Getafe – Ajax : Comment Bordalás a transformé son équipe en légion romaine

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Sauveur de Getafe à l’agonie en 2e division il y a 3 ans, José Bordalás a transformé les Azulones en véritable armée. 4-4-2 à plat strict, pressing haut et coups de latte : le club de la banlieue sud de Madrid n’en finit plus de s’améliorer de saison en saison, au point que le podium en Liga est dans ses cordes et qu’il fait presque figure de favori contre l’Ajax en Ligue Europa. Portrait d’une équipe qui n’est pas là pour être aimée.

Jusqu’à présent, le Geta était une équipe honnie, incapable de remplir son stade contrairement à Leganés situé à 4km de là. Certes, le club avait connu quelques belles périodes, à commencer par un 1/4 de finale de Coupe de l’UEFA épique contre le Bayern Munich mais rien de véritablement construit sur la durée. Même quand la Roja est venue disputer son dernier match de préparation avant le Mondial 2018, la Géorgie l’avait emportée (1-0). Bref, Getafe c’était la lose. Mais depuis 3 ans, c’est devenu la référence du jeu pratiqué en Espagne, dans le sens où le 4-4-2 a repris la main sur le 4-3-3 qui semblait intouchable. Mais alors comment Getafe a pu devenir une équipe frisson de Liga malgré l’aridité de ses concepts tactiques ?

Pepe Bordalás, triomphe tardif 

Les dirigeants du Deportivo Alavés doivent encore s’en mordre les doigts. Alors qu’il avait guidé les Babazorros vers la montée en Liga, Pepe Bordalás n’a pas pu faire ses débuts au sein l’élite avec le club basque. La cinquantaine entamée, le technicien devait bien se demander ce qui lui manquait pour s’installer sur un banc de Primera. Alors, il a dû prolonger son passage au purgatoire en reprenant un Getafe à l’agonie, déjà bien engagé vers une descente en Segunda B, ce qui aurait, il faut bien l’admettre, dérangé très peu de monde.

Arrivé en septembre 2016, il réussit la passe de deux montées successives en juin 2017. Mais cette fois-ci, il est maintenu dans ses fonctions. Avec notamment Ramón Planes, aujourd’hui à la direction sportive du Barça, il construit une équipe sur mesure, avec peu d’argent mais une idée très précise. La première victoire de Bordalás en Liga, c’est d’être cohérent et d’avoir derrière lui un club qui comprend le chemin tracé par le coach. Avant, le club était surtout connu pour avoir créé une application de rencontre du type Tinder pour faire se reproduire les quelques supporters Azulones; depuis l’arrivée de Bordalás, Getafe est une des équipes les plus au point tactiquement en Espagne. En progression constante, l’équipe a raté la C1 pour 22 minutes la saison passée. Passionné de l’empire romain, le natif d’Alicante s’inspire des logiques militaires des légions romaines et est en train de créer quelque chose de considérable à Getafe.

4-4-2 de grognards

Bordalás part d’un principe simple : quand on ne veut pas de la possession, il faut quadriller le terrain. Son 4-4-2 à plat est un traquenard par excellence, servi par une sorte de Crazy Gang sauce espagnole. Puisque la mode est aux documentaires inside, le Geta mérite certainement son passage chez Netflix ou Amazon Prime. Car si les Azulones n’ont certainement pas l’effectif le plus talentueux intrinsèquement, c’est bien la complémentarité des joueurs qui rend ce collectif si fort. C’est là tout le savoir-faire du technicien qui a longtemps navigué dans les divisions inférieures et qui a toujours su s’adapter aux profils qu’il avait sous la main.

Sa réflexion est intéressante. Bordalás sait qu’il ne dispose pas des joueurs qu’il faut pour mettre en place un jeu de possession, alors il impose un combat sans ballon. Et surtout, il veut que son équipe fasse mal sur chacune de ses possessions. Voilà comment l’équipe avec l’un des plus faibles taux de possession et de passes réussies d’Europe marque des buts, gagne des matchs et se classe 3e en Liga sans contestation possible malgré un budget riquiqui. Pour expliquer ses choix, Pepe Bordalás a des mots simples mais qui font sens :

« Nous sommes une équipe modeste et c’est la réalité. Vous devez adapter votre jeu au profil des joueurs que vous avez. C’est comme si Barcelone essayait de jouer un football direct. Ce serait absurde, ça ne marcherait pas »

Crédits : Iconsport

Le double pivot Mauro Arambarri-Nemanja Maksimovic est un cadenas dans un piège à loup. Fut un temps, Mikel Bergara, récent retraité, complétait ce secteur tout en agressivité. La défense est un mélange d’intelligence tactique et de roublardise. L’attaque est un repère d’outsiders chapeauté par le vétéran Jorge Molina. Quand Vicente Guaita part en Premier League, c’est David Soria qui débarque pour le remplacer dans les cages. Juan Cala ? Remplacé par Bruno González. Les latéraux deviennent ailiers et rendent dingues leurs adversaires, avant d’être estoqués par une attaque qui tire peu mais vise juste. Dans une mélange de flexibilité tactique et de rationalité poussée à l’extrême, Bordalás sublime des joueurs qui semblaient condamnés à jouer le maintien se transformer en épouvantail de la Liga. Sa maxime est simple mais permet de faire déplacer des montagnes à des joueurs jugés limités par beaucoup.

« Je dis à mes joueurs qu’ils doivent y croire, qu’ils doivent fixer leurs propres limites, ne laisser personne d’autre faire cela pour eux. J’essaie de leur faire voir qu’ils ont du talent, qu’ils peuvent le faire, que les joueurs des grands clubs ne sont pas meilleurs qu’eux »

Pressing à la gorge, défense de fer et verticalité

Là où le tour de force est le plus impressionnant, c’est que la très bonne saison dernière, qui avait vu Getafe chuter de la 4e place lors de la 38e journée, n’était pas un feu de paille. Entre temps, les Azulones n’ont pas perdu de titulaires et, en plus, ils ont progressé. Maître de l’impact physique la saison dernière, l’équipe est maintenant dotée d’un pressing excellent. Jadis comparé à Simeone et au Cholismo, le Getafe de Bordalas semble se rapprocher du Liverpool de Klopp. Les joueurs courent, tentent, harcèlent et verticalisent dès qu’ils le peuvent.

« Je dis toujours aux joueurs : ce que nous avons fait la saison dernière ne nous accorde rien. Si nous travaillons de la même manière, nous obtiendrons moins » 

L’équipe est une des formations qui passe le plus de temps dans le camp adverse. Pourtant, le style n’a pas changé, Getafe ne cherche pas à avoir le ballon et quand elle l’a, elle ne tente pas de le préserver. Sans ballon, Getafe est maître des espaces car l’équipe défend haut, harcèle et quadrille parfaitement le terrain. Que ce soit face au Barça ou Granada, les Azulones abordent le match de la même façon. Un 442 strict mais qui autorise les milieux à compenser une infériorité si nécessaire. Assumant de devoir jouer des 1 contre 1 en défense, Getafe s’en remet à l’impact et la vitesse d’un Djené pour ne jamais trembler. Après s’être fait concasser par Getafe il y a quelques jours, Gabriel Paulista ne trouve pas de mots après avoir livré bataille face à la légion de Bordalás et lâche simplement un « C’était de la merde » pour résumer le match des Blanquingros, totalement dépassés. Jouer contre Getafe, c’est accepter de livrer bataille.

Crédits : Iconsport

Assumant de placer des latéraux en ailiers ou alors d’excentrer des axiaux sur une aile, Bordalás ne fait cependant pas ses choix pour solidifier son équipe. Non, ce qu’il aime c’est avoir des joueurs les plus flexibles possibles. Avoir un Nyom ou un Cucurella sur les côtés d’un milieu à quatre lui permet d’avoir des joueurs qui savent défendre et attaquer. De ce fait, ils peuvent compenser au besoin les montées des latéraux et proposer des solutions courtes ou en profondeur. De plus, avoir un passif de latéral permet d’avoir des joueurs qui savent défendre proprement plus haut sur le terrain, ce qui confère au pressing des offensifs une force supplémentaire. Bordalás préfère donner des responsabilité offensives à des joueurs à vocation défensive plutôt que d’apprendre à défendre à des attaquants.

Un banc qualitatif

En rugby, le nouveau concept à la mode s’appelle « les finisseurs ». Autrement dit, les joueurs qui entrent pour terminer le match, apporter leur impact et faire la différence après le travail de sape effectué par les titulaires. C’est une des plus grandes qualités du Getafe de Bordalás : il a du banc. A priori, il n’y a rien de révolutionnaire dans le fait de bâtir un effectif complet pour tenir toute la saison mais c’est devenu une denrée rare. Le cas d’Ángel, remplaçant le plus prolifique de Liga, est une excellente illustration de cette volonté de s’appuyer sur 18 joueurs plutôt que d’user 13 joueurs dans une course contre le temps. Annoncé proche du Barça, Ángel oscille entre titulaire et remplaçant mais dans la hiérarchie, il est le troisième larron offensif.

« On est à un croisement, on nage. Nous avons passé l’équateur et nous pouvons voir la plage maintenant. N’abandonnez pas encore; continuez de nager jusqu’à ce que vous atteigniez le rivage ».

Une position qui magnifie les qualités d’un trentenaire assez inexpérimenté au haut niveau. Âgé de 32 ans, le natif de San Cristóbal est pourtant un joueur très tonique et parfait dans la profondeur. Quand il entre dans les vingt ou trente dernières minutes, sa vitesse fait des dégâts importants sur des défenses usées par le duel physique imposé par Jorge Molina et Jaime Mata. Cette logique, on la retrouve un peu partout. Jason et Nyom se partagent le poste de milieu droit, en fonction des besoins en match. Cucurella et Kenedy le poste de milieu gauche. L’idée à chaque fois est d’avoir un joueur prêt mais surtout capable d’apporter quelque chose de différents lors de son utilisation. Ici, on ne veut pas un empilement de joueurs issus du même moule mais une multitude de différences pour surprendre toujours plus.

Pragmatique mais pas ennuyeux, José Bordalas a une parfaite connaissance de son groupe. Sa rhétorique et son ambition ainsi que son projet sont parfaitement intégrés par ses joueurs qui ont compris que c’est avec un tel style qu’ils peuvent réussir de grandes choses. Après avoir annoncé son soulagement d’avoir atteint la barre des 42 points très tôt dans la saison, Pepe Bordalás veut continuer de regarder vers le haut. Son équipe, qui surprend les suiveurs et obligent les analystes à regarder les matchs plutôt que les feuilles de stats, doit maintenant effacer le traumatisme de l’EuroGeta avant de rêver d’une participation en Ligue des Champions. Getafe n’y avait jamais pensé, pourtant Pepe Bordalás est en train de le réaliser.

Benjamin Chahine et François Miguel Boudet

 

 

 

 

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