Tottenham – Fernando Llorente, colosse aux pieds d’argile

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Ambiances féeriques, scénarios invraisemblables, joueurs en état de grâce (Dušan Tadić, Lucas Moura), la Ligue des Champions n’a jamais aussi bien porté son nom. Parmi ces nouveaux héros qui, le temps d’un soir ou deux, ont transporté l’Europe du football, curieuse trajectoire que celle de Fernando Llorente. Ancienne gloire de Bilbao hier, joker de luxe de Tottenham aujourd’hui, le parcours du géant espagnol n’a pourtant pas été si linéaire qu’il n’y paraît. Oublié des radars il y a à peine trois mois de cela, qui aurait pu prédire qu’il serait une figure de proue des Spurs dans leur ascension vers le Wanda Metropolitano ?

La carrière de Fernando Llorente pouvait difficilement mieux démarrer. Étoile de l’Athletic Club sept saisons durant, il marque pas moins de 111 buts en 327 matchs, avec pour point d’orgue un titre de Champion du Monde en 2010, une finale d’Europa League en 2012 (perdue 0-3 contre l’Atletico de Madrid) et un Euro le même été. Idole de San Mamés, le navarrais devient paria alors qu’il prépare son départ vers la Juve. « Mercenarios Kampora » (les mercenaires dehors), « Casse-toi Llorente », scandent les supporters bilbayens lors du dernier entraînement de la saison. L

buteur ne s’éclatera ni en Italie ni à Séville, où il est cantonné au rôle de doublure d’Alvaro Morata puis Kevin Gameiro. Écarté, le natif de Pampelune l’est aussi avec la Roja, qui lui préfère Diego Costa pour le mondial brésilien. Mais à qui sait s’attendre vient toujours le temps de la renaissance. Celle-ci sera en terre galloise, à Swansea. 15 buts à l’abri des regards médiatiques qui justifient les 12 millions d’euros déboursés par Tottenham pour un joueur déjà âgé de 32 ans. Jusqu’alors, la somme semblait bien mal rentabilisée…

Crédits : Besoccer

Il faut dire que Llorente, malgré son mètre 95 et ses 90 kilos, ne pèse pas bien lourd face à Harry Kane, qui ne le lui laisse même pas les miettes. Comme dans une surface de réparation, l’Histoire est alors faite de ces petits opportunités qu’il faut savoir saisir. Envoyé tantôt en Espagne tantôt en Turquie au mercato hivernal, l’homme ronge son frein et profite d’un malheureux cadeau du destin : la blessure longue durée de l’Anglais. S’il n’apparaît même pas au départ comme un second couteau (Pochettino lui préférant un système à deux faux attaquants), le manque de consistance physique des Lucas, Son ou Lamela rebat finalement les cartes. Une occasion que le grand Fernando ne gâchera pas.

De la tribune au statut de supersub

Et ça tombe bien, car à l’Etihad Stadium en quart de finale de Ligue des Champions, la formation londonienne manque cruellement de poids et doit réagir pour éviter une sortie européenne prématurée. Alors que le score est de 3-2 pour Manchester City, le technicien argentin lance Llorente dès la 41ème minute. Un choix payant puisqu’à lui seul, la Rioja fait reculer tout le bloc citizen. Surtout, il inscrit le but décisif sur corner de manière peu orthodoxe, propulsant le ballon au fond des filets de la cuisse et du coude.

Bis repetita à la mi-temps de la demi-finale retour face à l’Ajax, où les londoniens ont de nouveau la tête sous l’eau et les deux pieds hors de l’Europe. Même scénario, même réaction, Pochettino sort son milieu défensif Wanyama en lieu et place de son géant espagnol, début d’une vague d’attaquants envoyée sur le pré. Le nouvel entrant fait autant valoir ses qualités que celles de son coéquipier Lucas, métamorphosé par sa présence. Cauchemar de la défense ajacide, il déstabilise le jeune Matthijs de Ligt et renvoie Daley Blind à ses errements mancuniens. Statistique loin d’être anecdotique, il remporte 13 duels aériens sur 17, record pour un joueur offensif dans l’histoire de la Coupe aux grandes oreilles. Jusqu’au temps additionnel où le numéro 18 prolonge une chandelle vers Dele Alli. Le ballon atterrit dans les pieds de Lucas pour la suite que chacun connaît. Sans être directement décisif par un but ou une passe décisive, son entrée a bel et bien fait basculer la rencontre en faveur des Spurs.

Crédits : The National

C’est là tout le paradoxe de Fernando Llorente. À la manière d’Olivier Giroud (un des seuls joueurs d’un grand club européen à disposer d’un profil similaire), l’ancien sévillan est un des rares pivots en activité. Pas toujours esthète, il n’a d’ailleurs parfois pas besoin de toucher le moindre ballon pour mettre en péril l’équilibre adverse. Sa simple présence sur la pelouse réquisitionne toujours un voire deux défenseurs, libérant les espaces pour les fusées qui l’entourent. À lui seul, il permet à Lucas et Son mais aussi Alli ou Eriksen d’être plus mobiles et influents. Habile dans la protection dos au but, il sait parfaitement tirer profit de son corps et sa taille pour user les défenses à coups de déviations, appuis et jeux en remise. Comme un grand vin se bonifie au fil du temps, Llorente brille par sa maturité au sein d’un jeune effectif, y compris dans le vestiaire.

Sacrifié sous l’autel du prince Harry ?

Un retour inespéré au premier plan qui nourrit logiquement les rumeurs de départ. En fin de contrat en juin, le joueur de 34 ans ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Au micro de Sky Sports, il a confirmé sa volonté de rester chez les Lillywhites, même en tant que doublure : « le projet m’a enthousiasmé et malgré le fait d’avoir joué un rôle secondaire dans l’équipe, cela en valait définitivement la peine. (…) J’aimerais rester encore un an, mais la vérité est que je n’y pense pas beaucoup pour le moment. » Sans nouvelle du président Daniel Lévy, Llorente envisage un retour au pays. Annoncé au Barça en doublure de Luis Suarez, c’est davantage un retour à Bilbao qui sonnerait comme la belle histoire de l’été. Malgré son imposant salaire, cette possibilité aurait tant séduit le joueur que le nouveau président Aitor Elizegi. Cependant ce dernier a avoué que l’opération est très mal embarquée.

En attendant, reste sa première et sans doute unique finale de Ligue des Champions à disputer. Et ce bien que sa titularisation soit fortement compromise, le club londonien espérant un retour de son numéro 10. Parfois emprunté, assez peu buteur et trop lent pour les exigences d’un football moderne de plus en plus véloce (surtout en Angleterre), Fernando Llorente ne trouve pas encore grâce aux yeux du monde du football pour devenir mieux qu’une alternative dans un club aux ambitions si élevées. Mauricio Pocchetino sait malgré tout qu’en cas de repli, il peut toujours compter sur son attaquant. Le football a cela de grandiose que la foi peut prendre le pas sur la raison. Et cette saison plus que jamais, l’heure est aux miracles…

Corentin Rolland

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