Le club des Unionistas de Salamanca est une formation particulière en Espagne, par son constat et sa forme. Une equipe créée en 2013 et qui fait face au plus gros défi sportif de son existence en Copa Del Rey avec ce match face au Real Madrid. Ce rendez-vous colle parfaitement avec la doctrine et l’idée qui ont permis à quelques 2800 personnes de se réunir et de prendre part à cette superbe aventure sportive. Retour sur ce qui a conduit à la création de l’équipe, de son combat pour un football plus juste et surtout rattaché au réel. Plongez dans ce que le football peut proposer de pire mais aussi de meilleur, le tout séparé de quelques mètres !
« Vous pouvez changer de visage, de maison, de famille, de travail, même de femme ou de religion, mais il y a une chose qui, peu importe vos efforts, vous ne pouvez jamais abandonner. Vous ne pouvez pas changer votre passion, la passion pour une équipe de football « . Cette phrase, fondamentale dans le film argentin oscarisé Dans ses yeux et qui sonne comme une vérité absolue pour tout fan de football est la pierre angulaire qui a permis la construction des Unionistas de Salamanca Club de Fútbol. L’idée est assez simple mais déchirante. Quand l’UD Salamanca, club mythique qui a été la maison de Vicente Del Bosque ou Pauleta met la clé sous la porte après 90 ans en 2013, deux projets vont émerger. Le premier, celui des Unionistas, reprend la logique « une personne, un vote » et s’inscrit dans la démarche instiguée notamment par l’AFC Wimbledon en Angleterre. L’autre projet aboutira à la création du Salamanca Club de Futbol UDS, un club bien artificiel dopé aux millions mexicains et par conséquent dénué d’attache locale. Deux formations diamétralement opposées, se voulant toutes deux héritières de la disparue UD Salamanca et surtout, aux stades séparés de … 50 mètres.
Juin, 2013 point de départ des deux projets
Disposant d’un héritage copieux et d’une vraie assise locale, l’UD Salamanca est pourtant dans une situation exsangue financièrement au début des années 2010, comme finalement beaucoup de clubs. Les divisions inférieures sont des bourbiers desquels il est difficile de s’extirper. Connaissant les problèmes de l’équipe, les fans de la UDS lancent une collecte de fond pour aider le club. Le président en place ne veut pas en entendre parler ; Juan José Hidalgo semble préférer laisser pourrir la situation. Peu après la disparition effectif de l’UD, il lance l’Athletic Salamanca dont l’objectif et la fonction sont de permettre au président fossoyeur de repartir avec un club vierge de dettes mais avec un passif copieux et des fans de qualités.
Les fans qui s’étaient mobilisés en masse ne veulent pas que la personne qui a validé la mort de leur club puissent le relancer sans problème. Alors que l’UD Salamanca est vendue à la découpe et que l’ex-président tente de faire les démarches pour récupérer la place de la réserve du club dans la hiérarchie du football espagnol, les Unionistas laissent leur Fútbol Club. L’idée est simple : la formation n’a pas vocation à remplacer l’héritage glorieux de l’UD, elle va simplement tenter de lui rendre hommage pour que son histoire ne se perde pas. Le club dispose très tôt d’une assise locale et veut construire son histoire : nouveau logo, nouvelles couleurs et l’ambition de porter une vision du football plus sociale qu’à l’accoutumée. Son président Miguel Ángel Sandoval rappelle comment les décisions sont prises dans cette entité : « Un socio, un vote ». La saison dernière, ses fans qui suivent le club assidûment ont été désignés comme les meilleurs de D3 espagnole. Tout ici est soumis au vote, on avance ensemble et on inclut tout le monde pour grandir sans se couper du réel. Un pourcentage des recettes est aussi reversé à la banque alimentaire de la Ville, ce club est différent et veut promouvoir des valeurs nobles à travers le football.

Surtout que de l’autre côté, alors que le cadavre de l’UD Salamanca est encore fumant, les charognards ont déjà commencé leur oeuvre. Un homme d’affaire mexicain rachète notamment le stade, le mythique Helmántico, et va s’imposer dans la mise en place du remplaçant controversé de l’UD. L’évolution du nom du club porté d’abord par l’ex-président puis par le Mexicain le montre bien. Tout d’abord nommé CD CF Salmantino, le nom initial de la réserve du club (le club n’a jamais évolué sous appellation Athletic, la tentative du président qui a signé la mort du club a été retoquée par la justice). La formation se fait maintenant appeler : Salamanca CF UDS. Avec quelques millions en plus, les propriétaires de l’entité ont après avoir pris le stade, récupéré les bureaux mais aussi le logo et l’hymne de l’UDS historique. L’idée de prendre la suite du club disparu en 2013 est réelle, tout est fait pour cela. Mais localement cela ne prend pas, les Unionistas sont bien plus soutenus et le petit terrain annexe à l’Helmántico est souvent plein. Le match face au Real est attendu par toute la ville par exemple.
La devise des Unionistas est vraiment éloquente. Sur le logo du club, l’inscription : « In Memoriam UDS », pose la raison de son existence : rendre hommage à un club disparu qui voit son héritage tenté d’être spolié par des étrangers, riches, qui ont vu dans la mise en abîme d’un historique l’occasion de se faire de l’argent à moindre coût. L’actuel propriétaire du Salamanca CF UDS a tenté ailleurs, avant de trouver chaussure à son pied dans un endroit beaucoup moins regardant sur l’origine des fonds. Sur Las Pistas, le terrain annexe à l’Helmántico devenu la maison de cette entité, l’ambiance est festive et les banderoles sont multiples. A la 23e minute, les tribunes se lèvent et chantent l’hymne de l’UDS, pour continuer de faire exister ce chant et ce club. Que ce soit à domicile ou à l’extérieur, Unionistas est toujours suivi par une cohorte de fans appréciés de tous ou presque. Les fans ont tissés des liens avec les Bukaneros, un groupe dont ils partagent la vision du football : un football social.
Une progression identique malgré deux visions radicalement opposées
En Segunda B, dans le groupe 2 de cette division particulière qui n’est que le 3e échelon national mais qui ressemble à un mélange des N2 et N3 en France, Unionistas et Salamanca CF se font face. Le premier, se bat avec le plus petit budget de la division, ne finit jamais avec un excédent et s’en sort avec le soutien des pouvoirs publics et la cotisation des membres. L’effectif est composé de joueurs prêtés et Unionistas doit sa présence cette année en Copa Del Rey à son classement dans la première partie de tableau la saison dernière. Coté Salamanca CF, le club a été le seul de sa catégorie à réaliser sa pré-saison estivale hors d’Espagne… Des comptes dans le vert, un effectif bien conçu, l’équipe européenne comptant le plus de Mexicains dans ses rangs ressemble davantage à une colonie étrangère qu’à une entité du cœur de l’Espagne.
« UNIONISTAS DE SALAMANCA CLUB DE FUTBOL jure fidélité éternelle au club UDS, et n’essaye pas, ou ne voudra jamais, se faire passer pour lui, ne se considère ni comme un représentant, ni comme héritier dudit club, se positionnant radicalement contre, et condamnant tout autre club qui essaye ou essayera de le faire « , stipule l’article 4 de la charte du club.*
Le fossé entre les deux entités est béant. Les statuts des Unionistas sont clairs : il ne sera jamais question de prendre la place qu’occupait la UDS, le club se veut n’être qu’un hommage afin de permettre aux gens farouchement amoureux de l’UD disparue en 2013 d’avoir un endroit pour continuer à vivre leur passion sans avoir peur qu’un nouvel investisseur peu scrupuleux de mue en fossoyeur. Unionistas a par exemple mis en place différentes catégories de Socios, avec une carte moins chère qui permet l’accès à certains matchs gratuits jusqu’au niveau le plus haut en plus d’habiliter son détenteur à être partie prenante des nombreuses décisions relatives à la vie club. Vicente del Bosque par exemple a sa carte de Socio !
Cette année, le derby entre Unionistas et Salamanca CF a été très tendu sur le terrain et les deux formations ont annoncé rompre leur maigre relation par la suite. Salamanca CF est une entité classique dans le football moderne, avec un propriétaire qui n’est pas au fait du football local et qui pense que l’argent suffit à se faire apprécier. Le stade par exemple, est la priorité de Desarrollos Empresariales Deportivos SL, le nouveau club est simplement autorisé à y jouer parce que le propriétaire a pu placer ses hommes à la tête du club. L’origine de l’argent est floue, les différents Mexicains qui mettent de l’argent dans le club expliquent que leur fortune provient du business des téléphones mobiles mais les suspicions sont grandes. Luis Manuel Lovato Pérez, l’homme qui détient l’entreprise propriétaire du stade est notamment dans l’oeil du cyclone. Selon des informations d’El Herlado de Aragón, son beau frère serait directement lié au trafic de drogue.
Contraitement, aux Unionistas, la Salamanca CF surfe sur le prestige de la UD Salamanca. Salamanca CF utilise notamment la devise : « nous ne sommes jamais partis » tandis leur voisin lui préfère: « Unión il n’y en avait qu’une ». Les propriétaires du club de l’Helmantico ont acheté tous les symboles et s’en servent sans vergogne. La direction mexicaine tente aussi d’exploiter ce lien avec la formation disparue en organisant divers hommages avec les anciennes gloires de la UDS, dans un Helmántico rarement plein.
Le Salamanca CF a pris directement la place de l’UDS dans l’échiquier du football espagnol mais a été relégué administrativement par la suite. Les Unionistas eux ont préféré décaler leur lancement d’un an pour se doter d’une organisation solide. Les deux sont partis de la division provinciale, en 2014 pour le club des Socios, en 2015 pour l’autre. En 2018, les deux formations sont arrivées au même moment en Segunda B mais avec des logiques différentes. Les Unionistas n’en sont qu’à leur troisième e coach, et préfèrent logiquement la continuité et font preuve de patience. Du coté du SCFUDS, huit entraîneurs ont été nommés depuis 2015 avec des histoires rocambolesques comme la nomination en prête-nom de Marco Antonio Rodríguez pour permettre à un technicien sans licence de la Fédération espagnole d’exercer. L’histoire tourne vite court et le technicien non-licencié démissionne et fait le tour des médias pour expliquer la situation.
Ne pas vouloir paraître différent, même face au Real Madrid, les Unionistas sont fiers de ce qu’ils ont accompli
Au vu de son positionnement et de son assise locale forte, les Unionistas sont les plus soutenus à Salamanca. L’autre formation fait réellement office de pestiférée dans la ville. Cependant, Unionistas évolue dans une annexe de l’Helmántico et a notamment organisé une cagnotte Leetchi pour supporter les coups nécessaires à la réception du Real Madrid dans des conditions acceptables. A l’heure actuelle, il est difficile de trouver une plus belle histoire que ces fans qui vont défier le Real en Copa Del Rey à domicile avec le club qu’ils ont créé dans le but de faire vivre leur amour d’antan de façon éternelle, malgré les tentatives de spoliations. Les Madrilènes sont prévenus, Las Pistas sera pleine et les Unionistas qui ont passé le tour précédent en se qualifiant aux tirs au buts face au grand Deportivo La Corogne et qui ont dû batailler pour en arriver là, ne se laisseront pas faire.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13