Opinion : l’ennemi du Barça n’est pas celui qu’on pense

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Depuis l’affront d’Anfield, Ernesto Valverde est l’ennemi public numéro un. Se concentrer sur la figure de l’entraîneur permet d’épargner les principaux coupables. C’est une erreur pour Elias Baillif, explication. 

Coutinho, coupable. Rakitic, coupable. Piqué et Lenglet, c’est un peu plus flou, le tribunal public est prêt à se laisser convaincre du contraire. Messi, innocent. Les lois ne s’appliquent qu’aux humains. Valverde, coupable, sans même le besoin de tenir le procès. Il ne mérite que l’échafaud. L’hérésie envers le style cruyffien n’est que le premier d’une longue liste de crimes. Depuis quelques jours, le barcelonismo s’est engagé dans un procès public envers ses figures. La clémence est absente, les traîtres ne la méritent pas. Le continuum du dégagisme s’étend de ceux qui veulent virer la moitié de l’équipe, aux plus réservés pour qui seuls un ou deux joueurs sont à remercier. Libre à chacun d’administrer la justice selon sa sensibilité. Ce qui est hautement problématique, c’est que les idéologues de la débâcle s’en tirent tout de même trop bien. Criblé de critiques, l’entraîneur est le bouclier de Bartomeu et sa clique.

Méfaits en série

Il était une fois des dirigeants qui mentirent aux socios à propos du vrai prix de Neymar. Un procès est d’ailleurs toujours en cours sur cette affaire, où le Barça et son président ont à répondre de multiples chefs d’accusation qui passeraient l’envie à n’importe quel politicien de se montrer en public. Puis, après des années à vanter le modèle de la Masia, ces mêmes dirigeants dilapidèrent des millions pour faire venir des joueurs de l’extérieur.

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Dans le même temps, ils dépensèrent une énergie folle à ne pas remplacer Dani Alves et Xavi. Au sommet de leur pouvoir, ils se passèrent de Joan Vilà, le responsable de la méthodologie du Barça. Comprenez par là, l’un des garants de l’apprentissage du jeu de position dans le club. Enfin, ils achevèrent leur vandalisme en dénaturant le Barça B, sacrifiant son objectif prioritaire de formation sur l’autel des résultats. Excepté le projet « Espai Barça », la plus grande entreprise des dirigeants actuels a  surtout consisté à défaire l’oeuvre de leurs prédécesseurs, avec l’énergie d’une Pénélope.

Les coupables de la première heure, ce sont eux. Pas Valverde. On peut attribuer à ce dernier quantité d’imperfections, mais sûrement pas celle d’être le chef d’orchestre de la situation actuelle du club. En d’autres termes, il ne s’agit là pas de nier les erreurs qu’il a pu faire cette saison, nier de soutenir sa continuité, mais de balayer cette idée selon laquelle « il détruit le Barça ». S’il y a bien un sapeur en chef dans ce club, c’est celui qui en est à sa tête.

Prendre en compte la rationalité

Quand Valverde arrive au club, il sait parfaitement où il met les pieds. Le poids de l’histoire blaugrana, il la connaît. Ce n’est pas par plaisir que bon nombre de principes du jeu de position ne sont pas appliqués par son équipe. On ne rejette pas le beau avec désinvolture. Pas plus qu’en raison de ses convictions personnelles. À Athènes, le technicien basque est toujours adulé en raison de la beauté dont son Olympiakos était revêtue.

On joue au football selon les joueurs que l’on a. « Mon Barça et mon Bayern n’ont rien à voir » défendait Guardiola. Cet adage vaut partout, surtout à Barcelone. La preuve, aucun centre de formation du monde ne développe chez ses élèves des qualités aussi spécifiques que celles de la Masia. Invoquer le fameux « ADN » du club sans prendre en compte la réalité de tous les jours est une vanité. Entre les principes – intangibles – et le jeu, il y a la médiation des joueurs – qui eux changent. Statuer sur le jeu sans prendre en compte les joueurs c’est produire un déni de réalité.

Crédits : Diario AS

Comme tout entraîneur, El Txingurri fait avec ce qu’il a. Rakitic est limité, Piqué irrégulier depuis plusieurs saisons, Busquets et Suárez vieillissants, Coutinho et Dembélé peu adaptés à un jeu si exigeant que le jeu de position, tandis qu’Arthur est en pleine formation. D’ailleurs, les difficultés structurelles du Barça ne datent pas d’hier. Les problèmes actuels étaient déjà en verve lors de la fin du mandat de Luis Enrique. Reste à savoir pourquoi les joueurs acceptent une telle approche…

Certains évoquent leur complaisance, leur statut sénatorial. La concurrence ne fait pas rage, il est vrai. L’égoïsme se repose peut-être sur la rationalité, mais essayons d’invoquer cette dernière plus sérieusement. Les joueurs savent parfaitement quelle est la réalité du club. Si Luis Enrique avait déjà opéré une mutation en son temps, c’était qu’il avait également ses raisons. Les joueurs savent que Xavi, Iniesta et Alves sont partis et qu’ils n’ont pas été remplacés en conséquence. En outre, du poids de l’âge, les membres de l’effectif sont aussi au courant. Essayez de développer un jeu de position cohérent avec Rakitic, Arthur et Coutinho… Essayez de retrouver l’intensité qu’un tel jeu requiert avec des trentenaires entamés… Les équipes les plus stimulantes d’Europe ces dernières années ont eu des onze titulaires bien plus jeunes que celui du Barça*.

L’adhésion des joueurs au projet de jeu est l’oeuvre d’un pragmatisme nécessaire. Du moins, si c’est bien la victoire qui est visée. Disons-le toute de suite, pour rien au monde des joueurs professionnels ne se passeraient d’adaptations leur permettant de gagner. La victoire est aussi désirée qu’indispensable dans les esprits d’athlètes s’entraînant tous les jours avec un but en tête. Surtout quand on voit ce qu’il se passe en cas de défaite… Ôter l’usage de la rationalité aux joueurs, c’est les réduire au statut de pantins corruptibles. 

Avant tout, adapter l’effectif

Sur une pente descendante depuis plusieurs années, les circonstances sont malvenues pour demander au Barça de retrouver l’excellence. Malvenues car l’immobilisme de Bartomeu & co n’a rien fait pour améliorer la situation. Xavi le disait récemment « comment est-il possible que le Barça soit passé à côté de joueurs comme Kevin de Bruyne ou Luka Modric ?« . Comment est-ce possible de dilapider un héritage si glorieux que celui des dernières années ? Le travail bâclé de ces dernières années a anéanti les conditions de possibilité de résurrection du beau jeu du côté du Camp Nou. Joueurs, entraîneur et supporters le paient.

Changer d’entraîneur ne sera significatif uniquement dans le cas où un effectif de qualité est construit – ce qui semble enfin être le cas, avec des années de retard cependant. Seule une planification cohérente peut restaurer le Barça. En attendant, la personne d’Ernesto Valverde ne constitue qu’un défouloir à frustrations. Pendant que lui en prend pour son grade, les véritables problèmes sont tus. « J’ai entendu l’autre jour que quand le Barça perd, c’est à cause de Valverde, de Coutinho, mais pas de Messi. Quand le Barça gagne, il gagne grâce à Messi. C’est un immense manque de respect envers tous les joueurs et le staff technique » regrettait l’autre jour Ronaldo Nazario.

Valverde est un mauvais ennemi public numéro 1. « L’ennemi de cette équipe, entendait-on sur les ondes de la Cadena Ser récemment, c’est le club« .

*(celui qui a affronté Liverpool (Valverde an II) a une moyenne d’âge de 29,09 an, celui du Bayern qui a affronté le Barça en LDC en 2015 (Guardiola an II) 27,63, celui de City qui a affronté Liverpool en LDC en 2018 (Guardiola an II) 23,36 an, celui de Liverpool de cette année 26,18, celui de l’Ajax 25, 27)

Elias Baillif (Elias_B09)

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