venir dans le couloir. Ce sont ces placements intĂ©rieur/extĂ©rieur qui permettent aux ailiers de partir depuis lâintĂ©rieur et demander Ă leur latĂ©ral une passe verticale dans le couloir. Oyarzabal est coutumier du fait.

Bien que travaillĂ©es, les attaques organisĂ©es ne sâĂ©ternisent pas. Le principe dâarriver rapidement au but nâest jamais trĂšs loin. Que ce soit par une combinaison avec un des trois qui fixent, par un dĂ©calage sur un latĂ©ral ou par une accumulation de joueurs (avec les intĂ©rieurs qui montent) dans les 16 mĂštres pour centrer, les Txuri-Urdinak trouvent toujours un moyen de finir lâaction. Ils savent se montrer redoutables au moment de centrer et reprendre de la tĂȘte. La Real Sociedad refuse d’ĂȘtre stĂ©rile avec le ballon, quitte Ă risquer de le perdre.
Organisation défensive et pressing aprÚs la perte
Au moment de dĂ©fendre, la Real Sociedad a les idĂ©es trĂšs claires. Si lâadversaire est organisĂ© et fait bon usage du ballon, les joueurs dâAlguacil se structurent en 4-4-1-1. Les ailiers descendent, lâintĂ©rieur gauche recule un peu et se tient prĂȘt Ă bondir si le ballon arrive dans sa zone. Ensuite, Willian JosĂ© et David Silva sortent mettre la pression.
La ligne de 4 au milieu est trĂšs rĂ©active et sort sans hĂ©siter sur les joueurs adverses. Le but nâest pas de maintenir longtemps dans cette structure, mais de limiter la progression des adversaires en rĂ©duisant les espaces et les faire reculer rapidement. Encore une fois, le pivot et lâintĂ©rieur gauche ont des profils (Guevara, Zubimendi, Merino et Guridi) qui permettent de jouer correctement avec une ligne de 4, alors que Silva est plus utile un cran au-dessus pour prĂ©parer la transition offensive. Cette organisation nâest pas imaginable sans discipline tactique et engagement collectif.

A la perte, le pressing est immĂ©diat. Le joueur le plus proche met la pression sur le porteur, les joueurs autour coupent les potentielles solutions et les joueurs Ă©loignĂ©s protĂšgent la profondeur (Image 10). Le principe des trois cercles mĂȘlĂ© Ă lâintensitĂ© des joueurs permet aux Basques de rester proche du but adverse. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la Real peut se permettre de laisser des espaces dans son dos grĂące Ă la prĂ©sence dâElustondo et Le Normand qui dĂšs la perte de balle rĂ©agissent vite pour protĂ©ger la profondeur. Les deux dĂ©fenseurs centraux gĂšrent globalement bien quand il faut dĂ©fendre les grands espaces.

Défendre haut, récupérer haut
Quoi de mieux que de parler du pressing haut de la Real pour terminer lâanalyse ? Encore une fois, la situation dĂ©termine la structure. Les joueurs sâorganisent en 4-1-3-2 ou 4-3-1-2 pour empĂȘcher la progression de lâadversaire. Portu monte dâun cran et rejoint Willian JosĂ© pour presser les centraux Ă deux, Oyarzabal descend Ă la hauteur des milieux qui sâorganisent gĂ©nĂ©ralement avec le pivot qui reste en retrait ou David Silva qui monte un peu. Cependant, Oyarzabal nâoccupe pas le couloir. Il entre un peu dans lâaxe pour prĂ©parer le piĂšge.

Lâobjectif de la pression txuri-urdin est de rĂ©cupĂ©rer rapidement pour attaquer proche du but adverse. Pour cela, Alguacil fait le choix de bloquer lâaxe et dâorienter vers un couloir, gĂ©nĂ©ralement du cĂŽtĂ© gauche. Le pressing se dĂ©roule de la maniĂšre suivante. Portu et Willian JosĂ© orientent les centraux vers la gauche avec des courses en virgule. Les trois milieux se tiennent prĂȘts des adversaires pour empĂȘcher toute possibilitĂ© de jouer dans lâaxe. Et finalement, lorsque le latĂ©ral adverse reçoit la balle, le piĂšge se referme avec Oyarzabal qui vient presser dans le couloir et le latĂ©ral gauche le couvre. En rĂ©sumĂ©, la Real Sociedad laisse de lâespace Ă lâadversaire dans le couloir pour ensuite le bloquer.

Une bouffĂ©e dâair frais
Dans une Liga qui se nivelle par le bas depuis quelques annĂ©es, la Real Sociedad propose une approche diffĂ©rente et ambitieuse qui paye pour le moment. Son pressing, sa recherche de verticalitĂ©, son organisation offensive et son engagement ravissent les amateurs de football espagnol en quĂȘte de tactiques plus modernes. Si lâaprĂšs-confinement avait Ă©tĂ© difficile pour la Real Sociedad, Alguacil a su relancer la machine de plus belle. Inutile de mentir en disant que lâentraĂźneur basque a inventĂ© les principes mis en place, mais il a le mĂ©rite dâavoir implanter des dynamiques collectives cohĂ©rentes et attractives tout en potentialisant ses meilleurs joueurs.
Il reste une considĂ©ration Ă prendre en compte, lâanalyse fournie ici se base sur le dĂ©but de saison 2020/2021 de la Real Sociedad et en particulier les deux derniers matchs de championnat (Real Betis et Huesca). Il est probable que les adversaires sâadaptent peu Ă peu Ă la Real Sociedad, il sera alors intĂ©ressant de voir comment les structures et les plans de jeu changent ou se perfectionnent tout en gardant les mĂȘmes principes.
Pablo SĂĄnchez
@pablosanch19