Transversales (RMC Sport) – ¡Furia Liga! / Bielsa à l’Athletic : l’intégralité des interviews réalisées à Bilbao

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RMC Sport a diffusé le programme Transversales consacré à la vie de Marcelo Bielsa et réalisé par Romain Poujaud et Pierre-Henri Cachera. ¡Furia Liga! a été impliqué dans la réalisation de ce documentaire avec François Miguel Boudet et Soledad Arque-Vázquez. Synthétiser la vie de l’entraîneur argentin en 3h30 est d’une rare complexité. Avec l’accord des réalisateurs et de Laurent Salvaudon, directeur de la rédaction de la chaîne, nous publions l’intégralité des interviews réalisées à Bilbao, afin de rendre compte de l’impact du passage de l’entraîneur argentin à l’Athletic sur les joueurs, les supporters et les journalistes.

Les intervenants

Carlos Gurpegui : ex-capitaine de l’Athletic, 393 matches disputés chez les Leones

Jon Rivas : journaliste à El País, spécialiste de l’Athletic et du football basque

Jon Agiriano : journaliste eu Correo de Bilbao, chroniqueur de l’Athletic depuis 1997

Jabi Ortíz : vice-président de la Peña Athletic Marcelo Bielsa

Dans quel contexte Bielsa arrive à Bilbao ? 

Jon Agiriano : A ce moment-là, la situation doit être divisée entre le sportif et l’institution. Marcelo Bielsa arrive au moment des élections. C’est le choix d’un des deux candidats, celui de Josu Urrutia qui a finalement remporté le scrutin. Les élections à l’Athletic génèrent souvent des turbulences. Ça c’est le premier point. De l’autre côté, au niveau sportif, la situation est particulière. L’équipe s’est qualifiée pour la Ligue Europa avec Joaquín Caparrós mais une bonne partie des supporters était fatiguée par le jeu déployé. Il y avait un désir de nouveauté et de changement. Et c’est ce qu’est venu traduire Marcelo Bielsa.

Jon Rivas : Quand l’Athletic change de président, le club est bien classé, qualifié pour la Ligue Europa de la saison suivante. Le nouveau président voulait insuffler de l’ambition à l’équipe. Il ne voulait pas d’excuse pour les défaites en raison de la philosophie limitatrice. Pendant la campagne électorale, sa promesse avec les socios de l’Athletic a été la signature de Marcelo Bielsa.

JA : Urrutia voulait un changement d’entraîneur qui donnerait un nouveau style de jeu à l’équipe. Sa première idée était Ernesto Valverde qui est son ami. Mais Ernesto voulait rester à l’Olympiakos où il était sous contrat. Alors, il a cherché un autre entraîneur et il appréciait Bielsa. A travers les avis de ses connaissances comme Jorge Valdano et Santiago Segurola qui sont des amis de Bielsa, les contacts se sont noués et ont abouti.

JR : Txingurri Valverde est un ami de Josu Urrutia et il a toujours été dans les possibilités. Mais la première idée d’Urrutia était de signer Marcelo Bielsa. Il est venu avec cette idée. Ce qui s’est passé, c’est qu’il pensait à Valverde car la signature de Bielsa a été compliquée car Bielsa pose beaucoup de questions, comme pour toutes les équipes qu’il a dirigées. Il a fini par le convaincre mais ça n’a pas été facile.

Hésiter entre Marcelo Bielsa et Ernesto Valverde peut paraître paradoxal : l’un prône la possession quand l’autre est étiqueté « contragolpe ».

JA : Valverde n’est pas un entraîneur purement de contre-attaque. Cela dépend des joueurs qui s’adaptent. En réalité, Bielsa est tellement spécial qu’il y a un monde entre lui et les autres entraîneurs par l’impact qu’il a sur les équipes qu’il dirige, pour la capacité de transformation qu’il a sur les effectifs afin qu’ils atteignent leur meilleur niveau que même les joueurs eux-mêmes s’étonnent de ce qu’ils peuvent faire. Quand Urrutia pense à Valverde, c’est aussi pour jouer la possession, avec du football offensif, mais avec des nuances par rapport à celles de Bielsa qui lui sont propres et qui lui sont uniques à plus d’un titre.

Quelle est la réputation de Marcelo Bielsa auprès des supporters à son arrivée à Bilbao ?

Jabi Ortíz : Je l’ai connu avec l’Argentine lors des Jeux olympiques.

JR : Bielsa était connu après avoir été sélectionneur de l’Argentine et en Espagne, il avait entraîné l’Espanyol pendant quelques journées avant de diriger la sélection argentine. Sa réputation le précédait et il était connu hors d’Argentine.

JA : J’ai l’impression qu’il n’était pas connu par la grande majorité des supporters. Mais ils l’ont connu petit à petit grâce aux informations que nous avons donné. Lors de la première conférence de presse, il y a eu cette télématique où il a démontré qu’il connaissait non seulement les joueurs de l’équipe première mais aussi tous ceux des catégories inférieures de Lezama. Il a une connaissance encyclopédique, c’est une chose typique de Marcelo. Il avait vu tous les matches de l’équipe première et de la réserve. Il était majoritairement méconnu mais cela s’est transformé en enthousiasme. C’est une chose que lui seul est capable de procurer.

Pour mieux comprendre l’arrivée de Marcelo Bielsa, il faut en premier lieu comprendre le particularisme de l’Athletic, avec l’obligation d’aligner des joueurs basques ou formés en Euskal Herria. Quelle est la place du club dans le quotidien de Bilbao ? 

JA : L’Athletic est sans aucun doute l’institution sportive la plus importante d’Euskadi et de Biscaye. L’Athletic, c’est tout. C’est un club tellement imprégné dans la ville, de l’âme de la ville, qu’on ne peut pas les séparer. L’Athletic c’est Bilbao et la Biscaye. Il n’y a qu’une seule équipe dans la ville, pas comme dans d’autres villes où il peut y avoir plusieurs équipes, avec un derbi et une ville divisée. Ici, c’est une petite ville et tout le monde est pour l’Athletic, à tous les niveaux. Si vous ne connaissez pas la ville, vous découvrirez vite comment vit l’équipe. Elle fait partie de la famille, c’est très personnel.

JO : Bilbao a quelque chose de différent. Bilbao et l’Athletic ont le même cœur. Il y a beaucoup de monde qui n’aime pas le football à Bilbao mais le dimanche après-midi, on te demande ce qu’a fait l’Athletic. C’est très important pour les gens de savoir ce qu’a fait l’Athletic. Même si tu n’aimes pas le foot, que tu ne vas pas à San Mamés, que tu n’achètes ni le maillot ni l’écharpe, tu demandes. Quand on gagne, tout le monde est content.

JR : Pour la Biscaye, l’Athletic est l’unique équipe. Les supporters peuvent suivre l’équipe de leur village dans une autre division mais 95% des gens en Biscaye sont pour l’Athletic, y compris ceux qui n’aiment pas le football. Au Pays basque, il a été le club hégémonique pendant plus d’un siècle et il reste le plus puissant économiquement, même si l’écart s’est réduit avec les autres clubs comme la Real Sociedad. Mais il reste le club dominant. Il y a de nombreuses peñas hors de Biscaye et du Pays basque.

JO : Je crois qu’une de ses raisons pour signer à l’Athletic, c’est pour la spécificité du club, de la ville, des gens. Les gens d’Euskal Herria sont aimables, comme à la maison. Marcelo Bielsa l’a pris en compte. Ne jouer qu’avec des joueurs d’Euskal Herria et formés dans les clubs de la région est un handicap qui est sûrement important pour Marcelo Bielsa. Mais pas seulement pour lui. Même Guardiola a dit qu’il aimerait un jour entraîner l’Athletic. Et ils sont nombreux comme eux. Diriger un club avec ce genre de limitation est un grand défi. Entraîner le Real Madrid, le FC Barcelone, le Paris Saint-Germain, des clubs avec beaucoup d’argent, cela n’a pas de mystère. L’entraîneur doit d’abord être un psychologue pour gérer ses stars. Ici, il faut être un entraîneur.

JR : Du début du XXe siècle jusqu’aux années 50, l’Athletic a été le club le plus important d’Espagne, comparé au FC Barcelone et au Real Madrid qui le suivaient en termes de palmarès. Dans les années 30, il y a eu un entraîneur qui arrivait de France, Fred Pentland, qui était le sélectionneur de la France lors des Jeux olympiques de 1920. Il a remporté 4 Liga et 4 Coupes du Roi jusqu’à ce que se déclenche la Guerre Civile. Après la Guerre Civile, l’Athletic a récupéré cette domination malgré le rapprochement du FC Barcelone et du Real Madrid.

« les entraîneurs, ceux qui viennent d’ailleurs pour grande majorité, sont Bilbaínos même s’ils ne sont pas nés à Bilbao et même s’ils ne le savaient pas avant d’arriver à Bilbao ! »
jabi ortíz

Pourtant, ce paradigme s’arrête avec les entraîneurs. Comment cela s’explique ?

JR : La philosophie de l’Athletic est de ne pas jouer avec des footballeurs non-Basques ou pas formés au Pays basque. Mais avec les entraîneurs, l’histoire est différente. Les premiers entraîneurs étaient Anglais ou Hongrois comme Lippo Hertzka. On n’a pas pris en compte l’endroit d’où ils venaient. Bielsa a été le deuxième entraîneur sud-américain de l’histoire de l’Athletic.

JO : L’entraîneur de l’Athletic n’a pas besoin d’être Basque. Il peut être d’Euskal Herria ou de n’importe quel autre endroit du monde. L’entraîneur, même s’il représente le club, ne va pas sur le terrain avec le maillot rouge et blanc. Alors il peut être de n’importe quel endroit. Ce qui se passe avec les entraîneurs, ceux qui viennent d’ailleurs pour grande majorité, sont Bilbaínos même s’ils ne sont pas nés à Bilbao et même s’ils ne le savaient pas avant d’arriver à Bilbao ! C’est le cas de Marcelo Bielsa, Luis Fernández, Howard Kendall. Ce sont des entraîneurs qui finissent par faire partie de la ville.

Face aux mouvements d’argent incessants, les fonctionnements opaques de certains clubs rachetés par des sociétés parfois douteuses, l’Athletic propose un modèle qui offre la garantie à des joueurs locaux et ancrés territorialement de jouer pour une équipe à laquelle ils sont identifiés.  

JO : Cela a ses bons comme ses mauvais côtés. Les joueurs donnent plus que ce qu’ils peuvent donner. Ils savent qu’ils se battent contre l’argent. C’est le cœur contre l’argent. Il y a aussi des bénéfices. San Mamés ne te trahira jamais. Il peut y avoir de meilleures ambiances que d’autres mais les supporters ne renoncent jamais et vont être avec toi, dans les bons comme les mauvais moments. Et je dirais même que l’afición sera surtout là dans les mauvais moments. C’est notre particularisme. On ne le reniera pas. Finalement, être dans une division ou une autre, c’est une question d’argent. Nous sommes de l’Athletic. Si nous gagnons, nous sommes contents. Si nous perdons, nous essaierons de gagner le prochain match. Descendre en deuxième division ne serait pas un grand problème. Ça ferait mal sur le moment mais on continuerait avec cette même idée.

C’est ce paradigme qui a attiré Marcelo Bielsa ?

JO : Bilbao est une ville travailleuse et voir cet esprit chez quelqu’un d’autre nous rapproche. C’est une des particularités qui nous unit le plus avec Marcelo. On dit, je ne sais pas si c’est vrai, qu’avant de signer dans un club, il étudie la ville, comment sont les gens. Il aime tout étudier pendant un long moment. C’est une des raisons pour lesquelles il a signé à la Lazio avant de s’en aller, en ne voulant plus rien savoir. Peut-être aussi pour ce que comporte la Lazio… Comme on le sait tous !

JR : Son adjoint Luis Bonini, qui est mort il y a 2 ans d’un cancer, était plus Bilbaíno que lui. J’ai parlé avec lui il y a 3 ans pour une interview et il me disait que quand il se levait le matin et qu’il pendait à Bilbao, il se mettait à pleurer parce qu’il avait vraiment profité de la ville.

La 1re saison de Marcelo Bielsa à l’Athletic est chaotique au début. L’équipe a mis du temps à se mettre en route, ce qui arrive souvent avec ses équipes au demeurant. 

Carlos Gurpegui : C’est sûr que le début de saison de Marcelo n’a pas été comme nous l’espérions tous. Mais nous sentions déjà qu’il se passait quelque chose de différent. On a eu un peu de mal à traduire sur le terrain ce que Marcelo voulait. Auparavant, nous jouions d’une manière opposée à celle que souhaitait Marcelo. On a eu du mal.

JR : La première saison a pris du temps à démarrer, jusqu’au match de l’Athletic à Anoeta contre la Real Sociedad. Je me souviens que c’était le premier match que l’Athletic jouait à midi. Il a gagné 2-1. Jusqu’alors, il avait eu du mal à commencer. A partir de là, l’équipe s’est adaptée aux mécanismes qu’exigeaient Bielsa.

Justement, cet Euskal Derbia remporté à Anoeta a lancé la saison de l’Athletic. Un match spécial pour vous Carlos. 

CG : J’ai un très bon souvenir de ce match parce que c’est un des rares que j’ai pu jouer cette saison. En plus, j’étais capitaine pour le derbi, nous n’avions pas encore gagner en Liga. Je me souviens surtout de la joie de l’équipe, du staff, de gagner le premier match lors d’un derbi à l’extérieur.

JR : La première saison a pris du temps à démarrer, jusqu’au match de l’Athletic à Anoeta contre la Real Sociedad. Je me souviens que c’était le premier match que l’Athletic jouait à midi. Il a gagné 2-1. Jusqu’alors, il avait eu du mal à commencer. A partir de là, l’équipe s’est adaptée aux mécanismes qu’exigeaient Bielsa.

CG : C’est vrai que ce match a été un point d’inflexion car ça a été notre première victoire en Liga, je ne sais plus si c’était la 5e ou 6e journée. C’était notre première victoire en Liga, en plus c’était un derbi. A parti de là, l’équipe a commencé à prendre confiance et à croire en qu’elle faisait et nous nous sommes améliorés.

C’est toujours un grand moment de battre la Real Sociedad, qui est plus est à Anoeta.

JO : Cela a été très important dans le mandat de Marcelo Bielsa parce qu’il était près de la porte. Mais que signifie gagner à Saint-Sébastien pour un supporter de l’Athletic ? C’est bien, ça fait 3 points. Le vrai match important, c’est le Real Madrid. La Real Sociedad, comment dire ? Tu bats une équipe dont tu sais qu’il peut y avoir des différences, bonnes ou mauvaises, en fonction des années, mais tu sais que tu es meilleur qu’elle. Cette rivalité entre les deux équipes va plus dans le sens Saint-Sébastien-Bilbao que l’inverse.

Mais il y a tout de même ce but incroyable qui offre la victoire à l’Athletic !

JO : Le but de Llorente ? Pour moi, c’est un peu un « churro » (rires). Il a de la réussite. Mais ça nous a permis de prendre 3 points importants mais plus que ça, ça nous a offert une saison avec Marcelo Bielsa.

Est-ce que l’aventure de Marcelo Bielsa à l’Athletic aurait pu tourner court en cas de défaite lors de l’Euskal Derbia ? 

JO : Ils ont failli le virer ! Vraiment très proche de le virer. Je crois qu’il avait un ultimatum pour le derbi contre la Real Sociedad à Anoeta. Ce fut un bon match, en tous cas moi j’ai apprécié. A Bilbao, comme partout, les gens ont une limite. Peut-être que chez certains c’est 5 ou 6 matches, mais à Bilbao c’est un peu plus. Mais il était proche de la guillotine.

JA : Non, on n’en était pas à ce point. Josu Urrutia avait vraiment confiance en Bielsa et il l’aurait maintenu. Mais c’est vrai que les 4 premiers matches n’ont pas été bons. Il y a eu de la malchance mais l’équipe avait du mal à se trouver. Tout a changé au meilleur des moments lors de la 5e ou 6e journée, je ne me souviens plus, à Saint-Sébastien pour le derbi basque contre la Real. Ce fut un grand Athletic qui a gagné le match. A partir de là, l’équipe a grandi. Ce match a été le point d’inflexion, à Anoeta contre la Real. Ce sont des moments qui changent l’histoire. Marcelo est tout de même quelqu’un qui a été servi en malchance. Je me souviens de la finale de la Copa América, le Brésil a égalisé contre l’Argentine à la dernière minute alors que ses joueurs essayaient de perdre du temps dans le camp brésilien. Le ballon est arrivé sur Adriano qui a marqué et l’Argentine a perdu la Copa América aux tirs au but. Il a également perdu une Copa Libertadores aux tirs au but avec Newell’s. Il n’a pas eu trop de chance. Au moment où ça doit tomber du bon côté, c’est comme dans le film Match point de Woody Allen : Quand il a fallu que ça tombe d’un côté ou de l’autre, Marcelo n’a pas eu beaucoup de chance. Mais ce match, l’Athletic l’a clairement dominé et méritait de gagner. La Real n’a pas eu d’option lors de ce match, même si on sait que sur un coup de chance, de la réussite, tu peux perdre.

Après ce match, il y a un gros coup dur : la blessure du capitaine emblématique Carlos Gurpegui. 

CG : En octobre, je me suis rompu les ligaments croisés et j’ai manqué toute la saison. Ma situation était un peu étrange. D’un côté, j’ai vécu des moments très compliqués parce qu’il y a eu des complications opératoires, j’ai eu un staphylocoque. Mais d’un autre côté, j’ai vécu une des meilleures saisons de l’histoire du club, avec les deux finales. Toute l’épopée européenne a été très belle. Je l’ai vécu de l’intérieur mais un peu aussi comme supporter.

JA : Gurpegui était le footballeur typique avec qui Bielsa serait allé au bout du monde. Un joueur qui, en plus de sa qualité, avait une intensité énorme, une volonté absolue, une concentration à 100%. Un joueur fiable que n’importe quel entraîneur, et surtout Bielsa, voudrait pour aller au bout du monde, comme ce fut un peu le cas aussi pour De Marcos qu’il a vraiment transformé. Tu sais qu’il va tout donner. En plus, Gurpegui était un vétéran, il avait un ascendant moral sur l’effectif et cela a été une perte importante mais Bielsa a su la compenser.

Au cours de cette 1re saison, un match est resté dans les mémoires en Liga : Athletic Club – FC Barcelona. Une vraie tragédie grecque !

JO : Une nuit pluvieuse, les joueurs étaient trempés, le terrain aussi, la pelouse rapide. C’est le genre de match qu’on aime voir à San Mamés.

JR : Le terrain était inondé à cause de la pluie et les deux équipes ont joué merveilleusement. 

JO : Je me souviens bien de ce match contre le FC Barcelone, à San Mamés, dans la Cathédrale. Lors de la première demi-heure, il y a eu seulement deux sorties de balle : une touche et un corner. 30 minutes de courses, d’un bout à l’autre du terrain, pression totale, un golazo d’Ander Herrera. Les 3 autres buts ont été des erreurs de défense plus qu’autre chose. C’était très divertissant.

JR : Guardiola contre Bielsa. Je crois que ça a été le meilleur match de la Liga. Messi a égalisé quasiment à la 90e minute alors que l’Athletic menait au score. Nous avons énormément profité de cette saison. Les derniers matches de Liga sont à part car il y avait 2 finales à disputer. Nous avons profité pendant tout le championnat.

JO : Le professeur contre l’élève. Pour moi, même s’il y a eu 2-2, c’est Bielsa qui gagne le match. Car sans avoir de très grands joueurs comme ceux du Barça, comme Messi, nous avons bien joué et nous avons eu des possibilités de le gagner. Vraiment beaucoup.

JA : Ce fut un match exceptionnel, avec tellement d’émotion. 90 minutes de bataille absolue. Au-delà que ça finisse à 2-2 avec la possibilité de gagner des deux côtés, en mettant de côté mon rôle de journaliste, mais comme supporter de l’Athletic, je me sentais fier que l’équipe ait rivalisé de cette manière contre la meilleure équipe du monde. Jouer les yeux dans les yeux, avec la possibilité de perdre ou de gagner, en donnant tout ce que tu as dans le ventre, c’est un motif de fierté.

« Marcelo a fait une réunion et nous a dit qu’il n’était pas content parce qu’il aurait voulu se qualifier sur le terrain. On s’est regardé en nous disant « Putain, le coach nous a gâché la célébration ! » »
Carlos Gurpegui

Outre ce partidazo, la saison 2011-2012 est marquée bien évidemment par la folle épopée en Ligue Europa. Elle commence de manière très spéciale d’ailleurs. 

JR : En Ligue Europa, l’Athletic a joué un match contre Trabzonspor à San Mamés qui avait fait 0-0. Le match retour, qui courrait un danger d’élimination, a été annulé parce que Trabzonspor a été promu en Ligue des Champions par l’UEFA (à la place de Fenerbahçe qui avait été exclu, ndlr) et l’Athletic s’est qualifié directement pour la phase de groupe sans jouer ce match alors qu’il était à Istanbul pour le disputer.

CG : J’ai une très bonne anecdote. Nous avions fait 0-0 à la maison. Trabzonspor était une équipe avec de très bons joueurs. Nous avions fait un bon match mais c’est vrai que Trabzonspor avait eu des occasions claires. Quand on nous a dits que nous ne jouerions pas et que nous étions qualifiés, nous avons fêté ça parce que nous passions en phase de groupe de Ligue Europa. Marcelo a fait une réunion et nous a dits qu’il n’était pas content parce qu’il aurait voulu se qualifier sur le terrain. On s’est regardé en nous disant « Putain, le coach nous a gâché la célébration ! ». Il n’était pas content. Ça montre bien que c’est un mec très intègre. Il veut gagner en montrant qu’il est meilleur que l’adversaire.

Cette qualification dans un contexte spécial change la mentalité de l’équipe ? 

JO : Dans la phase de groupe, il y avait le Red Bull Salzbourg, le Slovan Bratislava et le Paris Saint-Germain. A ce moment-là, nous étions contents car nous voyions que l’Athletic jouait bien mais l’équipe n’avait pas encore totalement explosé. Elle avait de l’allure mais elle ne nous rendait pas encore fou.

JR : A partir du moment où il a joué l’Europa League, l’Athletic a changé. Il a battu le Paris Saint-Germain à San Mamés en gagnant 2-0 au terme d’un très bon match. 

Après la phase de groupe, l’Athletic a affronté le Lokomotiv. Voyager en Russie en février, c’est le piège assuré.

JO : Avec la neige, le froid… Je me souviens que nous avions souffert pour nous qualifier. Nous avions des doutes si nous allions passer ou pas. Nous avons eu la chance que ce soit le cas et à partir de là nous avons commencé à rêver.

JR : Lors le match retour contre le Lokomotiv à San Mamés, l’Athletic a gagné avec un joueur de moins parce que Fernando Amorebieta avait été exclu.

Le sommet de la saison et peut-être même de toute l’histoire contemporaine de l’Athletic, c’est la double confrontation en 1/8 de finale contre Manchester United, et surtout le match aller à Old Trafford. 

JA : Ce match ainsi que le retour à San Mamés, qui me plaît tout autant que l’aller à Old Trafford, ont été le point culminant de cette équipe. Ce fut un spectacle extraordinaire, cette façon qu’ont les équipes de Bielsa d’attaquer en nombre, en combinant. On n’avait pas vu ça ici depuis de nombreuses années. Il y avait 10.000 supporters de l’Athletic dans les tribunes. C’est un match inoubliable. Quand je vois le Leeds de ces deux dernières saisons, je me mets dans la peau de ses supporters par rapport à ce qu’ils vivent et la transformation depuis 3 ans, entre le Leeds sans Bielsa et celui avec. Avec les mêmes joueurs, il propose quelque chose d’absolument différent, c’est frappant.

JO : Ce furent deux matches inoubliables. A Manchester, il y avait plus de 9000 supporters de Bilbao, c’était le plus grand parcage de l’histoire en Europa League. 9000, au théâtre des rêves. Contre Ferguson. Et avoir 35 occasions contre Manchester United sur son terrain… On aurait dit qu’on était 17 contre 11 ! La course de Muniain pour marquer… Un match incroyable, un match parfait.

JR : Contre Manchester United, l’Athletic a joué les meilleurs matches que moi j’ai pu voir pendant des décennies. Je me souviens qu’à Old Trafford, l’Athletic a gagné 3-2 en méritant de l’emporter par un plus grand écart. J’étais assis en tribune de presse à côté d’un collègue. Et à la fin du match, je lui ai demandé s’il avait la sensation que l’Athletic avait disputé l’un des plus grands matches de son Histoire et si on avait bien vu la même chose, car ça peut souvent être une sensation qui t’est propre. Et il m’a fait avec la tête « oui, oui, oui, oui » (il hoche la tête). On était sous le choc de qui s’était passé. Les gens dans la rue pleuraient de joie.

Les sources varient : 8, 9, 10.000 supporters de l’Athletic avaient fait le déplacement. C’était fabuleux ! 

JR : Le match contre Manchester était mythique notamment parce qu’en 1957, l’Athletic avait joué un match de Coupe d’Europe contre Manchester United à San Mamés et avait gagné 5-3. Les supporters qui avaient vécu cela s’en souvenait comme le meilleur match de toute l’histoire de l’Athletic qu’ils avaient vu à San Mamés. Au retour, Manchester United a remonté ce 5-3 sur la pelouse de City. Ce match a motivé les gens à voyager à Manchester. Il y avait 9000 supporters, le plus grand déplacement de supporters espagnols, à l’exception des finales européennes évidemment. Manchester était Bilbao le soir du match. Les tribunes étaient impressionnantes. Elles regardaient l’Athletic jouer d’une manière fantastique. Ils sont tous revenus avec la chair de poule.

CG : Je suis allé à Manchester parmi les supporters car j’étais blessé et je n’étais pas convoqué. L’équipe avait voyagé deux jours plus tôt pour préparer le match. Je rêvais d’aller à Old Trafford, vu que je n’y avais jamais joué et que je n’ai d’ailleurs plus eu cette possibilité. Alors j’y suis allé en hincha et j’en ai profité en tant que tel. Un partidazo, une soirée incroyable ! Avec les supporters, on se demandait ce qui se passait. Venir à Old Trafford, battre Manchester United sur son terrain… Ce n’est pas gagner ou perdre, c’est la manière. On a battu Manchester United en jouant au football, en attaquant, en essayant constamment de jouer dans leur camp. Je m’en souviens comme l’une des plus belles soirées pour beaucoup de monde, surtout pour les jeunes qui n’avaient peut-être pas vécu l’époque où l’Athletic avait remporté la Liga, la Copa. Ensuite, dans le vestiaire, ce fut incroyable parce qu’après tous ces entraînements, tous les jours, toutes ces heures, ¡joder!, battre Manchester United en reflétant tout ça sur le terrain… La sensation, c’était « nous sommes les meilleurs ! ». Ce sont des soirées, comme supporter ou comme membre de l’effectif, qui restent dans ta mémoire.

JR : Les supporters de Manchester United ont beaucoup respecté l’afición de Bilbao et au retour, il s’est passé la même chose à San Mamés. 3000 supporters sont venus et ils ont été reçus avec une ovation. Ryan Giggs a laissé son maillot au musée du club. Les mots de Ferguson affirmant qu’il n’avait jamais vu une telle équipe : les joueurs de l’Athletic s’étaient entraînés 90 minutes la veille avant de disputer 90 minutes d’une manière impressionnante ! A San Mamés, il a dit que l’Athletic méritait sa qualification.

Le 1/4 de finale a également été épique contre le Schalke 04 de Raúl González Blanco qui a été exceptionnel lors des deux matches. La victoire de l’Athletic à Gelsenkirschen est un sommet d’engagement et de volonté d’attaquer coûte que coûte.

JA : Contre Schalke, au-delà du résultat et cette victoire finale, c’est l’attitude. Andoni Iraloa me l’a raconté un jour : il y a 2-2 et Bielsa leur crie de continuer à attaquer. C’est un changement de concept absolu pour l’Athletic et en Europe. 2-2 est un bon résultat à l’extérieur en Coupe d’Europe, surtout face à un tel rival, sur un terrain avec une pression énorme. Voir l’entraîneur comme un fou qui demande de continuer à attaquer, ça crée de la stupéfaction au début mais ça a marché !

JR : Ce match me semble aussi fantastique, entre autres choses parce que l’Athletic a marqué dans le temps additionnel grâce à une accélération de Susaeta alors qu’il avait déjà couru tout le match sur son côté. Il a récupéré le ballon pour centrer en direction de Muniain qui a inscrit le 4e but. Ce match-là, je crois que l’Athletic a eu plus de difficultés que contre Manchester United parce que Schalke a résisté plus longtemps et aurait aussi mérité de gagner. Ceux qui sont allés en Allemagne sont rentrés ravis de ce match.

JO : Raúl était un bon joueur, un renard des surfaces. C’était l’un des meilleurs à Schalke, il fait 2 bons matches, en Allemagne et à San Mamés. Mais pour ce match, l’Athletic était un rouleau-compresseur. Le 4-2 en Allemagne fut un beau match. Ça finit à 4-2 comme ça aurait pu finir à 4-4 ou 4-2 pour eux. Bielsa et ses joueurs ont tout mis dans ce match, aucun joueur n’est rentré au vestiaire au bout des 90 minutes sans être cuit. Car si un joueur ne donne pas tout, il ne joue pas le prochain match.

La demi-finale contre le Sporting est moins restée dans les mémoires que les affrontements contre Schalke 04 et Manchester United. Pourtant, les Leones portugais ont été proches d’éliminer les Leones basques. Cela s’est joué dans les derniers instants.

JR : A la 89e minute. L’Athletic n’avait pas bien joué à Lisbonne. Il avait pris l’avantage grâce à un but de Aurtenetxe mais ce n’était pas un bon match comparé aux autres. Lors du match retour, avec un San Mamés plein à craquer et des supporters qui ont poussé, l’Athletic a réalisé un grand match, malgré le but de Van Wolfswinkel qui avait égalisé sur l’ensemble des deux matches. Je crois que l’Athletic a mérité sa qualification.

En revoyant les images de la fin du match, on se rend compte que San Mamés a joué un rôle prépondérant dans cette qualification pour la finale.

JR : L’ambiance dans l’ancien San Mamés créait une atmosphère magique pendant les matches. Il était plus petit que le stade actuel. Quand il était plein, il y avait une acoustique parfaite. Des équipes étaient intimidées par rapport aux tribunes. Mais il faut aussi dire que le nouveau San Mamés se comporte de la même manière. Lors du premier match plein, contre Naples en barrages de la Ligue des Champions, le stade s’est comporté de la même façon que l’ancien.

La fin du film n’est pas aussi belle que ce que laisse suggérer le scenario jusqu’alors : la finale à Bucarest tourne complètement à l’avantage de l’Atlético de Madrid du Cholo Simeone. Cette débâcle est physique ou mentale ?

JO : C’est la question à 1 million ! Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que j’ai pu pleurer ! J’ai pleuré tout ce que j’ai pu ce jour-là ! Ce qui s’est passé ? La peur. La responsabilité de gamins qui n’étaient jamais arrivés en finale. Ça n’a pas été un bon jour car, dès le début, il y a eu des problèmes avec ceux qui avaient voyagé. Ils sont arrivés sur le terrain en regardant trop les tribunes avec des têtes d’agneaux. L’Atlético de Madrid n’a pas fait un mauvais match mais nous sommes arrivés avec de la peur et on ne peut pas dire pourquoi ça s’est mal passé. Ils n’ont pas joué comme lors des autres matches. Ils n’ont fait pas ce qu’ils avaient l’habitude de faire. Ils n’ont pas suivi les consignes de Marcelo, ils étaient perdus sur le terrain, ils ne savaient pas où ils étaient… Un jour très dur.

JA : Je ne crois pas que la finale de la Ligue Europa contre l’Atlético a été perdue pour une histoire de physique. Sur un match ça ne se voit pas. Sur un match, s’il faut mourir, tu meurs. A ce moment-là, l’équipe est très bien physiquement, même s’il a fallu disputer la Liga avec un effectif très réduit et que l’équipe est arrivée fatiguée.

JR : Cette finale a été plus mentale que physique. Les joueurs sont sortis du vestiaire en tremblant. Je crois que c’est le poids de la responsabilité. L’Atlético de Madrid de Simeone avait perdu 3-0 à San Mamés peu de temps avant. Ils étaient au même niveau en championnat et en termes de jeu. Cependant, l’Atlético de Madrid est arrivé pour gagner le match quand l’Athletic avait les jambes qui tremblaient.

JA : Cela a été un problème de responsabilité. L’équipe n’a pas su rivaliser. C’était une équipe jeune qui n’avait jamais vécu un tel moment. Pour ce match, elle se sentait avec un niveau d’exigence face à l’Histoire, face à l’Euskadi. En plus, au niveau psychologique, le match commence mal, l’Atlético marque vite puis mène 2-0 et c’est déjà terminé.

Il y a une autre déception dans la lignée de la Ligue Europa : la finale de la Copa del Rey contre le FC Barcelone qui n’a laissé aucune place au suspense. 

JR : Contre le FC Barcelone, une équipe très supérieure, il s’est passé la même chose mais on a aussi vu la faillite physique de l’équipe lors des dernières journées.

JO : En Coupe, c’étaient des équipes plus faciles entre guillemets. Il n’y a jamais d’équipes faciles. Mais ce fut une campagne simple et tu arrives en finale contre le meilleur FC Barcelone de l’histoire et après le coup dur de l’Europa League, les gens n’étaient pas aussi enthousiastes. Dès le début, on a vu que c’était un match où les joueurs n’y étaient pas et ils ont vite perdu la rencontre, en 20 minutes.

JA : Les joueurs étaient marqués par cette première finale perdue et le Barça a été sans pitié, très bien dirigé par Guardiola qui a vu ce que ce que son équipe a précisément appliqué, c’est-à-dire écraser l’Athletic sans lui laisser une chance. Les 20 premières minutes ont été spectaculaires. Ils ont marqué 3 buts et la finale était pliée. Les deux finales se sont vite terminées.

JO : La fin de saison a été dure. Beaucoup de monde a critiqué Bielsa en disant qu’il avait cramé les joueurs. Moi je ne le vois pas comme ça. Beaucoup de monde dit ça mais pas moi. Je vois deux matches où l’équipe en donne un psychologiquement, celui de l’Europa League où elle était noyée. Elle n’est pas bien entrée dans le match et ça a été un coup d’arrêt très dur. Certains disent que l’équipe était cuite. Moi je ne crois pas, c’est plus dans la tête. Ce n’est pas physique. Ce sont des joueurs jeunes, une moyenne d’âge de 24-25 ans, tu n’es pas fatigué de jouer 50 matches dans la saison quand nous, nous travaillons 8 heures par jour et qui, le weekend, sortons les vélos avec les enfants. Ce n’est pas possible d’être râpé à la fin de la saison. C’était plus psychologique.

Après les deux finales, Marcelo Bielsa fait un discours au milieu de ses joueurs. Il se remet en cause dans la préparation des deux finales mais il éreinte sévèrement son effectif. Il y a eu une fuite dans la presse et cela a eu un impact énorme auprès du public, même si ça peut-être aussi eu pour conséquence de poser de mauvaises bases pour la saison suivante. 

JO : C’est peut-être le début de la fin. Mais il a dit ce que nous pensions tous. Ils ont trahi les supporters. Ils n’ont pas tout donné. Ils n’ont pas rempli les attentes. Tu peux gagner ou perdre mais investis-toi ! Donne tout comme nous donnons tout quand on va les supporter. Et nous, nous le faisons gratuitement quand tous les joueurs ont des salaires à 5 zéros et gagnent beaucoup d’argent. Nous ne demandons que de tout donner. Lors de la finale de la Coupe du Roi, des gens sont allés à Madrid à vélo, un gars y est allé à pied. Nous étions 50.000 à Madrid ! La seule chose que tu attends, c’est que ton équipe donne tout. Et ils ne l’ont pas fait.

CG : A ce moment-là, il nous a dit tout ce qu’il avait en lui. Pour nous, la fin de saison a été très dure et très compliqué parce que nous voulions faire mieux lors des finales. Ce furent deux matches, surtout la finale de Copa, où l’équipe n’a pas été de taille. La finale de Ligue Europa, ce qui est sûr c’est que l’Atlético de Madrid ne nous a pas laissés une chance de gagner. A la fin, ça a été très compliqué. Comme c’est un gagnant né, à la fin de la saison, il nous a dit tout ce qu’il pensait.

JA : Je ne sais pas comment c’est sorti. Il y a eu des rumeurs dont il vaut mieux ne pas parler. Dans le contenu, Marcelo a été clair avec les joueurs. Je me souviens de ce qu’il avait dit aux footballeurs, qu’ils devaient se rendre compte des supporters qu’ils avaient, tellement purs qui, même en perdant 3-0, applaudissaient après une belle phase de jeu. Ils n’ont pas été conscients de ce qu’ils avaient, des supporters si spéciaux de l’Athletic qui ont avec les joueurs une relation quasiment filiale. Ils n’ont pas été conscients de cette valeur. Pour moi, c’est un discours fantastique.

JR : Les supporters ont très bien pris le discours de Bielsa qui a dit aux joueurs qu’ils avaient déçu l’afición, qu’ils n’avaient pas fait ce qu’ils devaient et qu’ils n’allaient pas avoir beaucoup d’autres opportunités comme celles-ci. Il les a appelés « millionnaires prématurés ». Les supporters ont trouvé ça phénoménal.

« Il a été à la police pour se dénoncer ! Ça c’est un truc à la Marcelo Bielsa ! »
Jabi Ortíz

Au moment de la reprise, Marcelo Bielsa est en colère : les travaux à Lezama, le centre d’entraînement de l’Athletic, qui avaient été promis n’ont pas été réalisés. Avant de revenir sur cet épisode, il faut comprendre ce que représente Lezama pour le club. 

JR : Ici, c’est obligatoire de jouer avec la cantera de l’Athletic. Marcelo Bielsa a promu plusieurs joueurs. Pour moi, le plus important a été Aymeric Laporte qui jouait dans la réserve. Il a disputé un match d’Europa League en Israël quand l’équipe était déjà éliminée et à partir de là, il est resté titulaire. Il a délogé Fernando Amorebieta qui avait des problèmes contractuels avec le club. Laporte a été titulaire jusqu’à la fin de la saison. Et vous avez vu jusqu’où il est arrivé !

JO : Lezama, c’est notre salle des machines. Si Lezama ne fonctionne pas, l’Athletic ne fonctionne pas. Pour nous, c’est encore plus important que l’équipe première qui doit aller sur le terrain et faire son match. Ce qui est important, c’est la formation des joueurs. Si nous ne formons pas de joueurs, nous n’allons nulle part. On ne peut pas aller au Mexique et signer un joueur de là-bas. On doit former dans notre maison. Lezama doit être un complexe moderne et une partie de cette modernisation vient de Marcelo Bielsa.

Cette modernisation demandée par Marcelo Bielsa devait être achevée avant le début de la pré-saison. Or cela n’a pas été le cas. Sa réaction est restée dans les mémoires !

JO : Après sa première année, Bielsa avait exigé pour prolonger un remodelage de Lezama pour améliorer les entraînements car les joueurs passent de nombreuses heures là-bas et le centre est un peu ancien. Il y a eu une petite embrouille avec Marcelo Bielsa à Lezama. Il a été à la police pour se dénoncer ! Ça c’est un truc à la Marcelo Bielsa !

JA : Oui, c’est vrai. Ils se sont poussés, il est allé se dénoncer. Une chose typique et extravagante de Marcelo, qui est quelqu’un de très spécial.

JO : Quand il a prolongé, il a exigé la rénovation de Lezama pour le début de saison. Une entreprise de construction s’est engagée. Et quand il est revenu de vacances pour commencer la présaison comme prévu, il a été se plaindre. Il a défendu le club, une chose que n’a pas faite le club c’est-à-dire se défendre lui-même. Les problèmes ont commencé. 

JR : La première conférence de presse de la deuxième saison a été très longue parce que Marcelo Bielsa parlait des problèmes avec les dirigeants. Il avait manqué plusieurs jours d’entraînement et il est apparu en conférence de presse devant une nuée de journalistes de Bilbao et de toute l’Espagne. Les premières questions ont été basiques : « comment est l’équipe ? », « où en sont les transferts ? ». Jusqu’à ce qu’un journaliste ne se risque à évoquer une rumeur selon laquelle il aurait eu un problème. Bielsa s’est libéré. Il a fait une réponse de plus de 20 minutes pour dire ce qui s’était passé, en montrant des papiers qu’il avait signé, une auto-confession de ce qu’il avait fait, à savoir l’agression d’un employé du club. Il présentait ses excuses, en disant qu’il était complètement coupable, tout en expliquant ce qui se passait avec Josu Urrutia et les autres dirigeants car il avait demandé des travaux à Lezama, on les lui avait promis et ils n’avaient pas été faits. Lui ne disait pas qu’ils devaient le faire mais que, comme ils l’avaient promis, ils devaient le faire. Il ne l’avait pas exigé mais si c’était promis, ça devait être fait.

JA : Je ne me souviens pas bien s’il a défendu plus le club que le club lui-même. Mais les gens ont évidemment aimé cette façon de s’identifier avec ce qu’est l’Athletic, avec cette idiosyncrasie si particulière. Surtout, une chose très importante : quand Marcelo arrive l’Athletic, il y a un discours un peu victimiste par rapport au centre de formation. La formation de l’Athletic est une fierté mais ça peut aussi être une source d’excuses : « si nous perdons, c’est parce que nous avons cette philosophie ». D’emblée, Marcelo n’a jamais cherché d’excuses pour rien. Vivre avec fierté cette philosophie, sans trouver d’excuses d’aucun type, de nombreux supporters de l’Athletic se sont dit « il vient d’Argentine et il croit plus à cette philosophie que beaucoup d’entre nous ».

JR : A ce moment-là, il a défendu le club parce qu’il a dénoncé l’entreprise en charge des travaux qui n’avait ni respecté les délais ni fait ce qui avait été demandé.

Par la force des choses, la 2e saison n’a pas été réussie. Après les deux épopées en coupes, les attentes étaient peut-être trop élevées ? 

JO : La première saison, nous avons commencé d’un mauvais pied. Si on avait été meilleur lors des 7-8 matches, on aurait été mieux classé et on se serait qualifié pour l’Europa League à coup sûr. La seconde saison, je vois plus un effondrement de certains joueurs. On le voyait à Lezama que certains d’entres eux traînaient des pieds sur le terrain d’entraînement. C’est arrivé avec plusieurs joueurs de l’équipe première qui a un effectif court. Si tu ne t’impliques pas dans le système de Marcelo Bielsa, ça ne sert à rien. Si tu ne donnes pas tout, ta zone reste libre et le système de Marcelo Bielsa n’est plus valable. Et c’est ce qui s’est passé lors de la seconde saison.

CG : C’est certain qu’au début de la deuxième saison, il a eu des problèmes extra-sportifs, des joueurs qui sont partis et qui avaient été très importants pour l’équipe, d’autres qui allaient partir à la fin de l’année. Ça n’a pas été une bonne saison.

JR : La deuxième saison, l’Athletic a battu l’Atlético 3-0. Elle  a été difficile en raison des problèmes de Bielsa avec les dirigeants, le départ de Javi Martínez qui était un des meilleurs joueurs de l’équipe, l’annonce du départ de Llorente en fin de saison. Je crois que cette saison était viciée par toutes ces choses. Lors du dernier match de Bielsa à San Mamés, les gens criaient « Bielsa reste ! ».

JA : La 2e saison commence mal, Javi Martínez part au Bayern Munich. D’une certaine manière, l’équipe s’est détruite en jouant aussi bien en Europa League. Llorente a aussi voulu partir. Ça a créé un schisme. Face à la possibilité qu’il parte, le club a recruté Aduriz pour occuper le poste de Llorente. La relation est devenue un peu toxique. C’est logique. Aduriz allait rester, il devait jouer et il a montré qu’il avait un niveau supérieur à Llorente.

JR : Ce qui s’est passé, c’est que lors de la première saison, Llorente a été titulaire indiscutable. Il a eu plusieurs problèmes de hanche. Bielsa n’a pas vraiment compris que Llorente était blessé et jouait avec des douleurs. Il pensait que c’était plutôt une posture du joueur. Aduriz est arrivé pour la 2e saison, signé grâce à Josu Urrutia. Comme Llorente avait des problèmes contractuels, Aduriz s’est imposé. Llorente a joué une trentaine de matches mais il a eu une explication musclée avec Bielsa que l’on peut trouver sur internet puisque les entraînements étaient ouverts.

CG : Mais dans ces moments, quand les choses vont de mal en pis, Marcelo se rapproche encore plus des joueurs. Je me souviens que, la première année, quand nous avons commencé à gagner, lui était encore plus dur avec les joueurs. C’était une manière pour lui ne pas nous relâcher. La deuxième année, qui fut la pire sportivement, il s’est beaucoup plus rapproché des joueurs. Si elle a été mauvaise sportivement, au niveau personnel, j’ai de meilleurs souvenirs avec Marcelo. Le meilleur souvenir que j’ai, c’est en fin de saison. Il y avait la possibilité de descendre, même si je crois que ce n’était pas le cas. Mais on était en milieu de tableau, deuxième partie de classement. On gagne 2-1 à Saragosse et on clôt le débat à propos de la descente. Je me souviens du retour au vestiaire, des embrassades, de notre joie. Marcelo était très heureux parce qu’il en avait beaucoup souffert.

« Les gens qui dévalorisent Bielsa parce qu’il n’a pas remporté de titres, c’est comme ceux qui valorisent la qualité littéraire d’un livre en fonction du nombre des ventes. C’est une stupidité »
Jon agiriano

Les entraînements de Marcelo Bielsa sont très intenses, toujours novateurs.

CG : La première année, nous faisions pas mal de sessions le matin et l’après-midi. Je ne sais pas si sa méthodologie a changé mais nous étions très concentrés. Avec Marcelo, les saisons sont longues, pas seulement au niveau physique mais aussi au niveau mental. Lors des entraînements, tu es constamment en contact avec le ballon. On a tous beaucoup progressé. 85-90% des joueurs sommes devenus meilleurs après le passage de Marcelo à l’Athletic. Ma sensation, c’est qu’en dédiant autant d’heures de concentration, on a fait bloc. Malgré la difficulté de la saison et des entraînements de Marcelo, l’équipe était très soudée avec une très bonne ambiance.

JR : Les entraînements n’étaient pas si courts. C’était parfois long, avec beaucoup de mouvements. Une heure avant l’entraînement, ses adjoints de Bielsa installaient les plots, des mannequins, des lignes pour tous les exercices planifiés. Le livre tactique de Bielsa était énorme.

JA : Petit à petit, l’équipe s’est mise à tourner car c’est un processus très logique. Les entraînements de Bielsa sont très particuliers. Je ne l’ai pas vu chez un autre entraîneur, cette forme de chercher des automatismes dans le jeu offensif et défensif avec des situations de match pendant l’entraînement. Et les répéter. Ça prend du temps pour que les joueurs assimilent tous ces concepts. Ça s’est fait petit à petit jusqu’à arriver aux mois de février et mars, où l’équipe a atteint son apogée. C’est une force spéciale. Cette équipe s’est tout de suite convaincue et Marcelo l’a convaincu qu’elle aurait des moments aussi beaux au printemps 2012.

CG : La méthodologie qu’il utilise pour l’entraînement est unique, il n’y a que lui qui peut l’utiliser. C’est sûr que tu peux copier certains exercices tout au long de l’année mais je n’ai jamais connu d’entraîneur qui utilise cette méthodologie pour entraîner. Quand il est venu ici, il avait vu les 38 matches de la Liga plusieurs fois, il connaissait tous les joueurs à la perfection ainsi que les joueurs de la réserve. C’est un travailleur né, un passionné de football et quand il accepte un poste, il sait clairement où il veut aller dans l’aspect sportif. Pour l’aspect institutionnel, il peut y avoir des surprises mais en ce qui concerne le sportif, quand il signe dans une équipe, il connaît parfaitement tout l’effectif.

JR : Bielsa avait une équipe qui répétait ses gammes toute la semaine, qui annonçait ses compositions à l’avance alors que les entraîneurs n’ont pas l’habitude de le faire. Bielsa l’a toujours fait, sauf une fois où il avait un doute parce qu’il ne savait pas encore si un joueur pouvait jouer ou pas. C’est une autre de ses caractéristiques. A Bilbao, tous les entraînements étaient à portes ouvertes. Les supporters pouvaient aller à Lezama, ce qu’aucun club ne permet pratiquement jamais. Ce n’était pas le cas pour les matches de Ligue Europa, sur demande de l’UEFA qui ne veut que 15 minutes. Mais pour la Liga, c’était à portes ouvertes.

C’est un perfectionniste absolu ?

CG : Si Marcelo sait faire quelque chose, c’est travailler. C’est un travailleur né. Il prépare les matches consciencieusement. En plus, une des choses qu’il a, c’est qu’il va préparer de la même manière un match d’Éibar qui était en Segunda B (3e division) qu’un match contre le FC Barcelone ou le Real Madrid qui sont les meilleures équipes de la Liga. Il a montré que si Éibar nous avait éliminé, ce n’était pas par un manque de préparation. Il savait tout d’Éibar, il connaissait parfaitement tous les joueurs.

JR : Lors de la 2e saison, l’Athletic disputait un match de Coupe contre Éibar qui était en Segunda B à l’époque. Il y avait eu 0-0 à Ipurua et Éibar a gagné 1-0 à San Mamés. Deux jours après le match, Marcelo Bielsa a appelé Éibar parce qu’il voulait parler à Gaizka Garitano qui était l’entraîneur à ce moment-là. Il voulait savoir s’ils pouvaient se voir. Il lui a donné un dossier énorme de plus de 200 pages sur la préparation du match contre Éibar. Il ne voulait pas que Garitano pense que l’Athletic avait sous-estimé Éibar et qu’ils avaient perdu à cause de ça. Il avait préparé ce match comme un match de première division.

CG : Il est même allé à Éibar en voiture pour donner son dossier à Gaizka Garitano en mains propres ! Ça dit tout de Marcelo. Peu importe l’adversaire, il prépare tous les matches de la même manière.

Cela ne l’empêche pas d’avoir de nombreux détracteurs…

JA : Les gens qui dévalorisent Bielsa parce qu’il n’a pas remporté de titres, c’est comme ceux qui valorisent la qualité littéraire d’un livre en fonction du nombre des ventes. C’est une stupidité. L’important chez Bielsa, c’est la capacité, et c’est ce que dit souvent Guardiola et il a tout à fait raison, d’améliorer les joueurs. Ceux de l’Athletic, et je suis sûr que c’est pareil à Leeds ou à l’Olympique de Marseille, n’ont plus jamais atteint un tel niveau sans lui. La transformation s’est opérée en seulement quelques mois. Ça, je ne l’ai vu qu’avec Bielsa. Aucun autre entraîneur m’a cette capacité d’influer autant sur le niveau des joueurs. Je n’en connais pas d’autre qui en a été capable, au-delà de la victoire, de la défaite, de l’équipe qu’il avait. A l’Athletic, il avait un effectif très réduit. Bielsa avait 13-14 joueurs pour disputer 3 compétitions.

Il a la réputation de cramer ses joueurs après quelques mois de compétition.

JO : Il a cette réputation, ou plutôt on lui a accolée. C’est un thème de journalistes ou d’entraîneurs médiocres et à Bilbao, on en a quelques-uns. Pour moi, c’est de la jalousie. De la mauvaise jalousie. Cette année, Leeds a terminé la saison comme une balle. Les joueurs n’étaient pas cramés. Ils ont tout gagné en fin de saison. La saison dernière, il leur a manqué 3-4 matches mais ils ont été à un but de monter en Premier League. C’est plus de la jalousie et l’apposition d’une réputation en raison de ses problèmes connus avec les journalistes qu’autre chose.

JA : A Leeds, il prouve le contraire puisque l’équipe s’est améliorée. Maintenir le niveau d’exigence et de perfectionnisme que demande Bielsa, c’est difficile. Il faut avoir des joueurs très forts mentalement et avec beaucoup d’ambitions. C’est difficile d’y parvenir. Au quotidien, avoir un entraîneur comme lui, si obsessionnel, si perfectionniste, ça peut rebuter les joueurs. Parfois, il arrive que lors de cette 2e saison, l’effervescence se perde par rapport à la 1re et l’équipe plonge un peu. Et une équipe de Marcelo qui plonge cesse d’être une équipe de Marcelo. Une équipe de Marcelo, c’est une équipe en combustion, tous pour un. Et parfois lors de la 2e saison, l’usure physique peut arriver. Mais à Leeds, ce n’a pas été le cas.

En dépit de cette 2e saison, il demeure une chose certaine concernant son passage à l’Athletic : la progression des joueurs à son contact.

JR : Bielsa a joué avec une équipe de 23 ans de moyenne d’âge. Il y avait Ander Herrera, De Marcos était une moto, Llorente dans son meilleur moment, Susaeta sur le côté, Iraola était le joueur parfait sur le côté, Amorebieta a connu sa meilleure année. L’Athletic avait une équipe jeune et très bien préparée physiquement.

JA : Llorente a fait la meilleure saison de sa carrière, comme beaucoup d’autres joueurs de l’Athletic, comme pratiquement la grande majorité des joueurs lors de la première année de Bielsa. Personnellement, j’admire le talent et la capacité de cet homme d’améliorer ses joueurs. 

JO : Le plus important pour Marcelo Bielsa, c’est d’enseigner des valeurs aux jeunes. Une star qui a tout, qui a quasiment tout gagné n’a pas faim comme un jeune joueur. Un jeune qui a la force et l’envie, c’est plus simple de lui enseigner ou de le convaincre. De nombres joueurs ont été avec la Selección, Fernando Amorebieta a joué avec le Venezuela. C’est une reconnaissance pour le travail du club pendant ces années. Avec Marcelo Bielsa, c’était spectaculaire et beaucoup de joueurs ont été sélectionnés. Mais on a vu que quelques années après, ces joueurs ont disparu. Pourquoi ? Parce que pour une grande partie, cela était dû à la façon de joueur de l’entraîneur, de Marcelo Bielsa.

Marcelo Bielsa donne l’impression d’être de prime abord distant avec ses joueurs. C’est le cas ?

CG : Il est très direct. Il va te dire tout ce qu’il pense sans détours. Luis Bonini était celui qui faisait retomber la pression. Il faisait en sorte que les choses soient plus fluides et désamorce les conflits. Tout passait par Luis quand un joueur voulait transmettre quelque chose à Marcelo, il était le lien. Cette année-là, pendant ma blessure, Marcelo m’a envoyé voir des matches pour analyser les adversaires que nous allions affronter. Avec mes possibilités, j’ai fait ce que j’ai pu (rires) mais c’était une manière de rester lié à l’équipe et de continuer à travailler à la maison. Je crois que c’est un génie dans le monde du football et je crois que comme tous les génies dans leur isolement, les relations personnelles sont compliquées. Mais à l’intérieur de ce conflit qu’il peut avoir, il cherche toujours le meilleur, en tous cas, ce qu’il estime être le meilleur pour le joueur. Il y a eu des conflits, mais au fur et à mesure du temps, quand je parle avec mes ex-coéquipiers, on ne garde que les bonnes choses et Marcelo a des choses très bonnes. Mais parfois, j’ai la sensation que les relations personnelles lui coûtent pour les gérer.

Qu’a transmis Marcelo Bielsa aux supporters au cours de ces 2 saisons ?

JO : Marcelo Bielsa transmet sa passion sur le terrain, par son style de jeu, par sa façon de transmettre à ses joueurs comment il veut que soit l’équipe, non seulement au sens footballistique mais aussi en tant que personnes. A Bilbao, il y a eu de tout : des entraîneurs mauvais, très mauvais, décents. Et puis il y a Marcelo Bielsa. Ce qu’a transmis Marcelo Bielsa, c’est se battre, le courage, l’investissement, la passion et surtout la sincérité dans le jeu. Nous savions tous à quoi jouait Marcelo Bielsa, sans aucun doute. Peu importe où nous étions ou les équipes qui venaient à Bilbao, nous savions comment nous allions jouer, de quelle manière et comment nous le ferions. Tu peux gagner ou perdre mais avec ce type de jeu, tu sais que les valeurs seront respectées. Surtout, la passion que génère Marcelo Bielsa se retrouve sur le terrain. Chaque entraîneur dévoile son identité sur le terrain. Il vaut mieux un entraîneur qui se bat, qui attaque, qui cherche toujours le jeu direct qu’un entraîneur défensif, ennuyeux, triste. Ces dernières années, nous avons eu de tout à Bilbao.

« après son passage ici, 85-90% de l’effectif était meilleur que deux ans plus tôt. Il est certain que l’empreinte de Marcelo est pour moi au-dessus des résultats »
Carlos Gurpegui

Marcelo Bielsa a laissé une empreinte aussi forte aussi car il semble avoir compris là où il vivait, un lieu avec une identité forte et à part entière.

JR : Bielsa a tout compris parfaitement. Il prenait le café au vieux port d’Algorta, il allait manger des haricots blancs à La Alboreda, dans un petit restaurant. I conduisait une Seat Ibiza. Quand on lui a demandé quel modèle il voulait, il a pris le plus petit. Il a parfaitement compris la ville.

CG : Surtout dans un club aussi spécial que l’Athletic, on doit évidemment s’identifier. Pas seulement avec l’équipe mais aussi avec la ville, les gens. Je crois que lui, dès le début, a très bien compris où il venait, dans un lieu qui, par sa philosophie, se comprenait d’une manière différente. Il s’est très bien connecté avec le public, avec les supporters et plusieurs années après, on l’apprécie toujours autant.

JR : Bielsa visitait les bonnes sœurs Clarisse pour qu’elles prient pour que l’équipe aille bien. Ensuite, il a mis une affiche avec le nom des nonnes sur le banc de San Mamés. Il a appelé beaucoup de monde. Je connais quelqu’un dont les enfants lui avaient offert un livre qu’ils avaient laissé à l’hôtel où il vivait. C’était le petit prince de Saint-Exupéry. Bielsa a obtenu le numéro de téléphone et il est allé chez eux pour les remercier et leur offrir des billets pour un match. Dans le village où il avait l’habitude de manger à La Alboreda, un enfant est venu avec son album Panini pour avoir un autographe. Il a dit à tous les enfants de ramener leurs albums. Il les a donnés aux joueurs qui ont tous signé et il les a rendus aux enfants quelques jours plus tard.

JO : Je me souviens d’une anecdote qu’on m’a raconté. Il allait prendre le petit déjeuner avec un couple de personnes âgées, je crois que c’était à Marseille. Ce sont des choses de Marcelo qui te laissent sans voix. Quand on connaît le monde du sport actuel, qu’il aille petit-déjeuner avec ce couple juste pour discuter, ce sont des choses de Marcelo, des choses de fou ! Des choses étranges mais des choses qui nous plaisent ici. Il n’a aucun problème à proposer à un gamin au bord du terrain à Lezama de venir s’entraîner avec lui. Il est proche des gens, il sourit tout le temps. Cette attitude plaît. Marcelo Bielsa est un étudiant du football. Il est concentré, c’est une personne très méthodique. Mais il voit les efforts des supporters. Quand ils viennent le voir, il est toujours disponible pour eux et toujours avec le sourire. Mais oui, il est très concentré sur ce qu’il fait. Travailleur et proche des gens. Très méthodique.

JR : De nombreuses fois, il voyait un gamin sur le côté et le prenait avec lui. Le gamin était tellement fier d’être avec l’entraîneur et les joueurs de l’Athletic !

Marcelo Bielsa a eu en revanche des relations plus difficiles avec les journalistes. On sait qu’il s’en méfie beaucoup et qu’il ne donne pas d’entretiens en face-à-face, uniquement des conférences de presse très étayées.

JR : Les conférences de presse de Marcelo Bielsa étaient fantastiques ! Elles étaient longues, il racontait toujours quelque chose, il disait tout ce que voulait savoir les journalistes. En Angleterre et en France c’est différent car il a besoin d’un traducteur. Ici, c’étaient des questions et des réponses directes sans aucun problème. Il y a eu la conférence de presse où il se dénonce pour avoir agressé un employé du club. C’était merveilleux parce que personne n’avait osé lui poser la question sur cette rumeur et c’est lui qui a pratiquement tout avoué tout ce qui s’était passé parce qu’il voulait le raconter. Pour l’anecdote, ce jour-là, j’étais à Valence sur le Tour de France et je n’ai pas dormi de la nuit parce que j’ai regardé cette conférence de presse qui durait plus d’une heure et je n’ai pas pu me décrocher de ces images.

JO : J’ai vu beaucoup de conférences de presse avec l’Athletic, Lille, Marseille et maintenant avec Leeds. J’aime les voir. J’apprends beaucoup sur le football et heureusement qu’il y a cet entraîneur qui parle de football plutôt que de stéréotypes comme la majorité. Lors des conférences de presse à Bilbao, beaucoup de journalistes se moquaient. Certains journalistes ne veulent pas apprendre sur le football et sur les choses autour du football. Eux voulaient connaître les titulaires. Ils voulaient une conférence de presse de 4 minutes avec 3 titulaires et tenir avec ça pendant 3 jours. Marcelo Bielsa donnait des leçons de football dans chaque conférence de presse et il faut le remercier pour ça.

JR : Il a eu des confrontations avec certains journalistes. Mais lors de sa dernière conférence de presse avant son départ, il a dit que sa femme avait raison car elle avait dit que les journalistes d’ici ne se comportent pas comme dans d’autres endroits où ils avaient vécu et que les Basques parlent peu mais parlent bien.

JO : Dans la presse sportive, il y a beaucoup de sensationnalisme, en Espagne comme dans tous les pays. Marcelo Bielsa donnait des conférences de presse très longues et il n’aime pas qu’un journaliste pioche 5 mots par ci, 7 par là pour finir par raconter quelque chose que Marcelo Bielsa n’a pas dite. C’est pour cela qu’il a du mal avec les journalistes mais je n’en suis pas sûr. Il y a des gens qui n’aiment pas vraiment travailler. Si tu veux être un bon journaliste, tu dois apprendre de tous, ceux qui donnent des conférences de presse longues et ceux qui viennent pour dire bonjour et au revoir.

Quel est l’héritage de Marcelo Bielsa à l’Athletic et à Bilbao ? 

JA : Bielsa est le genre d’entraîneur typique dont on voit la valeur par la quantité d’enseignements qu’il laisse là où il passe, l’influence qu’il exerce. On le voit même chez des entraîneurs qui ont un style différent. Son impact est très grand. Je pense que cela sera pareil pour Iraola (devenu entraîneur, actuellement Rayo Vallecano, ndlr) qui était un joueur qui aimait le football offensif qui ressemble à celui de Bielsa. Il m’a dit que ce qui l’avait impressionné, c’était sa façon de travailler. Marcelo peut te convaincre grâce à son obsession et sa façon d’être. Il est unique et inimitable. Est-ce qu’il marque les joueurs qu’il a eu ? C’est sûr !

CG : Je crois qu’indépendamment du fait de gagner ou de perdre, dans toutes ses équipes, il laisse son empreinte. Tu sais à quoi joue Marcelo, tu t’identifies au jeu qu’il propose. Les choses peuvent sortir bien ou mal mais ce que lui fait pour l’équipe est toujours bon. Je te le redis : après son passage ici, 85-90% de l’effectif était meilleur que deux ans plus tôt. Il est certain que l’empreinte de Marcelo est pour moi au-dessus des résultats.

JA : Cet Athletic avait quelque chose qu’il doit à Bielsa : il était sentimental. Il dépendait de son état d’esprit. Quand il n’est pas bien, il est très déprimé et quand il est heureux, il devient euphorique et très fort. Ce sont des joueurs qui se connaissent, c’est une équipe d’amis, c’est la vérité. Ce sont des gamins du centre de formation qui ont grandi ensemble. Quand un groupe d’amis s’enthousiasme pour quelque chose, il part à l’aventure.

JO : Pour les gens de l’Athletic, il y a de tout. Des gens en sa faveur, d’autres contre lui. Comme dans tout. Mais nous, nous pensons qu’il a été possiblement parmi les meilleurs entraîneurs que nous ayons eu, voire le meilleur même si on ne va pas s’y risquer. La façon dont a joué l’Athletic avec Marcelo Bielsa, personne ne l’avait fait. Et pas uniquement dans le jeu, mais aussi sur ce qu’a transmis Marcelo Bielsa, ses valeurs avec les gens, les enfants, en défendant le club face à des entreprises de construction qui voulaient le voler. Tout ça nous a beaucoup marqués.

JA : Il ne peut pas être au niveau de Pentland car il a été le meilleur entraîneur des 130 ans d’histoire de l’Athletic. Il a eu deux mandats et lors du deuxième il a remporté 4 Liga, 4 Coupes et son Athletic a été le plus fort de son Histoire. Marcelo a laissé dans les mémoires la qualité du jeu. Pour cela, il sera toujours parmi les meilleurs qu’on a vu à l’Athletic. Ses matches font partie de l’Histoire, même s’il est resté trop peu de temps pour appartenir à la catégorie des entraîneurs légendaires. Mais il restera pour être arrivé aussi loin, avec uniquement des joueurs formés au club, avec cette philosophie.

C’est un phénomène que l’on constate dans plusieurs endroits où il est passé : existe-t-il une forme de nostalgie de l’époque de Bielsa ? 

JO : Ceux qui n’aiment pas Marcelo Bielsa nous appellent les veufs de Bielsa ! Je ne sais pas pourquoi ils nous appellent comme ça… Je ne saurais pas dire. Ce qui nous manque, c’est qu’il nous a fait changer notre perspective du football et tout ce qu’il y autour. Comment jouer un match, comment devrait être un match de football. Ce changement nous fait défaut maintenant à Bilbao. Le football qu’il a proposé s’est évaporé et ces dernières saisons nous avons arrêté de jouer au football. Nous donnons des coups de pied dans le ballon en essayant de marquer des buts. C’est pour cela que Marcelo Bielsa nous manque, surtout pour ses conférences de presse. Pour ce qu’il était.

Marcelo Bielsa est-il aussi fou que surnom l’indique ? 

JO : Oui, comme nous tous qui le suivons ! On est tous fous ! Fous de passion pour son football et pour sa personne.

JR : Il est fou mais je crois qu’il le sait et qu’il se contrôle ! Je crois qu’il est tout : un entraîneur intégral qui rassemble tous ces aspects dans sa personne.

CG : Allons donc ! Alors c’est un fou très sage ! Il sait très clairement ce qu’il veut, c’est un passionné de football, il adore ce qu’il fait. Indépendamment des résultats, je crois que Marcelo fait beaucoup de bien au football parce qu’il voit et qu’il vit le football d’une manière incroyable et surtout parce que, quoi qu’il en soit, ses équipes portent son empreinte.

JA : Non, c’est un personnage très particulier, un personnage fascinant qui fait des choses un peu extravagantes. Est-ce que c’est ça être fou ? Je ne sais pas. On dit de certains grands joueurs d’échecs qu’ils sont fous. Est-il fou ? (Une pause) Allez, appellez-le ainsi si ça vous fait plaisir !

 

Propos suscités par François Miguel Boudet
@fmboudet

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