Elena Linari n’a disputé que la moitié des matches de l’Atlético de Madrid pour sa 1re saison en Espagne et, après de beaux débuts, a progressivement perdu sa place de titulaire au profit d’Aïssatou Tounkara. Pourtant, alors qu’elle n’avait a priori pas sa place dans le XI, la défenseure centrale italienne est l’un des symboles de cette Nazionale qui déjoue tous les pronostics. Portrait de la Toscane, à la veille du quart de finale contre les Pays-Bas.
Elena Linari n’a que 25 ans mais déjà 11 saisons au plus haut niveau et un palmarès massif. Joies d’un football féminin balbutiant, la défenseure a débuté dans l’équipe première de la Fiorentina en 2007, quand la Viola était encore en 2e division. Le premier aboutissement d’une passion née à 5 ans, quand la Toscane a intégré les rangs de l’Atletica Castello.
Chez les Gigliati, Linari connaît la montée en Serie A en 2010 et partage son temps de jeu avec la Primavera (l’équipe jeune) qui remporte le titre en 2013. Déjà désireuse de remporter des titres, la défenseure centrale quitte sa région natale et rallie la Lombardie et le club de Brescia, la référence du moment en Italie. L’objectif est atteint et le palmarès s’ouvre. En 2 ans, elle soulève les 6 trophées en jeu : Scudetto, Coppa, SuperCoppa au carré. Pour son retour à la Fio entre 2016 et 2018, elle contribue au retour au sommet de son 1er club pro avec la reconquête un nouveau triplé en 2017 et une Coppa en 2018.
Nouveau titre mais victime de la concurrence à l’Atlético
Linari a tout gagné en Italie et plutôt que signer chez le rival juventino qui se structure à vitesse grand V, elle opte pour une nouvelle aventure, à l’Atlético de Madrid. L’occasion pour l’étudiante en sciences motrices de découvrir un nouveau contexte chez les doubles championnes d’Espagne en titre. « Je voulais me confronter à un football différent et voir comme je pouvais y réussir », disait-elle dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport en mai dernier. Les débuts ont d’ailleurs été parfaits, à sa surprise : « je pensais arriver sur la pointe des pieds mais je me suis retrouvée titulaire fixe, c’était incroyable, poursuit-elle ».
La suite a été plus difficile. Aïssatou Tounkara a progressivement pris sa place au côté de Laia Alexandri. « J’ai perdu ma place et je me sentais très mal, constatait-elle après la conquête de son premier titre de championne en Espagne. Néanmoins, il y a beaucoup d’aspects positifs à retenir. Ici, la concurrence est spectaculaire et on apprend énormément. Par exemple, être au marquage d’une flèche comme Ludmila da Silva (qui a disputé le Mondial avec le Brésil, ndlr) à chaque entraînement fait progresser à chaque session ».
Au-delà de l’aspect sportif, Elena Linari a pu constater l’essor du football féminin en Espagne : « avec l’Atlético, nous avons rempli San Mamés et le Wanda Metropolitano. Des dizaines et des dizaines de milliers de personnes. Et ne dites pas que nous l’avons fait parce que c’était gratuit ! Même si les gens ont peu payé, ils ont payé. Personne n’a été forcé, l’enthousiasme était vrai. La sensation générale, c’est qu’il y a un grand respect pour le football féminin ».
Invitée inattendue
Si Linari a perdu progressivement sa place dans le XI des Colchoneras, elle a revanche su profiter de la blessure de la Juventina Cecilia Salvai, victime d’une rupture des ligaments croisés en mars, pour devenir une titulaire de la Nazionale pendant cette Coupe du Monde. Elle est un des piliers de cette Italie qui n’en finit plus de surprendre, qualifiée pour les 1/4 de finale 28 ans après la dernière participation des Azzurre.
Une performance inattendue. Sortir en tête d’un groupe avec le Brésil et l’Australie puis battre la Chine sans frémir en 1/8 de finale : la Nazionale fait figure d’épouvantail et vu la difficulté avec laquelle les Pays-Bas se sont sortie du guêpier japonais, on se dit que l’exploit n’est pas impossible. Ce 1/4 de finale sera suivi dans tout le pays, avec un record d’audience pour la RAI en prévision. Pour celle qui porte la tunique azzurra depuis 2013 après avoir joué dans toutes les catégories de jeunes, c’est une opportunité immense en faveur la reconnaissance de la pratique en Italie : « C’est quelque chose de vraiment extraordinaire, nous écrivons une nouvelle page, un nouveau chapitre. Nous constituons un beau groupe et nous espérons pouvoir aller encore plus loin. Même dans nos rêves les plus fous, nous ne pouvions nous imaginer parmi les 8 meilleures équipes du monde ».
Un tournoi crucial qui va au-delà du sport
Une qualification dans le dernier carré accélérerait la popularisation du football féminin dans un pays dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’un véritable engouement ou d’une réaction par rapport à l’équipe masculine qui ne s’est pas qualifiée au Mondial 2018. Cela passe avant tout par un accroissement du nombre de pratiquantes : « Le nombre de licenciées est encore petit, explique Linari avant de dégainer la sulfateuse. Il y a encore des gens à la télévision qui disent que nous, les femmes, ne pouvons pas parler de football parce que nous ne le comprenons pas vraiment. Si une gardienne manque un arrêt, ils crucifient tout le mouvement. Ou alors on nous demande de rendre compte de notre vie amoureuse. Ma per favore ! ». Et d’établir une comparaison avec son quotidien à Madrid : « En Espagne, comme dans de nombreux autres pays, le football féminin est absolument normal, comme le basketball, le tennis ou le volleyball. En Italie, il existe d’énormes préjugés qui conditionnent la croissance de la pratique. Les parents n’encouragent pas leurs filles à jouer au football, freinés par des stéréotypes absurdes, tels que les jambes, le physique, la sexualité. Tant que ce sera le cas, la croissance sera limitée ».
Comme pour de nombreuses sélections, ce Mondial 2019 doit aussi servir à des intérêts qui vont au-delà du simple cadre sportif et Linari connaît parfaitement la valeur des performances de la Nazionale : « Cette équipe se bat pour un avenir meilleur et pour les jeunes femmes qui vont suivre. Personne ne nous a donné un coup de main, nous nous sommes faites toutes seules. Nous avons un enthousiasme que d’autres équipes n’ont peut-être pas. Chacune de nous a sacrifié des vacances, des affections, des études. Mais maintenant nous écrivons l’histoire ».
François Miguel Boudet
@fmboudet