Pourquoi l’Espagne a raté le meilleur de Fernando Torres

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Fernando Torres est à partir de ce 21 juin 2019 une légende du football espagnol. Pourtant, malgré un but éternel en finale de l’Euro 2008, ce football-là est passé à côté d’un joueur d’exception. Explications.

Fernando Torres a-t-il sauvé l’Atlético de Madrid ? Quand les Colchoneros étaient au plus bas est apparu un gamin de 17 ans. Deux saisons après ses débuts précoces, l’équipe connaîtrait l’intense soulagement de remonter Liga. Tandis que l’Atlético avait retrouvé une division digne de son nom, le peuple rojiblanco, lui, avait trouvé en Torres son buteur, son capitaine et un motif de murmure lorsque le ballon parvenait à ses pieds. 76 buts et cinq saisons de Liga plus tard, El Niño était vendu à Liverpool. Un jour de tristesse pour les supporters, un jour de rictus pour les comptables d’un club désormais hors de danger financièrement, du moins à court terme. Durant plusieurs saisons, l’Angleterre obtiendrait la quintessence du natif de Fuenlabrada. Torres aura beau avoir été un messie dans sa ville, il aura aussi été victime d’un adage vieux comme le monde : nul n’est prophète en son pays.

Joueur iconoclaste

Il est peu probable que l’Espagne voie naître de sitôt un joueur du calibre de Fernando Torres. Depuis ses succès de masse, le pays a véhiculé l’idée selon laquelle ses footballeurs s’apparentaient surtout à des Iniesta. D’une traite, cent ans d’histoire footballistique furent balayés par cette pensée hégémonique. On le sait, l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs… Dans le football espagnol, les idées novatrices de la fin des années 2000 devinrent la norme. Là où des délits de faciès existent dans certaines sphères de la société, des délits de corporéité s’observèrent à l’égard de footballeurs trop forts physiquement. Pendant trop longtemps, les physiques supérieurs avaient été préférés à tout autre attribut. Alors, lorsque la pensée footballistique changea d’extrême de référence, toute une série de joueurs furent forts physiquement fut regardée avec suspicion. Le football national avait fait un bond en avant mais avait laissé sur le bas côté certains de ses talents. Dont Fernando Torres.

L’ex de Liverpool est grand plutôt que petit, puissant plutôt que frêle, plus à l’aise dans les grands espaces que les petits, colchonero plutôt que culé, et en plus, blond plutôt que brun ! Dans le récit footballistique que s’était construit l’Espagne, où placer Fernando Torres ? Était-il un niño illégitime ? En 2008, la Selección émeut l’Europe avec son jeu de toque. De cette Espagne d’Aragonés, on retiendra cette manière de jouer et l’éviction de Raúl, alors le meilleur buteur de son histoire. Cette équipe de 2008, pourtant, vit au rythme des courses de Fernando Torres. Si cette équipe est plus verticale que celle des années suivantes, c’est notamment parce qu’elle s’appuie sur les démarquages de Fernando Torres, peut-être le meilleur attaquant d’Europe dans cet exercice. Xabi Alonso, son meilleur socio, avait beau être sur le banc, l’attaquant des Reds était mis dans les meilleures conditions. Villa blessé en demies, c’est entièrement voué à la cause de Torres que cette Selección ira au bout. De l’Atlético à la Selección, Luis Aragonés aura compris mieux que quiconque son joueur. « Il a été comme un père » avoue l’attaquant.

L’année 2009 se fait avec Torres à la pointe de l’attaque. L’année 2010 aussi, puis, le joueur se blesse. On ne le sait pas encore, mais il n’atteindra plus jamais les sommets de ses meilleures années sur les bords de la Mersey. Pendant la Coupe du Monde, David Villa flambe et El Guaje (ce qui veut aussi dire « le gamin », tiens) deviendra peu à peu le meilleur buteur de l’histoire de la Roja. Pour sa part, l’Espagne développe toujours plus son style, quitte à faire fi des dissidents. Preuve de cela, elle joue l’Euro 2012 sans numéro 9… Torres, héros déchu, est sur le banc. Son déclin ne l’empêchera pas de finir meilleur buteur du tournoi. Un joli pied de nez à la figure du faux 9.

Les meilleures années de Torres se seront déroulées en Angleterre. L’Espagne n’aura jamais pu pleinement profiter du talent de l’attaquant pour une raison purement géographique. Aussi, le passé colchonero du joueur n’aura pas aidé. L’Atlético n’a pas toujours été très attrayant. Mais ces raisons assez évidentes ne sont pas les seules. Dans le fait de profiter d’une chose ou d’une personne, l’état d’esprit adopté rentre aussi en ligne de compte. Trop occupée à admirer son modèle, l’Espagne n’aura pas eu assez de considération pour les joueurs différents. Fernando Llorente en est un autre exemple. Son entrée contre le Portugal en 2010 aura changé le cours du match, montrant le grand niveau dont il pouvait faire preuve. Pourtant, il n’aura jamais été considéré à sa juste valeur. « Il a un profil différent » se sera-t-on contenté de dire. Lui aussi a bâti sa renommée à l’étranger d’ailleurs.

Le pays a préféré voir des attaquants se fondant dans un collectif, capables de combiner, de faire jouer. L’auto-suffisance n’était plus au goût du jour. Désormais, elle se cherche désespérément un attaquant à l’ancienne et regrette le temps où elle produisait des tueurs. Torres a tout gagné, été troisième du Ballon d’Or, été le seul attaquant espagnol a s’être exporté avec succès en Premier League. Tout ça n’a pas été suffisant pour qu’il soit apprécié à sa juste valeur. On a préféré être constamment déçu de son niveau post 2010 plutôt que de reconnaître le génie qu’il a été. Dans Football à la française, Thibaud Leplat reconnaît que la France a raté Zidane. L’Espagne, elle, a raté Torres. « L’Espagne n’est pas un pays voué à l’admiration. Nous avons de la peine à applaudir » regrettait le philosophe José Antonio Marina, lors d’une discussion avec… Fernando Torres.

Elias Baillif 

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