Le rêve le plus fou de Quique Setién s’est réalisé : devenir entraîneur du Barça. Finalement, ces deux-là étaient trop semblables pour ne pas finir ensemble. Pourtant l’ex de Las Palmas et du Betis a autant de réussites que d’échecs et son passage à Seville laisse autant de souvenirs que de regrets. Cependant pour réussir chez les Blaugrana, il faut autre chose qu’un CV conséquent. Présentation d’un mariage attendu mais qui interroge, de chaque côté.
Le FC Barcelone est le club le plus élitiste qui soit. Pas seulement parce qu’il gagne beaucoup, mais surtout en raison de ce particularisme qu’il se plait à entretenir. Le Barça adore se penser comme un club différent des autres : il aurait meilleur goût, plus d’esprit, des traditions plus vénérables et en définitive, serait « plus qu’un club ». Fait singulier, depuis 1997 et Van Gaal, il est le seul grand d’Europe qui persiste à ne pas signer d’entraîneurs mondialement reconnus. Traditionnellement, la caste barcelonaise est la seule à laquelle on n’accède pas sur la base de ses titres, mais de ses idées. C’est ainsi que réglementairement, le dernier venu a l’armoire à trophées aussi vide que son esprit est rempli de ces choses étranges que l’on appelle « principes cruyffistes ».
Setién le cruyffiste incompris
Quique Setién aussi est élitiste. Le genre à défendre la supériorité morale du beau sur le reste, à ne pas vouer un culte fou au succès ou encore à mettre le respect des principes de jeu sur un piédestal. Le problème c’est qu’il a passé sa vie dans les milieux populaires de la deuxième division espagnole et du milieu-bas de classement en Liga. Les discours autour de ce football-là sont dominés par l’envie et la nécessité de suer, tandis que Setién n’avait de mots que pour comparer ce jeu aux échecs. C’est ce que Bourdieu appellerait un « déclassé ». Au fait qu’il faut chercher à manger bien, on lui a rétorqué que cette préoccupation ne concernait que ceux munis de l’assurance de ne jamais crever de faim. Et comme Setién n’est pas aussi didactique que Bielsa pour convaincre le grand public ou aussi fou que l’Argentin pour qu’on consente à le laisser tranquille, il s’en est pris plein la face.
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Avec son arrivée à Barcelone, Setién accède enfin à un club qui l’acceptera comme il est. Le Camp Nou ne le sifflera pas, on ne lui chantera plus « garde ta possession, garde ta possession » lorsqu’il sera en déplacement, il ne finira pas comme Lillo. Il lui sera permis de clamer publiquement son admiration pour Busquets sans devoir retourner entraîner William Carvalho ensuite. Le natif de Santander doit être aux anges. Le club de ses rêves les plus inaccessibles car irréalistes le tire du chômage à 61 ans ! Il y a quelque temps encore, son nom circulait du côté de l’Espanyol, dernier de Liga…
Si Setién et le Barça sont théoriquement faits l’un pour l’autre, reste à savoir s’il est fait pour le Barça de janvier 2020. Cette équipe navigue à vue depuis août, incapable de s’appuyer sur de quelconques certitudes autres que celle de disposer du meilleur joueur du monde dans ses rangs. Tous les atouts dans la manche de Valverde se sont révélés caduques. Miser sur un jeu de position strict grâce à de vrais ailiers, tenter d’installer Arthur et de Jong face au jeu, envoyer le Néerlandais aux abords de la surface adverse, recentrer Griezmann, et récemment refaire confiance à Rakitic, aucun ajustement n’a fonctionné sur la durée. Problèmes d’effectif, problème d’entraîneur, il y a intérêt pour le Barça que ce soit la première option… Pourtant, un affreux doute reste permis.
On a beau rêver de monter l’Everest, ça reste l’Everest
Aleñá, joueur optimal entre les lignes est parti quelques jours trop tôt, sûrement au grand dam d’un Setién qui le voulait déjà au Betis. Sergi Roberto et Semedo ont des limites qui les nullifient sur attaque placée. Arthur et de Jong brillent dans les premiers mètres en ayant le jeu face à eux mais n’ont encore jamais montré dans leur carrière une appétence naturelle pour la vie dos au but. Antoine Grizmann n’est pas loin d’être inopérant s’il n’est pas installé au centre tandis que le second meilleur buteur de l’équipe, Luis Suárez, a terminé sa saison la semaine passée. La difficile mission de Setién va être de faire de faire oublier ces défauts qui occupaient toute la place sous Valverde.
Autre défi, convaincre un effectif de jouer son jeu. L’ancien entraîneur du Betis ne renoncera pas à ses principes. ll est bien trop têtu pour ça. Peu adepte des remises en question, c’est comme ça qu’il a perdu tour à tour son vestiaire à Las Palmas et le soutien du public à Séville. Pour que le mariage ait lieu en Catalogne, ce sera aux joueurs d’embrasser ses idées. Le temps où il confessait à Messi « vouloir le voir jouer jusqu’à ses 60 ans » est terminé, tout comme cette époque où il pouvait se permettre de demander à Busquets un maillot dédicacé. À présent, il s’agit de faire rentrer son discours dans les têtes de ces trentenaires de Catalans. L’un des problèmes du jeu de position est qu’un joueur peut aisément gâcher le travail des dix autres. Ce jeu requiert une discipline sans faille des exécutants.
Même Messi devra s’y plier un tant soit peu. S’il vient chercher les ballons trop bas, ce sera néfaste. Au Betis, il a eu besoin de temps pour disposer d’un groupe acquis à sa cause. S’être rapidement mis dans la poche le capitaine Joaquín avait d’ailleurs grandement aidé. Tout comme à Las Palmas, Quique avait également pu utiliser l’argument du « si vous faites ce que je dis, ça ira mieux dans vos carrières par la suite ». Difficile d’user des mêmes subterfuges au Barça. En fait, l’erreur consiste à croire qu’il faut voir en son passage au Betis un calque de ce qu’il fera du côté du Camp Nou. Ce serait d’ailleurs peu souhaitable : malgré tout le travail effectué, son équipe éprouvait des difficultés insurmontables en camp adverse et dépendait des inspirations d’un joueur, Sergio Canales…
Gagner tout de suite
Pas le même endroit, pas les mêmes joueurs (exemple, il n’aura pas quatre jeunes joueurs formés au club dans son onze), pas le même timing. Au Barça, de préférence, il faut gagner et bien jouer. N’oublions pas le premier au détriment du second. Il va s’agir pour ses troupes engagées dans une lutte des plus serrées avec le Real de gagner tout de suite. Fini les conférences de presse un tant soit peu victimaires où Setién défendait le fait d’avoir mieux joué ou d’avoir une approche plus noble. Fini la tolérance avec les 65% de possession pour au final se faire avoir sur un contre, la faute à une transition défensive pas au niveau (d’ailleurs, Piqué pourra-t-il défendre dans les grands espaces ? Et Semedo ?) La victoire sera la caution nécessaire au bon développement de son projet. Rien de pire pour les Blaugranas de voir le Real Madrid leur passer devant. C’est notamment pour cette raison que les dirigeants ont mis autant de temps à se décider à écouter la gronde ambiante.
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Setién a un travail fou sur la planche et mauvaise nouvelle, il n’est pas un Messie. Même pire, c’est un entraîneur qui reste sur un échec. Certaines attentes paraissent démesurées. Néanmoins, le Barça a une opportunité unique de se retrouver avec soi-même. Malgré ses deux fins de mandat catastrophiques, il était l’unique candidat libre à même d’opérer cette réunion. Les médias madrilènes ont flairé le coup. Dès que le Barça fait appel à son identité, il faut dégainer. Les prétentions du tacticien sont déjà remises en question. On le regarde de haut, lui l’entraîneur qui n’a jamais rien gagné mais qui se permet de donner des leçons à tout le monde. Se faire adopter par la presse rivale est un gage de reconnaissance. Pas de doute, Setién et le Barça font partie de la même élite.
Elias Baillif (Elias_B09)