Iker Casillas a annoncé sa retraite aujourd’hui. Voici un article en hommage à San Iker, un gardien différent.
Au fil de l’Histoire, les cages ont eu leurs Supermen, ces gardiens venus d’un autre monde, infranchissables pour des attaquants bien trop terrestres. Il y en a eu des exubérants, aux bras bioniques en apparence et à la propulsion motorisée. Il y en a aussi eu des impassibles, d’une froideur flirtant avec la lassitude, conscients de leur supériorité totale sur tous les Lex Luthor de la planète ; il aura fallu plus qu’un simple tir pour venir troubler leur quiétude. Une bombe, à la rigueur.
L’ange gardien
Casillas n’était pas de ceux-là. Il n’était pas un Superman, à commencer par son apparence. Le contraste avec Buffon était par exemple saisissant. Le Madrilène était plus petit, moins bien coiffé, moins bien rasé. Mais cela avait une explication : Casillas n’avait pas de temps pour l’apparat. On raconte qu’il passait grande partie de son temps libre à prier. À prier son « ángel de la guardia », son ange gardien.
Buffon, Neuer et autres Courtois défendaient leur but du haut de leurs capacités hors-normes. Ils le faisaient avec une suffisance insolente. Il était facile d’expliquer leurs envolées, leur détente, leurs réflexes. « Poussée latérale, contrôle de l’espace, placement ». Mais expliquer les performances de Casillas… C’était comme si son ange particulier enhardissait son cœur, guidait ses pas et aveuglé par l’affection ressentie à son égard, accordait à cet humain le droit de léviter un instant. À peine le temps de se rendre compte de son hérésie et de mettre aussitôt fin à cette expérience surnaturelle, Casillas avait déjà détourné le ballon. Après être retombé sur le sol, il roulait et réajustait ses gants, un peu étourdi, sous les clameurs d’un stade incrédule. Si personne ne parvenait à expliquer comme le portier avait réussi cette parade, le même sentiment collectif se dégageait : une fois encore, Iker s’en était sorti, une fois encore, son talent fou et sa bonne étoile s’étaient fixé rendez-vous.
En hommage à sa relation privilégiée avec son ange gardien et à sa foi inébranlable qui le poussait à se jeter dans le vide en quête d’un ballon manifestement inatteignable, on appellerait Casillas « San Iker ». Iker Casillas, sa sainteté des cages. Aussi, on finit par renoncer à expliquer les arrêts de San Iker ; de tous temps, les voies du divin demeuraient impénétrables. On se tait et on apprécie.
Les Supermen avaient beau être plus académiques, plus réguliers, plus complets, San Iker rivalisait avec eux. Très vite, une légion de fidèles se forma derrière le portier madrilène. Ils abordèrent les grands matches armés de l’intime certitude que leur saint apparaîtrait. Ce fut le cas ! San Iker, l’homme des moments décisifs. En 2008, l’Italie avait beau être décorée d’innombrables médailles, San Iker savait l’implacable destin réservé aux métaux : la rouille. Lorsque Robben se présenta par deux fois seul devant Casillas en 2010, la terreur laissa rapidement place au calme. San Iker veillait sur le troupeau. Deux ans plus tard, après avoir apposé les mains sur le tir de Modric, les fidèles comprirent a posteriori qu’ils avaient eu tort de s’inquiéter.
La chute
Et puis un jour de décembre 2012, il sembla que le protectorat de l’ange sur Iker pris fin. Ce dernier se retrouva mis au banc. « Je préfère Adán à Casillas » avait déclaré le démon mourinhien, avec la même pertinence que celui prêt à tout pour se faire entendre, y compris lâcher la plus grosse des absurdités. Faire ça deux jours avant Noël, c’était dégueulasse.
Sa situation s’enlisa davantage lorsque Arbeloa, suppôt du démon mourinhien, frappa de malheur la main gantée du saint, lui rappelant au passage l’existence d’une corporéité oubliée. Casillas n’était plus immaculé. Avait-il été corrompu par l’orgueil ? Les louanges avaient-elles fini par lui monter à la tête au lieu de monter au ciel comme dans l’ordre des choses ? « Champion d’Europe, champion du monde, meilleur gardien de la planète », peut-être Iker avait-il fini par trop rendre à César…
Les mois passant, la philosophie s’en mêla. On dit qu’Ancelotti n’avait accordé sa confiance à un gardien inférieur à 1m90. Par syllogisme, on en vint à affirmer la logique de la suppléance de Casillas. Ensuite, ce fut autour de la science, cette folie. On s’épancha sur l’anomalie statistique qu’étaient devenus les petits gardiens au plus haut niveau.
En sonnant le glas sur la religion, notre époque avait également mis à la retraite San Iker. Abandonné par sa bonne étoile, il choisit toutefois de ne pas renoncer. Les éditorialistes pouvaient noircir leur papier de toutes les inventions possibles, Casillas n’avait aucun besoin de s’endetter auprès d’un bienfaiteur pour réussir. Après tout, personne n’arrivait dans les cages du Real à 18 ans sans être un de ces talents générationnels destinés à faire époque. Dépourvu de son patronyme de saint et de la bénédiction qui allait avec, Casillas restait tout de même Casillas.
Sa bonne étoile en congé, les choses allèrent bon an mal an. Blessé pour son grand retour contre Galatasaaray, excellent en Coupe du Roi avec le Real, bon en Ligue des Champions mais coupable d’une grossière erreur en finale, à nouveau titulaire en 2014/2015 mais pas toujours rassurant, puis oscillant entre le brillant et le daté à Porto.
Et enfin, cet infarctus il y a un an, dont il se sortit miraculeusement. Tout compte fait, son ange gardien ne l’avait peut-être pas délaissé… San Iker était toujours San Iker.
Elias Baillif (Elias_B09)