S’il y a bien un sujet qui attise tensions chez les supporters culés ces derniers temps c’est celui qui ramène au prisme du résultat et de la manière de l’obtenir. Entre les pragmatiques saisissant leur hédonisme via le sceptre d’une ligne de palmarès et ceux pour qui l’émotion prévaut au même titre que le respect d’une philosophie bien précise, la lutte des mots et des débats d’idée est rude, notamment sur les réseaux sociaux.
Le résultat comme réflecteur de puissance
Aujourd’hui le monde du sport dans sa globalité ne vit que sous le joug des statistiques et donc du résultat. À l’heure d’analyser la grandeur d’un club, naturellement c’est à la salle des musées ou dans les dictionnaires et les lignes de palmarès que l’on va piocher l’essentiel de son argumentation. La manière importe peu, il faut gagner, point. Détruire l’adversaire, s’armer d’un état d’esprit de compétition, profiter des espaces pour lancer des contre-attaques, déplacer les pièces de son échiquier afin de s’adapter au jeu adverse.
Ainsi vit le football, au rythme des saisons, sous les fameuses formules implicitement acceptées : on ne retient jamais le nom du second, à la fin seul le résultat compte, seule la victoire est belle… Nombreuses sont les équipes à avoir forgé leurs succès les plus grands sur l’adage d’un jeu conceptuellement efficace mais dépourvu de la moindre émotion. On peut citer pèle mêle l’Allemagne de 1990, la Grèce 2004, France 1998 et 2018, Italie 2006 entre tant d’autres.
Le résultat valide auprès de l’opinion populaire le choix du style et les amoureux du jeu sont aisément taxés de naïfs romantiques. Barcelone n’échappe plus à la règle. Nombre de ses supporters ne puisent plus leurs émotions exclusivement dans la manière et le style et ont perdu la nostalgie d’une époque où Barcelone a porté le jeu à un niveau paroxysmique, enquillant par la même les titres.
Ainsi, depuis l’ère Valverde de façon continue, après avoir eu une première esquisse sans aucune notabilité avec Tata Martino, les supporters blaugranas vivent au rythme des exploits de Messi, justifiant à lui seul que l’on se lève pour applaudir, et masquant par la même ce qui a disparu, le jeu. Valverde lui, est un entraîneur pragmatique, en total décalage avec les notions de jeu, il ne cherche que la cohérence du résultat.
C’est ce qui a fait sa réussite à Bilbao. En allant le chercher, Bartomeu tient l’une de ses promesses : en finir avec le Cruyffisme cher aux historiques. Dorénavant, le Barça va devenir une équipe comme une autre portée par un joueur comme il n’en n’existe pas deux dans l’histoire. Aux socios de s’adapter. Et malheureusement cela fonctionne, les deux Liga coups sur coups remportées dans le sillage d’une Pulga extraordinaire et d’un Ter Stegen impérial apportent du grain à moudre aux défenseurs de Valverde. Et peu importe que Rakitic et Sergi Roberto aient pris le relais de Xavi et Iniesta. L’un apporte « l’équilibre » et l’autre est de la Masia.
Sur la toile on se moque allègrement de l’ennemi juré madrilène incapable de suivre le rythme (en Liga tout du moins) et la satisfaction globale est au rendez-vous.
Les critiques fusent même sur un style qui ne serait plus d’actualité et communément appelé le Tiki Taka. Jamais, ô grand jamais le Barça de Guardiola ou de Tito n’a pourtant porté cette philosophie au club. C’est une fausse idée, un raccourci alambiqué faussement enregistré dans les esprits à force d’être énoncé. Pour prendre la mesure de l’erreur commise au niveau sémantique, il faut regarder jouer les créateurs de ce style si particulier.
L’équipe nationale Colombienne de Francisco Maturana de 1994. Sous l’impulsion des Valderama, Asprilla et autres Rincon, les Cafeteros avaient enchanté le temps des éliminatoires sud-américaines le monde du football par un jeu chatoyant redoublant de passes, souvent en une ou deux touches de balle. Le Toque, en cousinage exacerbé, mais avec l’obsession de jouer un football créatif et inspirant. Quand sous l’ère Guardiola, chaque passe avait une utilité précise, visait à créer un déséquilibre, à donner un sens stratégique à l’action, à créer des surnombres et à maîtriser l’espace et le temps, pour progresser territorialement avant de porter l’estocade sur une accélération du jeu soudaine et millimétrée.
En ce sens cette critique est donc infondée car inexistante et se référer à la philosophie réelle du grand Barca et ses principes ne peut que demeurer d’actualité. En tout état de cause on aime détester ce que l’on a encensé.
La dignité au centre du projet
Or le Barça se réclame d’un style, d’une identité justifiant son slogan « Mes que un club ». L’apport de Cruyff (inspiré par les préceptes de Rinus Michels), historique comme joueur et comme entraîneur, de Rijkard, Guardiola et autre Tito Vilanova se doit de perdurer. Au Barça le style ne se négocie pas et la philosophie est, et doit rester plus importante que le fait de gagner des titres. Ce sacrement, protégé par les amoureux du club, n’est pas négociable. Le Barça se doit de proposer un jeu caractéristique de son histoire et de ses principes. On parle ici d’un football offensif, ambitieux, porté sur la qualité de jeu, la conservation du ballon et on utilisation optimale. Et ce, quel que soit le contexte, on ne s’adapte pas, on oblige l’adversaire à s’adapter. Le résultat n’est que la conséquence du jeu.
Nombreux sont les supporters culés à n’apprécier que très modérément les titres glanés sous l’ère Valverde. Ils sont le reflet de ce qui ne doit pas exister en Catalogne. Des victoires pragmatiques, banalisées, des victoires comme tant d’autres, sans signes distinctifs et sans ADN donc sans histoire.
On ne souhaite pas exister dans les lignes de statistique, on souhaite exister dans la mémoire des gens. Daniel Alves parlant de cette époque dorée dont il fut l’un des protagonistes les plus impliqués disait récemment : « Je pense que les gens nous aimaient plus pour la manière dont on a gagné que pour les titres ». Il a raison. À une époque où la Masia « no se toca », quand elle sert aujourd’hui à équilibrer les comptes du club, la plus grande fierté de ce Barca historique restera sans doute d’avoir marché sur l’Europe en ayant construit les bases de son succès par son centre de formation historique. Une autre valeur du club bafouée aujourd’hui, bien qu’elle soit le socle des plus belles heures de l’histoire du Barça.

Ainsi une grande partie de la communauté blaugrana n’est pas prête à tout accepter sous l’égide du résultat. Leur club ne saurait s’en contenter et c’est cette exigence qui façonne et renforce leur passion. Le Barça est un club qui se porte dans le sang, il a ce supplément d’âme qui touche en plein cœur et ravive les plus belles émotions portées par ceux qui voient le football autrement, différemment.
C’est de ce principe que naît l’amour du club. Un club qui a ses défauts et qui ne gagnera pas toujours tout, mais qui ne renonce jamais à ce qu’il est. Perdre cela, c’est perdre bien plus. C’est perdre l’optimisme, l’espoir que certaines choses ne s’effacent pas sous le poids de l’économie, sous le poids du résultat qui se délaisse de la méritocratie. Naïfs, romantiques… appelez les comme vous le souhaitez. Ils ne changeront pas.
L’avenir pour retrouver la flamme
Setién est arrivé avec une idée en tête. S’ajouter à la lignée des grands entraîneurs porteurs de la philosophie du club. Il ne cesse de le clamer. Il est là pour le jeu envers et contre tout. Mais les plus belles heures furent le fruit d’un inlassable et long travail de fond. Il a besoin de temps pour rebâtir, reconstruire, peu aidé en cela par un board historiquement traître à la famille culé et à son ADN. Un board dont la planification sportive met déjà le nouvel apôtre du jeu dans un contexte inexplicablement compliqué au regard de la grandeur de l’institution. Mais déjà, des Puig, des Collado font leur apparition dans le groupe, chose impensable il y a quelques semaines. Le jeu, patiemment retrouve des effluves enivrantes imbibées d’une nostalgie pas si lointaine. Il y a encore tant de chemin à faire. Mais le Barça semble s’être trouvé un GPS fiable. Gageons qu’on lui laisse le temps d’aller au bout de ses idées et l’espace nécessaire à l’élaboration d’un si ambitieux projet. Le temps et l’espace…deux notions tellement importantes au style maison.
Pierre Vairez @vz_pierre