A chaque trêve internationale le même refrain : Luis Alberto patiente au centre d’entraînement de Formello quand ses coéquipiers s’envolent aux quatre coins de l’Europe. Un constat amer pour un joueur en état de grâce depuis le début de saison avec la Lazio. Parfois à court d’arguments offensifs, comment la Roja peut-elle se priver du meilleur passeur de Serie A ? Éléments de réponse avant Espagne-Roumanie aujourd’hui.
Dimanche 3 novembre 2019, 22h30. Dans un San Siro aux airs de cathédrale tant l’ambiance se fait tristoune et les tribunes clairsemées, on en oublierait presque la teneur du choc qui se dispute un peu plus bas. Cela va sans dire que ce Milan n’a plus le standing de la génération Maldini. Si séduisante puisse-t-elle être par séquences, la Lazio reste éloignée de sommets qu’elle titillait encore en début de millénaire. Reste qu’au moment du verdict, un numéro 10 vêtu de ciel et de blanc vient se rappeler aux plus belles heures du Calcio : Luis Alberto. Une prise de balle impeccable, un délicieux extérieur du pied entre deux défenseurs, et Joaquin Correa n’a plus qu’à ajuster Donnarumma (1-2). MVP du soir, l’Espagnol savoure.
Une énième partition de haut vol qui fait écho 2000 kilomètres à l’ouest. Car en Andalousie, la mémoire résiste au temps. Du côté de Sanchez-Pizjuan, personne n’a oublié le gamin de San José del Valle, formé puis révélé sous le maillot de Séville avant de le quitter en 2013. Il suffit d’ouvrir un numéro de l’Estadio Deportivo pour s’en convaincre. Au lendemain du Milan-Lazio, le quotidien local titre « Luis Alberto, le dernier tour du magicien », habile clin d’œil au surnom du jeune homme, le « mago ». Avec un espoir latent, celui que le maestro daigne un jour revenir au FC Séville, « le club de son cœur ». Au passage, le plaidoyer en faveur d’une convocation nationale est à peine voilé.
Un joueur de club ?
On touche au paradoxe d’un cas méconnu sur le sol français – et pas forcément beaucoup plus de l’autre côté des Pyrénées. A 27 ans, Luis Alberto Romero Alconchel n’a côtoyé l’Absoluta qu’une toute petite fois dans sa carrière. C’était le 11 novembre 2017 face au Costa Rica (5-0), où il avait dû s’en tenir à une demi-heure anecdotique. A l’époque, le laziale prenait enfin son envol, après une pige à Liverpool où il avait appris plus que pratiqué (douze apparitions) et deux prêts pour mûrir à Malaga puis la Corogne. Depuis, le téléphone ne sonne plus. Un traitement curieux au regard du large turn-over qu’opère Robert Moreno, en plein tâtonnement quant à ses vingt-trois têtes de liste.
Luis Alberto n’est pourtant plus à ranger dans la catégorie des feux de paille, ces génies d’un jour aux facultés aussi saisissantes qu’éphémères. Moins médiatisé qu’Immobile ou Milinkovic-Savic, le numéro 10 est l’autre homme fort de l’actuel troisième de Serie A. S’il a connu quelques pépins physiques et autres légers trous d’air, sa collaboration avec deux coachs personnels l’a remis d’aplomb physiquement comme mentalement, et l’Espagnol carbure aujourd’hui à plein régime. D’autant que la venue d’un autre ancien de la maison sévillane, Joaquin Correa, l’a libéré dans le jeu. Autrefois neuf et demi, Simone Inzaghi l’a replacé au cœur du trident du milieu, là où il est le plus à même de faire valoir sa créativité. « C’est le meilleur moment de ma carrière, confiait-il récemment. Il y a deux ans, je ne me sentais pas si bien dirigé, donc je n’étais pas aussi décisif ».
À un esthétisme et une science innée du beau geste, l’ancien du Barça B mêle depuis son arrivée dans la Botte des statistiques hors du lot. Déjà meilleur passeur de Serie A en 2017-2018, l’Andalou l’est de nouveau sur ce début d’exercice (huit offrandes en douze matchs), qui plus est deuxième d’Europe derrière Kevin de Bruyne. « Je préfère être à la dernière passe que marquer » soutenait-il en personne, maxime qui pourrait s’apparenter à du politiquement correct si le jeu ne témoignait pas de sa véracité. Également sur le podium italien en termes de dribbles réussis, il est aussi premier en nombre d’occasions créées. Pas étonnant, donc, que son duo avec Ciro Immobile – rebaptisé en trio depuis l’arrivée de Correa – soit l’un des plus prolifiques des quatre grands championnats. Et que la Lazio culmine à la deuxième place du classement italien des meilleures attaques.
Entre éclosion tardive et problème de concurrence
Au moment d’aborder les causes d’une non-sélection, le facteur concurrence entre évidemment en première ligne. Plus que tout autre prétendant à l’Euro 2020, l’entrejeu espagnol est totalement embouteillé, avec pas moins d’une dizaine de prétendants sérieux. Sergio Busquets et Rodri omis de par leur position de sentinelle, ne reste que quatre places où siègent actuellement Thiago Alcantara, Saul, Fabian Ruiz et Santi Cazorla. Soit trois clés de voûte du système Moreno et un joueur de Villarreal garant d’une expérience à toute épreuve. Pondu sur le tard, Alberto paye son déficit de vécu international. D’autant qu’absent de toutes les équipes de jeunes, lui n’a gravi aucun échelon avec la Rojita.
Pour renverser la vapeur, Luis Alberto ne bénéficie pas d’une image de marque en sa faveur. Discret et dans un club de seconde zone, son ascension s’est de surcroît déroulée hors d’Espagne. Dans la liste, seuls les néophytes Dani Olmo et Adama Traoré peuvent se targuer d’une trajectoire semblable, quand les vingt-et-un autres, s’ils ne jouent pas en Liga, y ont au moins fait leurs preuves. Ajoutez à cela un individu moins à l’aise s’il n’est pas au cœur du projet, qui ne se sent capable d’être au service du collectif que quand celui-ci lui témoigne de toute sa confiance. Difficile donc, à sept mois de l’Euro et sans rien d’autre que des amicaux, d’imaginer le sélectionneur changer son fusil d’épaule. Mais qui sait si, dans cette Roja aux offensives parfois stéréotypées, la polyvalence et les prises de risque de Luis Alberto n’en feraient pas un parfait candidat de dernière minute.
Corentin Rolland
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