Il y a de ça plus de 30 ans, la Roja n’était pas (encore) une grande nation européenne. Malgré de nombreux talents, la seleccion décevait régulièrement et n’arrivait pas à confirmer en compétition. À la recherche d’un renouveau après des exploits dans les années 60 ans, les hommes de Miguel Muñoz allaient écrire l’histoire en cette fin d’année 1983. Retour sur un match qui a déchaîné les passions, traumatisant les vaincus et devenant le plus grand exploit avant les sacres des années 2000 pour les vainqueurs.
À l’orée de ce dernier match de qualification pour l’Euro 84 en France, la Roja est dans une situation compliquée. Impossible même pour certains. Les hommes de Muñoz sont deuxième au classement, seul le premier du groupe se qualifie pour la phase finale. Les Pays Bas qui ont joué leur 8 matchs sont premiers ne devançant que de deux points l’Espagne. 2 points, c’était ce qui était accordé pour une victoire à cette époque. Derrière ce petit écart s’en cache un autre, bien plus grand. Les Oranje ont une différence de buts bien plus favorable et l’Espagne doit gagner son dernier match par 11 buts d’écarts pour se qualifier. Une folie que personne ne pense réalisable même si l’adversaire maltais est faible. Pourtant ce match qu’on appellera par la suite le « miracle du Villamarin » va entrer dans les annales de ce sport.
Pluie, chambrage maltais, Villamarin plutôt creux et désamour de la Roja
A cette période, l’Espagne n’épate pas par son football. Le sélectionneur de l’époque, la légende Muñoz se contente bien trop souvent d’un jeu fermé où les buts se font rares. En 82, pour SA coupe du monde la Roja avait notamment été sorti piteusement au deuxième tour. Un résultat en dessous des attentes. Après une campagne de qualification plutôt bien géré, l’Espagne est de nouveau au pied du mur et rien ne semble sourire aux rouges.

Pourtant toutes les dispositions sont prises pour que l’exploit soit réalisable. La journée de Liga précédant ce choc a été avancé pour permettre de préparer au mieux ce match et Muñoz peut partir en stage commando avec ses hommes durant une semaine. Dans le même temps Malte a joué un match face aux Oranje et a perdu lourdement 5-0. Pour ne rien arrangé, les Maltais arrivent à Séville en retard et sous une pluie battante. De plus ils ne peuvent pas s’entraîner à leur convenance. Logé dans un hôtel limite insalubre par la fédération royale, les insulaires sont pris pour cibles par les supporters andalous quand ils se baladent en ville. Et ils doivent très souvent sortir, leur hôtel n’a pas de restaurant.
Alors que tout semble s’aligner pour la Seleccion, pas grand monde y croit en Espagne. Miguel Muñoz explique pourtant à ses joueurs : « Vous devez créer onze occasions et en profiter. » Mais cela n’a que peu d’écho dans son groupe. Un seul y croit farouchement : Poli Ricón. Un de ses coéquipiers, Lobo Carrasco le pense même fou mais le milieu de terrain ne fait que répéter qu’ils vont le faire, que c’est réalisable. Gordillo revient sur l’état d’esprit de la Roja avant le match : « Nous partions avec la mentalité d’en marquer six ou sept et de gagner. Nous n’avons pas pensé à mettre 11 buts ». Même du côté de Malte personne ne s’inquiète. Perdre, ils vont perdre c’est sur mais par 11 buts d’écarts ? Jamais. John Bonello le gardien de l’équipe et seul à s’être exporter hors de l’île confie même que : « Je ne retournerais pas dans mon pays s’ils me marquent onze buts « . Et pourtant, le miracle de Séville va avoir lieu, dans des conditions particulières.
Ambiance électrique, théorie du Citron et une seconde période de folie coté Roja
Même si le Villamarin est à moitié vide et rincé par les seaux d’eau qui tombent sur Séville, l’ambiance est électrique au coup d’envoi. Poli Rincon, le seul à y croire vraiment l’explique bien : « Le public de Séville a compris que l’Espagne était aussi son équipe et encouragée de manière incroyable ». Surtout que très rapidement, la supériorité de la seleccion se remarque sur le terrain. Sur le premier ballon joué, l’Espagne se procure une grosse occasion, puis deux puis trois. Les montants tremblent et à la dixième minute, un penalty est sifflé pour les Espagnols. L’exploit se matérialise enfin, Juan Señor s’élance mais le ballon frappe le montant et fuit le cadre. L’Espagne semble rater le coche.

Le ballon est rouge mais le tableau d’affichage affiche toujours 0-0. A la 20e minute, Santillanas s’élève et catapulte le ballon au fond des filets d’une magnifique tête. Enfin le score se débloque et après quelques échauffourées dans la cage maltaise, le ballon est remis en jeu dans le rond central. L’Espagne recommence à y croire mais cela ne durera pas. 3 minutes après l’ouverture du score, Malte égalise sur une frappe contrée, sa première du match. 1-1, tout est encore à faire. Dans la même dizaine de minute, la Roja en colle de nouveau deux par l’intermédiaire de Santillana et le score est donc de 3-1 à la mi-temps, ce n’est pas assez.
Le match est conforme aux attentes mais la mi-temps va le faire basculer dans la folie. Au retour des vestiaires, la Roja est encore plus forte et Malte encore plus faible. Les buts s’enchaînent et tout réussi enfin à la seleccion. Surtout que c’est tout le Villamarin qui se met à porter ses nouvelles idoles. Derrière les chants et les acclamations, des balles de tennis et des briquets viennent frapper les têtes des insulaires. A la 80e, Manu Sarabia marque le 11-1, l’exploit est là, à porter de main. Quelques minutes après, Juan Señor l’homme du penalty manqué marque le 12-1, des supporters envahissent la pelouse, la Roja vient d’écrire l’histoire. Poli Rincon, le seul à y croire depuis le début s’offre un quadruplé, Santillana l’immite. Au coup de sifflet final, Séville fête ses nouveaux héros et l’Espagne se réconcilie avec sa sélection. Un 13e but sera même refusé pour un hors jeu plus que limite, la démonstration est totale.
Il y a quelques mois, ce match devenu qu’un glorieux souvenir pour les espagnols est pourtant revenu sur le devant de la scène. La raison ? Un documentaire diffusé sur Movistar+ qui accrédite la thèse de dopage des Espagnols et même de drogue refilée aux Maltais. Après cette rencontre, la fédération maltaise et l’UEFA n’avaient pas pu prouver que ce match avait été acheté, pire c’est même la rencontre entre les Pays Bas et Malte jouée quelques jours plus tôt qui semblait truquée. Sauf que là, face caméra de nombreux joueurs insulaires évoquent un mystérieux homme en blanc qui a offert des citrons aux Maltais à la mi-temps. Peu de temps après les joueurs visiteurs se sont sentis comme ivres et n’étaient plus pleinement conscients. Certains évoquent même la possibilité de dopage aux stéroïdes côté espagnol. On évoque aussi un arbitrage maison. Bref tout est de sorti pour sauver l’honneur prêt de 30 ans après les faits du côté de Malte.
Plus rien ne fut pareil après ce match, des deux côtés.
Du côté Espagnol, tous réfutent ces accusations. Juanjo Camacho a même répondu avec une certaines violences :« Ils sont tous ensemble pour le dire, entre un petit monsieur vêtu de blanc et qui offre des citrons … Bon sang, ne les prends pas … Est-ce que tout le monde a bu des citrons? Cela me semble fou, ils montrent qu’ils ont très peu de statut sportif. Nous avons subi toutes sortes de contrôles et nous n’avons jamais rien eu. Cette mousse dans ma bouche. Je pense que c’est une exagération. Je ne sais même pas ce que sont les stéroïdes. À un certain âge, on s’étouffe et je pense que c’est ce qu’ils font. « Gordillo surenchéri :
» Ce qui s’est passé, c’est qu’ils étaient très mauvais »

Une chose est sûre en Espagne ce match a été pendant longtemps considéré comme le plus grand exploit de la selección. Plusieurs documentaires ont même été produit et le commentateur de ce match est devenu une sommité en Espagne. Les joueurs ont notamment été félicités par le ministre de la culture de l’époque. Surtout que cette qualification miraculeuse a été suivie d’un bon parcours en France. Finaliste de l’Euro, les Espagnols n’ont pas déçu hormis Arconado coupable d’une grosse boulette en finale mais dans le même temps meilleur espagnol du tournoi. « Le 12-1 à Malte a tout changé. C’était magique. Nous sommes passés d’une étape difficile après la Coupe du Monde 82 et Miguel Muñoz a déclaré que nous restions à Séville » se souvient Rafael Gordillo, légende du Betis. Après ce match fou, Séville devient la ville de référence pour tous les matchs de la Roja durant prêt de 12 ans.
De son côté, Malte a aussi beaucoup appris après ce match. Après plusieurs enquêtes et quand l’humiliation fut digérée (le président de la fédération de l’époque avait notamment quitté le stade après le 10-1), tout a changé sur l’île. Même si le football reste modeste, après cette défaite le professionnalisme fut instauré et nombreux travaux d’envergure furent lancés.
À l’international ce match a aussi beaucoup fait parler. Le Guardian l’a élu en 2004 comme l’un des plus beaux matchs de l’histoire. En 2005 il a même suscité un large débat sur la plate-forme Wikipedia pour savoir si une large victoire face à Malte méritait une page dédiée (elle existe encore). Un contributeur avait déclaré : « Waouh, comme c’est impressionnant, une victoire sur Malte, une équipe presque inexistante (…) cet article n’a aucune raison d’être, il y en a très peu qui le connaissent parce qu’il est justement hors de propos ». John Bonello a aussi fait parler. La raison ? Une pub pour les bières Amstel en Espagne où il était décrit comme l’ami parfait pour passer une bonne soirée. Personne ne sait si ce match a été truqué ou non mais il a été un match fondateur pour l’Espagne et la selección, ça c’est une certitude.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13