Lionel Messi va très certainement gagner son sixième Ballon d’Or. L’occasion parfaite pour mettre des mots sur ce qu’il fait ressentir à des millions de personne dans le monde, pas du même bord sportif que lui.
Vous savez peut-être quelle équipe je supporte. Si ce n’est pas le cas, tout ce dont vous avez besoin de savoir c’est que ce n’est pas le Barça. On ne choisit pas toujours qui l’on supporte mais ce que l’on choisit sûrement, c’est le degré de détestation que l’on entretient à l’égard du club rival. Dans mon cas, pas vraiment de griefs. Il n’existe pas de raisons objectives d’haïr plus petit que soi. Il y a pourtant quelque chose qui me tape sur le système : Lionel Andrés Messi.
Lorsque Usain Bolt a décidé qu’il était temps de battre les records du monde du 100 et du 200 mètres à Pékin, il avait passé toute la semaine à s’alimenter exclusivement de quelques 100 nuggets par jour ; la nourriture servie au village olympique n’était pas à sa guise. Quelques temps avant d’effectuer une nouvelle razzia de médailles aux JO de Rio, Michael Phelps avait été arrêté ivre au volant de sa voiture. Pour sa part, Michael Jordan avait mis en parenthèses son activité de tyran des parquets pour tenter une carrière de baseball, moyenne. Contrairement à tous les plus grands, Leo Messi ne souffre jamais de crises d’extravagance. Même Roger Federer est moins lisse que lui depuis qu’il a décidé de se la jouer dady-cool sur le circuit. Chez Messi, tout est irréprochable. L’histoire dont il est le produit également, elle qui tient du merveilleux. Cela va du contrat sur la serviette à la romance de jeunesse avec Antonella, sur un fond de fidélité absolue au club qui plus que la peau, lui aura sauvé les os.
Loin d’être un héros
Les héros ont ceci en commun qu’ils doivent traverser une série d’épreuves qui les transforment. C’est parce qu’on souffre leurs échecs que l’on peut célébrer leurs victoires. Messi lui ne connaît jamais l’échec, y compris quand son équipe le subit de plein fouet. Sur la pelouse d’Anfield, il a été le meilleur. Messi n’est pas un héros, non. Pour le qualifier exactement, il faut pratiquer l’hyperbole. C’est le dieu du football quoi. Dans une acception cartésienne, le terme « dieu » renvoie à un être doté de toutes les perfections. C’est précisément le cas de la Pulga, excellente même de la tête lorsqu’elle peut atteindre le ballon. L’autre D10S du jeu, lui, fait davantage penser à une divinité grecque. Excentrique et arrogante, convaincue de pouvoir succomber sans crainte aux plaisirs terriens les plus dangereux car immunisé par sa condition divine. Au dieu qui flirte avec la déchéance, on peut limite s’identifier, pour le meilleur et surtout pour le pire. À l’autre, impossible.
Certes, c’est important d’avoir des exemples exemplaires. Si les enfants cherchent à imiter Messi plutôt qu’un autre, tant mieux. N’empêche que pour ceux qui ont renoncé à leur rêve de devenir footballeur, un tel déferlement d’excellence au visage est presque insultant. Au moins, quand Cristiano Ronaldo fait une attaque de vanité on peut le juger et le condamner moralement. Quand bien même on ferait pareil si on était beau, riche et un grand joueur. À Neymar, on aimerait le prendre par l’épaule et lui expliquer sur un ton paternel qu’il est en train de gâcher sa carrière à force de refuser la vie d’ascète. Les joueurs en apparence plus consensuels eux aussi ont des vices. Xavi a des tendances polémistes tandis qu’Iniesta termine sa carrière au Japon pour mieux développer son business de vins. De Messi en revanche, on ne peut jamais rien dire. Que c’est un dictateur ? C’est faux. Qu’il ne la passe pas à Griezmann ? Il fait bien, il est meilleur en situation d’occasion non-claire que le Français en situation d’occasion claire. Qu’il ne mérite pas le Ballon d’Or ? En marchant le trois-quart des matches il est supérieur à tous les autres.
Messi c’est celui qui en plus d’être le meilleur attaquant s’est dit un beau jour qu’il pourrait aussi devenir le meilleur milieu de terrain. Celui qui en pleine expansion du big data le rend déjà obsolète car celui-ci confirme ce qu’on savait déjà tous : il est au-dessus. Celui qu’on est prêt à croire lorsque accusé de fraude fiscale, il répond « n’être au courant de rien car se dédie exclusivement à la pratique du football« . Tu m’étonnes qu’il n’a pas le temps de monter des réseaux d’évasion fiscale si son temps libre il le passe à jouer au foot… avec son chien. Alors excusez-moi, qu’un type aussi irréprochable milite chez le rival et qu’en plus il domine le monde du ballon, ça m’énerve. Ce n’est pas du jeu. Pour que le plus grand joueur de l’histoire de mon club joue chez nous, il a fallu batailler des mois et des mois, faisant valoir les subtilités du droit les plus discutables. En parallèle, le plus grand joueur de l’histoire du Barça s’est juste contenté de toquer à la porte du club qui n’avait rien demandé, en disant « j’aimerais bien jouer chez vous« .
Je ne rage pas, je m’énerve juste
Encore une fois, pas de griefs, simplement un énervement légitime face à un type qui a fini le jeu six fois mais continue d’y jouer. Devoir reconnaître que Lionel Andrés est le meilleur sans même être crédible dans les relents de mauvaise foi que je pourrais manifester, ça me frustre. De devoir chaque année mettre les ambitions de Liga en stand-by, ça m’use. De pouvoir célébrer sa présence sur le terrain une année de plus, ses passes, ses dribbles, tout son jeu sauf ses buts, c’est une contradiction fatigante. À la 89e, salaud… on allait être leaders. L’idéal ce serait qu’il fasse un match incroyable mais que son équipe prenne trois-quatre buts. Malheureusement, ça n’arrive qu’une fois par an ça.
Pour mettre fin à mon humeur morose, faut-il rendre les armes et succomber à ses charmes ? Non, car dans cinq ans au plus tard tout cette insurrection contre l’ordre établi prendra fin. Retour à la normale. Ce sera aussi bien que triste. Alors en attendant, comme l’entier des sains d’esprits (et pour les autres « repentez-vous, la fin est proche ») je tente de profiter de Lionel Andrés Messi tout en avançant sur mon chemin de croix : 2010 méprise, 2014 tolérance, 2017 admiration, je suis en plein dans la dernière étape du périple.
Elias Baillif (Elias_B09)