Bien que le dénouement soit prévu pour 2021, l’élection présidentielle au FC Barcelone a d’ores et déjà commencé. Plus que la nomination d’un nouveau président, le Barça s’apprête à entrer dans une nouvelle ère : celle de l’après Leo Messi. Une sacré pression pour le nouvel élu. En attendant, quel bilan partiel tirer du règne de Josep María Bartomeu à la tête du club catalan? Entre triplé historique et perte de d’identité, quelle trace laissera vraiment le 40e président blaugrana? Éléments de réponse.
Bartomeu, l’anti-Laporta?
Parfois décrié par les supporteurs français du Barça, Josep Maria Bartomeu n’en est pas moins très apprécié par les socios du club qui voit en lui un très bon gestionnaire. Cette image d’homme posé et extrêmement pondéré dans ses propos contraste avec le sulfureux et bling-bling Joan Laporta. C’est bien simple, l’évocation de ce patronyme continue de déchaîner les passions chez les socios. Génie et meilleur président du club pour certains, malfrat et dirigeant médiocre pour d’autres. Si l’avocat provoque encore beaucoup de rancœur dans les allées du Camp Nou, c’est en grande partie dû à ses affaires qui auraient éclaboussé l’image sans failles du Barça de l’époque Unicef : comptes laissés dans le rouge avec un déficit estimé à presque 80M d’euros (pourtant innocenté depuis pour une partie de cette somme), détournement de fonds et utilisation de l’image du club pour ses affaires personnelles.

Pourtant, dans le domaine des sombres affaires ayant éclaboussé le club ces dernières années le duo Bartomeu – Rosell n’est pas en reste, la plus retentissante étant celle du transfert de Neymar. Inculpé entre autres dans l’affaire de son transfert Sandro Rosell, pourtant largement élu président en 2010 doit abandonner la barre du navire à son ami Bartomeu le 23 janvier 2014, avant que celui-ci ne soit élu officiellement. Relaxé récemment pour une affaire de blanchiment d’argent, il est toujours dans le collimateur de la justice pour corruption dans le transfert du Brésilien.
Président à avoir instauré le sponsor maillot à but lucratif « Qatar Fondation » sur la tunique blaugrana, les zones d’ombres et les causes mystérieuses ont été nombreuses sur ce contrat, notamment sur le changement de nom du sponsor après une période prédéfinie en « Qatar Aiways » ou un projet de naming du stade en collaboration avec le Qatar. Des zones d’ombres qui ont à l’époque agacé les socios. En retrait, difficile pourtant d’imaginer que Josep María Bartomeu, son fidèle bras droit, n’ait eu aucune connaissance de ses nombreuses affaires.
Développement de l’image Barça, le point fort?
Mais s’il existe un point où le président des Blaugrana est très souvent couvert de louages, c’est sur sa gestion des finances. Loué pour avoir réduit la dette et réussi à combler le trou financier laissé par Joan Laporta, bien que ce dernier nie la véracité des chiffres avancés, ayant lui même succédé à une présidence compliquée en la matière, celle de Joan Gaspart, Bartomeu ne cesse de vendre l’image Barça à travers le monde et notamment en Asie. La recherche d’un nouvel écusson était d’ailleurs l’un des points essentiels de ce développement. Si le Barça est accusé de flirter dangereusement avec les limites de sa masse salariale, les bénéfices, eux, sont toujours présents bien qu’en baisse. Grâce à des contrats de sponsoring toujours plus nombreux et lucratifs, le Barça affiche des résultats satisfaisants pour son porte parole Josep Vives : « Nous devons exprimer notre satisfaction pour les revenus records de ces six dernières années. C’est également la huitième année consécutives avec bénéfices ».

Anti Cruyffista?
Favorable à la motion de censure à l’encontre de Joan Laporta en 2008, Bartomeu alors candidat à sa succession avait déclaré à Mundo Deportivo que « voter oui à la motion de censure c’est en terminer avec le Cruyffismo ». Ancien membre de l’équipe de Laporta, il participait alors à la fronde menée contre l’équipe dirigeante de l’époque avec comme leader Sandro Rosell. Au-delà des jeux de pouvoirs politiques qui se jouaient (Laporta-Cruyff contre Rosell-Bartomeu), la ligne directrice était claire : en finir avec les enseignements de Cruyff et ouvrir la porte aux nouvelles idées afin d’entrer dans une nouvelle ère. Pourtant aujourd’hui, le club et son président ne perdent pas une occasion de rendre hommage à la Légende dans des numéros de communication bien détectables mais efficaces.

Cérémonies d’hommage, stade à son nom, déclarations sur son apport historique au club, Josep Bartomeu ne ménage pas ses efforts pour faire oublier ses propos de 2008. Dernièrement le club à même entrepris la réalisation d’un fresque murale en hommage à la Masia et Cruyff au sein du stade nommé en son nom. Rendre hommages aux soldats oubliés en somme. Pourtant dans la réalité peu de ce qui a été entrepris ces dernières années ne ressemblent à des souhaits de Cruyff pour l’avenir de ce club.
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Masia, le point noir
Souvent montré du doigt pour son manque de charisme, Josep María Bartomeu n’en est pas moins un homme d’affaires accompli. Être président d’un club comme le Barça, c’est avant tout savoir s’entourer et nommer les bonnes personnes aux postes clés. Dans un club connu et reconnu pour sa formation, accentué par l’ère Guardiola, les postes décisionnaires de la formation sont primordiaux. Dans la lignée du souhait de Rosell d’en terminer avec tout ce qui approche de près ou de loin à Cruyff, lui-même poussé vers la sortie en tant que président d’honneur du club, le club décide de bousculer son système et sa philosophie de formation. Interrogé fin juillet par Club Mitjanit, Sergi Palencia, ancien capitaine du Barça B, joueur le plus capé de cette catégorie, déclarait au sujet du désormais ex-directeur géneral du club : » Je n’ai rien de mal à dire sur Pep Segura, mais je pense qu’avec lui la philosophie du Barça a un peu changé « .
Ce changement, tout le monde en a conscience. y compris les joueurs et leurs proches qui privilégient maintenant l’étranger pour un meilleur développement sportif. Néanmoins, ce n’est pas l’avis de José Maria Bakero, pour qui les jeunes talents préfèrent suivre une tout autre chemin. Celui des billets verts. Le 25 avril dernier, l’ancien blaugrana affirmait à Mundo Deportivo : « 75% des joueurs qui décident de quitter la Masia le font pour l’argent ». Impossible de connaître les critères de sélections de ces jeunes. Cependant, le fait que l’ascenseur Equipe B-Equipe A soit en panne depuis Sergi Roberto en 2013, avec le seul Carles Aleña qui a connu la chance d’intégrer l’équipe de Valverde, n’incite pas à l’optimisme. d’autant que cette chance, il est important de le préciser, a été directement provoquée par la blessure longue durée de Rafinha.
Le cas Kubo
Cette fuite des talents qui touche la Masia semble inéluctable. Le critère financier est bien entendu recevable dans certains cas mais il y a de ces joueurs qu’il vaut mieux ne pas perdre. Récemment, le cas Kubo a fait beaucoup parler, à juste titre. Formé au Barça, régulièrement encensé par ceux qui le suivent, il a été l’une des victimes des transferts de jeunes illégaux du Barça et de la sanction FIFA qui en a découlé. Souhaitant revenir au club, ses demandes financières ont refroidi le board, qui a de plus estimé que sa progression n’était pas suffisante. Kubo, lui, a décidé de rejoindre l’ennemi intime, le Real Madrid consentant à accepter ses doléances. Traître pour l’un, victime d’une direction sportive incompétente pour d’autre, le cas divise. Enclin à accepter de mettre des sommes folles dans des transferts ou dans des renouvellement de contrats, difficile d’expliquer que l’effort ne soit pas fait pour un jeune du cru.
« je ne suis plus au barça parce qu’ils n’ont pas respecté le modÈle ».
JOAN VILA, ex responsable de la mÉthodologie du barça. La vanguardia
Le problème général est bien là. Souhaitant surfer sur une politique individuelle de formation, le club ne veut plus former pour son équipe première mais revendre ses pépites, formées sur place ou arrivées sur le tard et offrant un profil plus universel et plus uniquement Barça compatible. Poussé vers la sortie, Joan Vila, responsable de toute la méthodologie du club depuis 31 ans, ne supporte pas ce changement de cap. Le nouveau crédo : gagner peu importe la manière afin d’offrir une visibilité à ses jeunes. Pour ça, le club n’a pas hésité à effectuer une politique forte de recrutement pour son équipe B en 2016 afin d’obtenir la promotion en seconde division. Pari gagné mais seulement sur le court terme. L’équipe créée de toutes pièces sans aucune cohésion collective a sombré très rapidement et a connu la relégation après seulement une saison. Gerard López qui était à la tête de l’équipe n’a pas pu échappé au licenciement.
Et justement, à deux ans des élections, Bartomeu continue de se débarrasser de ses compagnons d’armes les uns après les autres pour mettre en avant des noms plus susceptibles de parler aux socios. Après maintes secousses en coulisses, Jordi Mestre puis Pep Segura, souvent pointé du doigt comme le principal responsable de la perte de la philosophie, ont quitté le club ces dernières semaines. Déjà présent depuis 2018, Eric Abidal, apprécié par les supporteurs après son départ polémique provoqué par… Sandro Rosell, est rejoint par Patrick Kluivert, nouveau directeur du football de formation et par Victor Valdés, nouvel entraîneur des Juvenil A. Des gros noms, évocateurs de souvenirs heureux pour les supporteurs. Aujourd’hui encore, le nom de Carles Puyol est évoqué pour rejoindre l’organigramme du club. Josep María Bartomeu, en se débarrassant de son homme fort Pep Segura, reconnait en un sens l’échec de sa ligne de travail, mais essaye de cacher la forêt avec un arbre empreint de nostalgie.
« Mon objectif principal est de PROTÉGER la philosophie de cruyff »
patrick Kluivert à sport
Socios, des alliés de poids…
Si Josep María Bartomeu n’est pas en mesure de se représenter pour l’élection de 2021, il est certain qu’une personne chargée de perpétrer la politique actuelle sera désignée. Jordi Cardoner, vice-président actuel , devrait être cette personne. Afin de continuer dans cette voie, il va falloir convaincre les socios, et pour cela la direction sportive de Bartomeu a un petit avantage sur ses concurrents. Encore très apprécié malgré les revers retentissants en Ligue des Champions, le président jouit d’une excellente cote de popularité qu’il doit à plusieurs facteurs. Apprécié pour sa gestion (quasi) sans affaires sombres, il dégage un air sympathique de père de famille bien sous ton rapport, au contraire des plus médiatiques Laporta et Rosell qui aimaient prendre la lumière sur eux. Souvent élogieux avec les socios, Bartomeu est aussi le président responsable de beaucoup d’avantages qui peuvent leur être accordés.
Dans la catégorie ce n’est pas l’offre du siècle mais ça fait plaisir au portefeuille, l’augmentation de 10 à 25% de réduction des services de restauration du stade les jours de match pour la saison 2019-20. Une décision « discrète » mais qui plait toujours à des socios qui se sentent importants. Ces avantages à la boutique du club où dans les différents services du stade sont monnaies courante sous cette présidence bien qu’il soit difficile d’affirmer qu’elle soit une arme de popularité imparable.
Els propers beneficis per als socis són l’augment del descompte en els serveis de restauració de l’Estadi, que passa del 10% al 25%, i un telèfon d’atenció intel·ligent pic.twitter.com/SeVH4Nt3t1
— FC Barcelona (@FCBarcelona_cat) June 27, 2019
… pour l’instant
Des avantages qui arrivent plus ou moins récemment mais qui interviennent surtout dans un climat bien différent de ce que le président Bartomeu a connu précédemment. Toujours en odeur de sainteté dans les sondages sortis après la débâcle de Liverpool (167 socios approuvaient la gestion du président le 25/06/2019 sur les 250 interrogés), ses décisions, elles, ne font plus l’unanimité. Encore soutenu assez largement en février, l’entraîneur actuel Ernesto Valerde n’est plus l’homme de la situation pour 65,6% des interrogés lors du même sondage. Un désaccord majeur pouvant s’accentuer en cas de début de saison galère, mais qui pourrait aussi très vite s’oublier. Egalement tancé au moment de l’assemblée générale destinée à décider du changement d’écusson du club par les socios, tous les feux ne sont pas au vert pour la direction actuelle.
Il reste deux saisons pour préparer une élection qui semble vitale dans le virage sans Messi que s’apprête à vivre le Barça. S’il est souvent « accusé » d’être l’arbre qui cache la médiocrité ambiante du club blaugrana tout entier, l’avenir n’est aujourd’hui plus entre ses pieds, mais bien entre les mains indécises de ses plus fervents supporteurs.
Tracy Rodrigo
@tracy_rdg