SuperCopa : Rubiales, n’est pas Tebas qui veut !

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Président de la Fédération espagnole depuis 18 mois, Luis Rubiales a très tôt marqué son territoire en virant Julen Lopetegui quelques jours avant le début du Mondial en Russie. Après 30 ans de règne d’Ángel María Villar, l’ancien patron du syndicat des joueurs de 2010 à 2018 devait redorer le blason de l’institution. Or il s’est très vite perdu dans sa lutte contre Javier Tebas, le tout-puissant patron de LaLiga. L’organisation de la SuperCopa en Arabie Saoudite est d’ores et déjà un fiasco et pourrait bien être le dernier clou de son cercueil avant l’élection qui aura lieu au printemps prochain. 

Luis Rubiales est un génie. Vous avez bien lu. Parvenir à faire d’une compétition aussi inutile et absurde que la SuperCopa un sommet de ridicule est une performance inédite qui relève purement et simplement du génie.

En soi, une SuperCoupe n’a aucun sens : disputer la saison suivante un match entre les vainqueurs du championnat et de la coupe nationale (ou ceux de la Ligue des Champions et la Ligue Europa pour son pendant européen) la saison précédente est aberrant. Mais le président de la Fédération espagnole a repoussé les limites de l’inutilité. Tout dans cette SuperCopa est idiot : le format, la date, l’organisation, le pays choisi, la diffusion. Cette version inédite transpire la débilité sportive et politique. Rubiales veut jouer au Tebas, mais s’il semble doté du même cynisme que son rival, il n’en a revanche pas l’intelligence.

Le format : objectif Clásico

Luis Rubiales a pris tout ce qu’il y avait de pire pour proposer la quintessence d’une coupe à Toto. Inspirée de la Liga Endesa en basket, la SuperCopa est désormais un tournoi à 4, une sorte de Final Four des Grands d’Espagne. Si le concept est familier chez les amateurs de la balle orange, ce n’est pas le cas du football. Mais, après tout, en choisissant bien les dates et la ville, le potentiel de cette nouvelle version aurait pu séduire. Or, Rubiales a pris le parti de privilégier l’argent au détriment du sportif et de la raison la plus élémentaire.

Récemment largement réélu à la tête de LaLiga, Javier Tebas a deux ennemis : le Barça et -surtout- le Real Madrid. La redistribution plus équitable des droits TV ne plaît pas aux deux géants et Luis Rubiales a certainement dû se dire qu’il y avait un bon moyen de se les mettre dans la poche avec un prize money alléchant. En qualifiant le club merengue qui n’a absolument rien fait la saison dernière (le motif de sa participation est lunaire : demi-finaliste de la dernière Copa avec le meilleur palmarès), le président de la RFEF offre au Real Madrid la possibilité de gagner un trophée fondé sur la performance sans justification sportive -et accessoirement de faire un peu passer la pilule du licenciement de Lopetegui. Cela a donc permis à l’Atlético de Madrid de prendre la brèche et de s’inviter.

Accessoirement, Rubiales caresse le doux rêve de proposer le premier Clásico officiel à l’étranger et ainsi devancer le souhait de Javier Tebas qui avait été entravé par… la Fédération bien évidemment. Car c’est bien ça l’objectif réel de la manœuvre : exporter le football espagnol (la Liga en définitive, car personne à l’étranger ne fait la différence entre une compétition organisée par LaLiga ou la RFEF, c’est déjà assez compliqué en Espagne de s’y retrouver) avec un Clásico et offrir de la puissance institutionnelle à Rubiales pour lutter face à son rival. Les ficelles sont épaisses…

Rétribution : la prime à l’inégalité

Outre cette inégalité de traitement, Rubiales a ajouté l’inégalité de rétribution. L’Atlético et le Valencia CF, qui a accessoirement remporté la Copa, ont reçu une prime d’engagement moindre : 4M€ pour les Colchoneros, 3 pour les Murciélagos. Le club che a dû batailler pour recevoir une enveloppe un peu plus molletonnée, après d’âpres discussions dont on ne sait pas si elles ont officiellement débouché sur un accord. En résumé, le Real Madrid s’est taillé la part du lion avec le Barça (8M€ chacun) sans aucune raison sportive valable. Même Villar n’avait pas osé ! Si ça ne ressemble pas à une tentative politique d’entrer dans les bonnes grâces de Florentino Pérez…

Le Real Madrid fait beaucoup plus recette que l’Atlético ou Valencia, cela relève de l’évidence la plus absolue. Et comme le nerf de la guerre, ce sont les droits TV, avoir la Casa Blanca en tête d’affiche promet de meilleures rentrées d’argent. Sauf que Rubiales a rajouté une couche d’absurde dans sa mixture et c’est certainement pour cela que cette SuperCopa est aussi indigeste.

Le pays : difficile de faire pire 

À l’heure actuelle, tous les championnats européens veulent s’exporter en masse à l’étranger. Tout est bon pour y parvenir et la SuperCoupe est un bon moyen de tester sa force. En France par exemple, le Trophée des Champions s’est déjà disputé sur trois continents (Amérique du Nord, Afrique, Asie). L’Italie dispute sa Super Coppa fin décembre, au moment des fêtes de Noël. Depuis deux ans, cela se passe (tiens tiens) en Arabie Saoudite, un pays qui ne fête pas Noël au demeurant, mais on n’est pas un non-sens près.

À l’image des décideurs du football professionnel transalpin et d’ASO qui organise le Dakar (sic), l’Arabie Saoudite a donc été choisie pour accueillir la SuperCopa. Difficile de faire pire tant ce royaume se moque éperdument des droits de l’Homme et de la Femme. Là non plus, cette décision n’est pas un hasard. La saison dernière, LaLiga a signé un contrat de partenariat avec la Fédération saoudienne et plusieurs clubs de Liga et de Segunda avaient enrôlé des joueurs du cru qui n’ont servi qu’à faire le nombre aux entraînements. Serait-ce une manœuvre de Rubiales pour reprendre la main par rapport à Tebas ?

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Par ailleurs, le président de la Fédération a eu le cran d’évoquer la venue de femmes au stade et a même surnommé la compétition « la SuperCoupe de l’égalité ». Le football comme vecteur de changements sociétaux… Mais qui peut encore croire sérieusement à ces bêtises quand on sait que l’unique motivation (Rubiales ne l’a d’ailleurs pas caché) était l’argent d’une dictature ?!

Si les 62.000 places du stade de Djebbah seront prises lors des 3 matches du tournoi, les places allouées aux clubs n’ont pas du tout fait recette. En l’espèce, chacun disposait de 3000 sésames. La répartition effectuée par El País laisse pantois : « le Real Madrid en a utilisé 700, dont 600 pour ses peñistas arabes. Les 100 restantes ont été pour 83 proches des joueurs et des dirigeants, 17 pour la peña Ramón Mendoza. Barcelone a comptabilisé 35 billets chez les hommes et 10 chez les femmes qui se déplacent depuis la Catalogne. Quelques 200 tickets sont pour les supporters blaugrana du Moyen-Orient. Valencia assure qu’il a vendu 26 entrées, la majorité pour ses supporters d’Arabie Saoudite et d’Oman ». Pour ce qui concerne l’Atlético de Madrid, environ 50 places ont été vendues. « Nous savions que nous allions vendre peu de billets en Espagne, a expliqué Rubiales. Ce qui importe, c’est que l’afición saoudienne remplira le stade ». Vous avez bien lu : pour le président de la Fédération espagnole de football, dans le cadre d’un tournoi officiel 100% entre clubs espagnols, l’important n’est pas de faire plaisir aux supporters espagnols ! Les mains sales et la nausée.

La date : un but contre son camp

Alors celle-là, c’est peut-être la meilleure, la cerise sur le gaspacho. En choisissant janvier, Luis Rubiales rajoute un déplacement lointain à 4 équipes (dont 2 ne seront venues pour jouer un seul match) qui disputeront les 1/8 de finale de la Ligue des Champions. Les deux premiers mois de l’année sont les plus chargés avec la Copa, désormais disputée avec un match unique et non plus un format aller-retour, avec des clubs de Liga qui disputeront un tour ce week-end (ce qui court-circuite donc une compétition organisée par… la Fédération) et un calendrier démentiel qui proposera un tunnel 1/16 – 1/2 en milieu de semaine entre le 22 janvier et le 12 février.

De plus, au-delà des 40 M€ que recevra la RFEF de la part de l’Arabie Saoudite chaque saison jusqu’en 2022 (cette somme comprend les primes d’engagement des clubs), quels seront les bénéfices « immatériels » de l’institution, notamment en termes d’image de marque ? Après 3 décennies de dynastie Villar, la Fédération avait besoin de se reconnecter avec sa base. Comment y parvenir en privant les supporters de cette SuperCopa et en y ajoutant de l’inégalité et du cynisme à tous les étages ?

La diffusion : où est la caméra cachée ?

La conséquence de cette organisation bancale est simple : le désintérêt des diffuseurs. Les proportions sont même inédites. La télévision publique espagnole (RTVE) qui diffuse traditionnellement la SuperCopa a refusé d’acheter les droits. Motif : le pays organisateur ne respecte pas les droits de la femme et suit la ligne d’organisations comme Amnistie International. C’est donc Movistar qui proposera le tournoi, avec des horaires bâtards, 20h n’étant pas un créneau optimal pour l’Espagne, encore moins pour l’Asie ou pour les Etats-Unis. Ah, les joies du décalage horaire !

Pour la première fois donc, la SuperCopa ne sera pas disponible gratuitement. Pourtant, Gol aurait pu la diffuser puisque la RTVE n’en voulait plus. Certes, mais Gol appartient à Mediapro… en conflit avec la Fédération espagnole ! Et Mediaset ou AtresMedia ? Pas intéressées. Il n’y a plus de mots pour qualifier un tel plantage.

De plus, dans plusieurs pays, notamment la France, les 1/2 finale ne seront pas accessibles, en attendant l’affiche de la finale. Est-ce une si bonne idée de choisir l’Arabie Saoudite comme hôte quand BeIn Sports, une chaîne du Qatar qui est en conflit larvé avec son voisin, diffuse la Liga en France et aux États-Unis par exemple ? On rappelle que l’Arabie Saoudite a monté en 2017 un réseau pirate dans le seul but de détruire la valeur des droits de diffusion qu’achète le Qatar et l’a appelé BeOutQ. Difficile de faire plus explicite…

Le bilan : une catastrophe sur toute la ligne

Malgré une élection alambiquée, l’arrivée de Luis Rubiales à la tête de la Fédération devait marquer la fin des magouilles institutionnalisées par le clan Villar. Mais de toute évidence, l’ancien joueur n’a pas la carrure pour gérer la RFEF. Plutôt que d’arrondir les angles avec LaLiga, il s’est au contraire englué dans une lutte de pouvoir avec Javier Tebas, plus que jamais renforcé dans son pouvoir.

Cette SuperCopa, si elle est rémunératrice pour la Fédération, fait bien plus de mal que de bien au football espagnol qui n’en finit plus de se couvrir de ridicule. En se moquant d’un club qui a remporté la Copa organisée par l’organisation qu’il représente, en élisant une dictature pour accueillir cette SuperCopa, en choisissant le pire moment pour la disputer, en privant les Espagnols de matches en canal ouvert, Luis Rubiales a définitivement perdu son crédit, les supporters et des diffuseurs historiques. N’est pas Javier Tebas qui veut…

Et si finalement, quoique de façon involontaire, ce tournoi ridicule ne remettait pas au centre un débat qui doit devenir dès aujourd’hui celui de tous les acteurs du football européen : jusqu’à quoi est-on prêt pour faire de l’argent ?

François Miguel Boudet

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