Le Barca recevait ce dimanche soir Levante en clôture de la vingt-deuxième journée de Liga avec l’espoir de confirmer le sursaut entrevu face à Leganes, et de consolider les premières pierres du socle philosophique entrepris par Quique Setien depuis un mois. Levante, englué solidement dans le ventre mou du classement mais qui restait sur 3 défaites consécutives, ne venait pas au Camp Nou en victime expiatoire pour autant. À la clef, une courte victoire pour les Blaugranas qui n’entaillera pas l’enthousiasme d’un contenu bien plus convaincant autant qu’elle ne masquera pas certains aspects dont le lustrage laisse encore apparaître certaines imperfections.
Bien qu’il ne compte pas dessiner son identité stratégique autour d’un seul et unique système, Quique Setien a su tirer les enseignements des premières partitions pour en tirer les conclusions qui s’imposaient à lui. À l’heure actuelle, le 4-3-3 emblématique reste la solution la plus à même de tirer profit de l’identité collective et des caractéristiques individuelles de l’effectif barcelonais. Mais comme chacun sait, le système n’est qu’un échiquier. Ce qui compte, ce sont les déplacements des pièces qui le composent et l’animation qui en résulte. En ce sens, Setien a su implémenter sa griffe sur le tissu du système.
Les bases du 4-3-3
Si face à Grenade pour ses débuts, la volonté de garder le contrôle du jeu, de conserver le cuir et de presser haut étaient flagrant, l’équipe avait éprouvé des difficultés à éroder le bloc adverse et à trouver la verticalité nécessaire, pêchant dans la création et dans la mise au supplice du déséquilibre adverse. Ce ne fut pas le cas ce dimanche soir. Confisquant le ballon, le ressortant efficacement et proprement, se positionnant et pressant haut (bien que des automatismes restent à peaufiner sur ce point) ; les joueurs de Setien ont su forcer le cadenas adverse à de nombreuses reprises.
Dans le sillage d’un Busquets époustouflant au cœur du jeu, des montées rageuses d’un Semedo sublime dans l’apport offensif sur son couloir droit, ou encore d’un De Jong grandiose dans les déplacements, l’orientation du jeu et les projections offensives ; le Barca a réalisé une première période aboutie. Inaugurée par cet extérieur pas assez travaillé de Messi (14’), les actions n’ont pas manqué dans ce premier acte. Messi encore (17’), Griezmann (17’,45’), Semedo (26’) et Fati (29’) auraient pu donner au score une ampleur plus impactante.
Face à ces déferlantes successives, les visiteurs n’ont pas existé et c’est bien logiquement qu’ils finirent par céder à deux reprises quand un Messi peu en verve à la finition, a décidé de mettre au diapason du collectif sa vision du jeu et sa qualité de passe stratosphérique pour faire briller un Ansu Fati plus qu’enthousiasmant. Sur le premier but, le jeune attaquant n’eut aucun mal à prendre de vitesse le pauvre Miramon. Sur le second, sa frappe sèche du pied gauche, après un petit festival du génie argentin venait conclure en apothéose un premier acte léché (30’,32’).
Les progrès avant les certitudes
Fort de cet avantage, c’est une équipe pas tout à fait aussi impliquée qui reprit le flambeau du match en seconde période. Si les bases restèrent les mêmes dans l’application des velléités de jeu, on sentit un Barça plus gestionnaire et moins incisif. Ce dont profitèrent les Valencians pour se procurer de (trop) nombreuses situations. Ainsi Morales et Rochina (53’), Melero (55’), Hernani (70’) ou encore Marti (81’, 87’) firent parcourir des frissons aux supporters culés. Ils pêchèrent néanmoins par une maladresse condamnable ou face à un Ter Stegen impérial. Si l’on considère de surcroît que la paire Pique-Lenglet est à créditer d’une performance en tout point irréprochable, cette pléiade d’occasions adverses révèle d’un constant indéniable : Le Barça, en plein renouveau depuis 4 semaines, n’a pas encore de garanties suffisamment consolidées pour se permettre de s’avancer en gestionnaire d’un résultat. Ce relâchement est il dû à une condition physique encore précaire ou une suffisance trop anticipée à ce stade de (re)développement ? Difficile de répondre avec certitude. Qu’il soit physique ou comportemental, c’est un point sur lequel Quique Setien va devoir travailler pour ne pas vivre des mésaventures évitables face à des adversaires au curriculum plus poussé.
Au milieu de ce deuxième acte moins convaincant, il n’y eu évidemment pas que des points négatifs. Des certitudes, ce Barça en a, en a retrouvé. Un ciseau d’Ansu Fati, quelques Rushs de Messi, les montées d’Alba et Semedo, vinrent le rappeler… comme pour rassurer l’assemblée. Mais il ne faut pas considérer que les promesses esquissées, que les progrès entrevus, que les fulgurances constatées ; forment déjà un tout assez cohérent pour se parer d’une identité retrouvée et d’une mainmise incontestée. Ce Barça doit retrouver de la constance dans l’effort et se doit aujourd’hui de maintenir un niveau de jeu homogène et constant sur l’ensemble des matches.
Des étoiles et des énigmes
Même si l’observation analytique de ce Barça se conçoit prioritairement dans le spectre de l’identité collective, le cas des individualités ne peut être totalement exclu au regard du compte rendu de ce match et des pistes qui semblent en découler. Semedo en est l’exemple idéal dans le sens positif du terme. Depuis le départ de Dani Alves, le Barca cherche son successeur. Il pourrait l’avoir trouvé ce soir. Il entame sa troisième saison au club mais Nelson Semedo semble avoir démarré son cycle aujourd’hui. Où est ce joueur inconstant, emprunté, maladroit, qui partage le côté droit avec Sergi Roberto depuis 2 saisons ?
Incisif, tranchant, intelligent et défensivement costaud, le défenseur portugais a tout simplement livré sa meilleure prestation sous les couleurs blaugrana. Son festival avec cette surpuissante frappe du gauche qui fit mal à la barre transversale d’Aitor, sa passe qui aurait dû être décisive pour Griezmann en toute fin de première mi-temps, cette complicité technique avec Messi et De Jong, cette volonté de se projeter sans cesse et d’apporter le surnombre sont autant de faits à mettre au crédit de l’ancien lisboète. Nul doute qu’il a marqué de nombreux points ce soir dans son duel à distance avec Sergi Roberto.

Et que dire de Sergio Busquets, sa prestation fut une nouvelle fois exceptionnelle. Le milieu de terrain revit depuis l’arrivée de Setien. En véritable patron du milieu de terrain, « Busi » a été partout. Premier relanceur, proposant toujours les bonnes solutions, des déplacements et des orientations du jeu au scalpel, une capacité à voir avant ce qui aurait dû être vu après (l’anticipation au sens paroxysmique du terme), Sergio a toujours un temps d’avance sur l’adversaire, sur le jeu, sur le football même parfois. Intelligent et à l’initiative dans la verticalité autant que dans la relance courte, il ne se trompe tout simplement jamais. Dire qu’on le disait vieillissant, sur le déclin, lent… En réalité le natif de Sadabell, pur produit de la Masia, souffrait de la destruction collective de l’ADN barcelonais qui ne mettait pas en valeur ses qualités, ce que n’a pas manqué de rappeler son entraîneur : « Busquets souffrait car on lui demandait de faire autre chose que ce qu’il sait faire ».
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Si certains ont pu noter une certaine inélégance envers Valverde, comment ne pas porter crédit à cette déclaration au regard de la métamorphose engendrée depuis un mois ? Si la philosophie suit le QI football que porte Busquets, celui-ci ne semble pas prêt de devenir vieux. Son volume et son niveau de performance actuelle semble même déteindre sur ses partenaires comme en témoigne la prestation XXL d’un De Jong qui, nativement, parle le même football que lui. Toujours dans le bon tempo, le corps inéluctablement orienté dans le sens du jeu, apportant indéfectiblement le surnombre offensif tout en étant propre et efficace tant au pressing qu’à la récupération du ballon, le milieu de terrain néerlandais retrouve progressivement l’intégralité de ses moyens et de sa confiance qui l’ont porté au firmament des milieux de terrains européens à l’Ajax d’Amsterdam. Ses déplacements transpirent également l’intelligence d’un modèle choyé depuis l’enfance au club «frère » historique.
Encore des incertitudes
Si l’expression collective démontré a pu éventuellement masquer certaines lacunes individuelles, celles-ci ressortent inexorablement à l’heure du bilan pour certains. À commencer par Rakitic. Préféré à un Arthur encore juste physiquement, le Croate a souffert la comparaison face à ses deux compères du milieu. Si l’on regarde de plus près sa performance, on hésite entre l’insipide et l’inutile. Une magnifique ouverture pour Semedo juste avant la fermeture du premier acte… et pour le reste, pas grand-chose. Le milieu de terrain souffre toujours aussi considérablement à trouver des situations incisives dans la verticalité, joue de façon préférentielle sur Alba et Fati à 3 mètres de lui, et ce, quand il ne repasse pas par Busquets au centre. Le reste de ses ballons joués allant irrémédiablement vers Pique ou Lenglet afin de sécuriser la possession. Là est l’essentiel du rôle que croit devoir jouer l’ancien sévillan. Quid de ses défenseurs voyant en lui le « garant de l’équilibre » … l’équilibre d’une équipe cherchant justement à provoquer constamment des déséquilibres chez l’adversaire ne peut se résumer à une sécurisation effective du jeu.
L’équilibre lorsque l’on est relayeur au Barça est plus complexe que cela. Savoir alterner à bon escient jeu cours/jeu long, proposer irrémédiablement des solutions au porteur du ballon par l’intelligence des déplacements, repasser par l’arrière pour amener à créer une nouvelle possession visant à rebâtir les fondations d’une offensive (ou à libérer un espace), chercher la verticalité, savoir fixer un adversaire avant de déclencher la passe de façon à ce que celle-ci élimine par la même l’adversaire en question, créant l’esquisse d’un nouveau déséquilibre… voilà les bases du rôle de milieu relayeur siglé de ce club. Alors évidemment si l’on se réfère à la copie rendu d’un point de vue mathématique, le Croate n’a pas perdu beaucoup de ballons et devrait toujours sortir une copie de pourcentage de passes réussies honorable. La distinction entre une passe réussie et une passe bonifiée n’apparaissant traditionnellement pas dans les tableaux de statistiques d’après match, il faudra pousser plus loin l’analyse afin d’émettre un avis justifié de la prestation du milieu de terrain préféré d’Ernesto Valverde.

Enfin, la prestation de Griezmann poussera également au débat, volontaire et impliqué, le Français comme à son habitude, ne s’est jamais caché sur le terrain. Au pressing, ne lésinant pas sur les efforts défensifs, permutant avec Messi, l’ancien Colchoneros a beaucoup travaillé. Néanmoins s’il paraît encore prématuré de parler de malaise ou de doute, l’attaquant barcelonais semble traverser une période compliquée en termes de confiance. Ses deux énormes occasions gachées en témoignent. Son face à face manqué suite à une magnifique ouverture de Jordi Alba (17’) et son pied semblant coincé dans une mauvaise position seul face au but sur un service parfait de Semedo (45’) semblent être le parfait révélateur d’une confiance érodée.
Était-il à l’instar de Messi, simplement dans un jour sans face au but, ou son match, volontaire mais brouillon marque t’il le sceau d’une complicité technique défaillante avec ses partenaires ? Encore une fois, il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’intégration du « sauveur d’Ibiza ». Néanmoins de façon générale, sa prestation peut au moins poser sur la table le débat de son réel positionnement préférentiel et de la nécessité, qu’aurait dû analyser plus fortement le board, de s’attacher les services d’un buteur plus racé lors du mercato.
En dépit des interrogations en suspend et des cas plus individuels, ce Barça avance donc sereinement dans son renouveau, les progrès marquants dans le jeu ne masquent pas encore totalement certaines imperfections mais ce sont eux que l’on retiendra prioritairement à l’heure du bilan. Le travail effectué par Setien porte ses fruits et ceux-ci semblent même sur le chemin de la maturité. En dépit d’un important et naturel travail d’optimisation à opérer, ce qu’a déjà réalisé l’ancien coach de Las Palmas en quelques semaines seulement est prodigieux. Ce Barca fait plaisir à voir… ça fait quand même longtemps que l’on ne s’était pas dit cela.
Pierre Vairez