Granada CF : La carrière d’Unai Etxebarria plombée par l’extrême droite

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Il lui restait un an de contrat mais Unai Etxebarria ne poursuivra pas son aventure dans les rangs du Granada CF. Un triste cadeau d’anniversaire pour ce troisième gardien qui a fêté ses 24 ans le 30 août sans avoir d’équipe pour la saison prochaine. Le port d’un tee-shirt en soutien à des jeunes basques incarcérés, repéré par la presse puis par l’extrême droite locale, a déterminé la suite de sa carrière.

La qualification européenne : le début de la fin

Tout commence le 19 juillet, lors de la dernière journée de l’édition 2019/20 de la Liga. Le club de Granada reçoit un Athletic déprimé qui a loupé sa qualification européenne en s’inclinant à San Mamés contre Sevilla (0-2). L’équipe locale est dans une forme tout à fait opposée. Une victoire contre les Basques leur permettrait de jouer les barrages d’accession à l’Europa League.

Avec l’ouverture du score de Soldado à la 29e, les choses tournent rapidement en faveur des Andalous. À la toute fin du match, c’est Montoro qui inscrit le quatrième but de l’équipe locale, qui signe – en plus de sa qualification – un clean sheet mérité pour Rui Silva. Cette victoire 4-0 pour la dernière rencontre de la saison est fêtée toute la nuit et de nombreuses photos sont prises. Il faut évidemment marquer les esprits, mais aussi faire profiter des supporters interdits de stade pour cause de pandémie mondiale.

Mais quelques jours après, le journaliste Fran Viñuela remarque le tee-shirt porté par le troisième gardien de Granada durant la célébration. Le hashtag « Altsasukoak aske » ainsi que la phrase « Stop montajes policiales » sont inscrits sur le coton blanc. L’employé de COPE et de la Siete n’hésite pas à le faire remarquer sur Twitter, avant de finalement supprimer son tweet, visiblement surpris du soutien massif que reçoit le joueur. Mais c’était sans compter sur Macarena Olona, députée du parti d’extrême droite VOX au Parlement espagnol. La femme politique ne passe pas par quatre chemins et demande ouvertement au club de « prendre des mesures ». Ce qui ne tardera pas.

Une photo aux lourdes conséquences. Unai Etxebarria, au milieu, avec le tee-shirt tant polémique. [Instagram]

L’Affaire d’Altsasu, illustration des tensions post-ETA

L’Affaire des Jeunes d’Altsasu a été très peu médiatisée en France, si ce n’est dans le Pays Basque Nord, évidemment. Pourtant, elle reste le premier exemple des conflits entre la population basque et les autorités espagnoles depuis la disparition des séparatistes d’ETA. Cette organisation terroriste indépendantiste – à qui on impute plus de 800 morts – a annoncé sa dissolution le 2 mai 2018, environ sept ans après avoir mis fin à ses actions armées. L’Affaire d’Altsasu prend place le 15 novembre 2016 dans un bar de la ville éponyme, au nord de la Navarre.

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Huit jeunes, âgés de 21 à 34 ans au moment des faits, profitent de leur soirée avant de rentrer en confrontation avec des agents en civil de la Guardia Civil espagnole qui n’étaient pas en service. La suite des faits divergent mais plusieurs arrestations ont lieu vers 5h du matin. Les policiers expliquent avoir été pris à partie par une vingtaine de personnes, faisant preuve d’une « terrible brutalité ». Dans une Espagne encore marquée par la violence d’ETA, ces arrestations résonnent comme une attaque terroriste et c’est ce que de nombreux médias ne vont pas hésiter à affirmer. Lors du procès, le procureur parle d’une « attaque contre la Guardia Civil avec des objectifs terroristes ». L’affaire prend très rapidement une ampleur nationale politique.

Lors d’une manifestation en soutien aux jeunes d’Altsasu [Crédits : AFP]

Un verdict critiqué et qui n’est pas oublié

Les médias de droite, à l’image de la Razón, tentent de mettre en évidence des liens présumés entre les accusés et ETA, tandis que ceux de gauche pointent les exagérations des policiers attaqués. Il faut finalement attendre juin 2018 pour que le verdict soit rendu. À l’exception de la seule fille incarcérée, les accusés sont tous reconnus coupables « d’attaques et blessures envers personnes dépositaires de l’autorité ». Des peines allant de 2 à 13 ans de prison sont infligées, mais également une indemnité totale de 89 500 euros pour les dommages causés au deux policiers et à leurs compagnes.

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Le verdict est aujourd’hui encore très critiqué, par des personnalités comme par des politiques. De nombreux éléments du dossier laissent penser qu’il s’agit d’une sentence qui doit servir d’exemple. La famille des condamnés a ainsi montré une vidéo où l’on voit l’un des policiers attaqué porter une chemise blanche sans la moindre trace de sang lors des arrestations et donc après la bagarre. L’homme en question avait pourtant déclaré que la confrontation avait été « ensanglantée ». Des manifestations ont régulièrement lieu en soutien aux condamnés et cette affaire n’a fait qu’attiser les tensions entre les autorités espagnoles et les habitants des villages basques et navarrais – où la pensée indépendantiste est dite plus forte.

Onofre Miralles, porte-parole de VOX en Andalousie, est à l’origine des pressions exercées contre Granada dans l’affaire Unai Etxebarria [Crédits : Granada Hoy]

La montée de VOX en Andalousie, jusque dans le football

Le souvenir laissé par le dictateur Franco, décédé en 1975, était tellement fort en Espagne qu’il était difficile d’imaginer un parti ouvertement d’extrême droite monter dans les sondages. C’est pourtant ce qu’est parvenu à faire VOX et son président Santiago Abascal. Lors des dernières élections au Parlement espagnol, son parti a réussi à obtenir ses deux premiers sénateurs ainsi que 52 sièges de députés.

En Andalousie, les choses semblent être plus accentuées encore. La droite y est majoritaire depuis décembre 2018, prenant la place des socialistes. L’actuelle coalition dirige avec le soutien nécessaire des députés de VOX qui permettent au Parti Populaire et à Ciudadanos de conserver la majorité. Certains observateurs constatent que la poussée nationaliste espagnole provient du sud du pays.

L’extrême droite semble avoir pris une telle place en Andalousie qu’elle peut désormais influencer un club de football. En effet, la prise de position de la députée Macarena Olona semble avoir été l’élément déclencheur. « Ce joueur [Unai Etxebarria] fait l’apologie du délit. On espère que Granada CF prendra des mesures car ce joueur n’est pas à la hauteur du club. Ni de ses supporters. Il nous a tous insultés. Sauf les pro-etarras. […] Le silence nous rend complices » a martelé la membre de VOX. Onofre Miralles, leur porte-parole à Grenade, a exercé les pressions auprès du club local.

Un député de EAJ-PNV a abordé le cas Unai Etxebarria au Congrès, défendant ainsi le gardien [Crédits : EAJ-PNV]

Peu de temps après, la presse a annoncé que Granada CF avait ouvert une procédure disciplinaire contre le gardien. Les soutiens et représentants de VOX ont célébré la nouvelle sur les réseaux sociaux, de la même manière que lors des victoires aux dernières élections. Dans le même temps, le club comme Unai Etxebarria ont gardé le silence.

Un départ pour des raisons sportives et non politiques ?

Le 27 août dernier, ce sont à nouveau les médias – et non le club – qui communiquent sur Etxebarria. On apprend alors, un mois après le début de sa procédure disciplinaire, qu’il ne portera plus le maillot de Granada, ni du Recreativo (l’équipe réserve, ndlr). Son contrat, qui devait se terminer en 2021, est donc résilié un an plus tôt.

Il semblerait cependant que le véritable déclencheur de cette résiliation provienne d’un manque de rendement sportif. Et non d’une polémique extérieure au football. C’est ce que nous explique le journaliste José Ignacio Cejudo, qui a révélé l’affaire au public : « Unai n’avait plus sa place dans l’équipe, il ne jouait plus depuis janvier ». C’est en effet durant ce mercato hivernal que fut recruté João Costa – couramment appelé Andorinha – en provenance de Mirandés. Le gardien basque a immédiatement perdu sa place, alors qu’il avait joué 17 des 22 matchs précédents. « Granada CF a cédé à la pression de VOX pour ouvrir une procédure contre le joueur, mais pas pour résilier son contrat » détaille le rédacteur d’El Ideal.

Andorinha avec le maillot de Mirandés, avant qu’il ne rejoigne la réserve de Granada [Crédits : El Ideal]

Selon ses informations au sein du club, c’est « une décision sportive », bien que la polémique dans laquelle s’est retrouvé Unai Etxebarria ait été « l’élément déclencheur ». Avec ou sans l’intervention d’hommes et de femmes politiques tels qu’Onofre Miralles, la situation actuelle serait la même. Le gardien, formé au centre de formation de l’Athletic, se retrouve sans club.

Le silence des principaux concernés

Déjà peu présent sur les réseaux sociaux, Unai Etxebarria est resté silencieux depuis l’annonce par la presse, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire. En ce 30 août, jour des 24 ans du gardien, de nombreuses personnes se sont réunies à Algorta pour lui manifester leur soutien. Ce dernier a réagi, pour la première fois depuis le début de l’affaire en juillet. « Merci beaucoup à tous ceux qui sont venus à Algorta pour défendre la liberté d’expression » s’est exprimé le gardien sur Twitter.

Première et actuellement dernière déclaration d’Unai Etxebarria au sujet de l’affaire. Au contraire de son (ex)club, qui n’a toujours pas communiqué sur le joueur. Sur le site officiel, il apparaît toujours dans l’effectif de l’équipe réserve, au côté d’Andorinha. « C’est parce que la page n’est pas actualisée » tente José Ignacio Cejudo.

Si l’on peut être surpris que Granada CF ait laissé la presse et les membres de VOX communiquer sur la situation de leur joueur, on peut l’être davantage de ne pas voir d’annonce officielle du départ de ce dernier. Le journaliste andalou n’y voit rien d’étonnant : « Ils n’ont pas non plus annoncé le départ de plusieurs joueurs de la réserve en fin de contrat ». Quelle explication donne-t-il pour l’absence de communication concernant la procédure disciplinaire ? « Le club a ouvert le dossier de manière privée, et en vérité il n’a pas à le rendre public s’il sanctionne un joueur en interne », assure le journaliste.

Lors du rassemblement du 30 août, en soutien à Unai Etxebarria [Crédits : Gu Ere Bai]

Dans l’attente d’une communication complète…

L’affaire Unai Etxebarria a divisé les supporters de Granada, mais également le reste des Espagnols. Le dossier a même été abordé au Congrès par un député du Parti Nationaliste Basque. Le gardien a reçu un soutien conséquent, mais il est peu probable de le revoir porter un maillot andalou un jour. Ni à Granada, ni ailleurs. Mais José Ignacio Cejudo est catégorique, « si Unai avait dû partir pour des raisons politiques, il est certain qu’il l’aurait déjà dénoncé publiquement ». Plus qu’à attendre des nouvelles détaillées du gardien, donc.

Jérémy Lequatre-Garat
@Euskarade

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