Quand on construit un groupe en Sélection, il faut parfois prioriser les statuts sur les états de forme. Si Luis Enrique fait le contraire et surprend dans ses choix, c’est parce qu’il en est contraint. Mais cette revue d’effectif totale, est-ce le mieux pour la Selección ?
À chaque fois que Luis Enrique annonce les convoqués en équipe nationale, on attend deux choses : la petite vidéo créative de la Fédération, et surtout, les surprises contenues dans la liste. Défier l’ordre établi, le sélectionneur en est coutumier. Méritocratie et diversité ont été les maître-mots depuis le début de son mandat. Est-ce pourtant un bon signe ?
Des attaquants en panne sèche
Lorsque l’on regarde la dernière liste du sélectionneur espagnol, une ambiance pré 2008 s’en dégage ; un joueur de Getafe a été convoqué chez les A ! Impensable il y a quelques années tant à cause du niveau des Azulones -très bas – que du niveau de la Sélection – très haut. Par cet appel, Luis Enrique récompense la saison extraordinaire de Jaime Mata. Du haut de ses 30 ans, le petit nouveau trompe son monde depuis deux ans déjà. Il vient à peine de découvrir la Liga et le voilà déjà en Sélection !/. Le choix de la ponctuation est important et dépendra de chacun : soit on s’extasie sur le parcours du joueur, soit on déplore avec toute son âme la présence d’un élément si peu confirmé dans cette Espagne.
Pour le natif de Madrid, la nouvelle a dû constituer l’accomplissement d’une carrière. En revanche, pour la Roja, c’est un signe, encore un, d’une pénurie d’attaquants de haut niveau. Les deux autres appelés sont Morata et Rodrigo (26 buts seulement à eux trois en championnat cette saison), dont les saisons ne sont assurément pas aussi bonnes que leur état de forme. En fait, cette logique se retrouve quasiment dans toute la ligne d’attaque, à l’exception d’Asensio, dont la présence fait d’ailleurs râler certains. À la différence d’un Didier Deschamps et de tant d’autres sélectionneurs finalement, Luis Enrique a fait valser les statuts au profit des performances du moment. Justice oui, projet d’avenir, non. Surtout que bonne partie de ces joueurs inhabituels ne siéent pas au style de jeu espagnol.
Entre déclin et ascension
Le problème se généralise ensuite aux milieux de terrain. Évidemment que Canales, Muniain, Parejo ou Navas méritaient d’honorer une cape sous le maillot rouge. Ils font tous partie des meilleurs joueurs de Liga cette saison. Cependant, difficile de les imaginer constituer le socle de la Sélection de demain. Pour justifier leur présence, le sélectionneur a surtout insisté sur la notion de « moment ». Du court terme, encore.

On imagine mal l’Espagne se présenter au prochain Euro avec l’un de ces joueurs titulaires. Certes, ce phénomène où un joueur moins coté se retrouve propulsé dans le onze de départ s’est déjà produit à plusieurs reprises. Toutefois, se présenter à la Coupe du Monde avec un Iago Aspas, un Pavard ou un Jonas Hector titulaire dans son équipe, c’est l’assurance que ce joueur-là sera le maillon faible. Un bon joueur, un joueur de devoir, un joueur fiable, « oui mais »…
Alors si ce n’est plus un homme qui est en-dessous, mais trois ou quatre, cela devient symptomatique. Un rapide coup d’œil nostalgique sur le passé, même récent, illustre le fossé entre les internationaux actuels et leurs prédécesseurs. Ils ne le devraient pas, mais les supporters pensent encore à ses Xabi Alonso, Iniesta, Xavi, Fabregas et autres David Silva. En comparaison, Canales, Parejo et Muniain leur arrachent à peine un sourire. Dans leurs bons jours, ces trois-là font l’unanimité. Le reste du temps, ils constituent le triptyque de l’éternel blessé, l’éternel inconstant et l’éternel espoir. Ils auraient pu devenir des références mondiales à leur poste il y a quelques années, seulement, le train est passé.
Et si on arguait qu’il est injuste de comparer les noms dorés des premiers à ceux des seconds, en vertu du caractère unique de leur légende, il suffit de comparer les clubs dans lesquels ces deux générations évoluent. Des clubs dominants versus des clubs aspirants. Aspirants à quoi ? À une domination chimérique. L’Espagne ce n’était pas mieux avant, c’était objectivement mieux avant. Et « avant », ça peut même vouloir dire 2018.
Ramos et personne d’autre
Le problème se pose également chez les défenseurs. Luis Enrique n’a pas hésiter à faire exploser sa charnière titulaire, au vu de la méforme de Nacho. À sa place, c’est Sergi Gómez qui a été ajouté au groupe. Mentionnons aussi le retour de Bernat, quatre ans après. Tout compte fait, si Luis Enrique a fait régner la méritocratie, c’est à cause d’un calcul intéressé, il y a fort à parier : étant donné le trou générationnel constaté à certains postes, mieux vaut faire preuve d’un peu de bonté, quitte à faire venir des joueurs d’appoint, plus âgés que la moyenne, et ainsi stimuler la concurrence. En ce sens, le míster déclarait que « la concurrence aide à améliorer le niveau de la Sélection ».
Au poste de latéral se seront succédé Carvajal, Alba, Odriozola et Gaya pour ceux qui ont le niveau d’une sélection de premier rang, et Bernat, Sergi Roberto, Jesus Navas, Johnny Otto et Marcos Alonso pour les autres. Le calcul se poursuit : pour un Mario Hermoso au futur prometteur, un Sergi Gómez. Pour un Fabian Ruiz appelé à devenir une référence à son poste, un Sergio Canales, pour un Gaya, un Bernat.
Luis Enrique est-il blâmable ? Non, car il ne pourrait faire autrement. Thiago a plus de talent que Canales, cela ne lui a pas pour autant permis de s’imposer chez les A. Koke est meilleur que Parejo, il n’a jamais été irremplaçable non plus. Entre obligation d’attendre les retours en forme du titulaire Isco, l’éclosion de Ceballos, Fabian Ruiz ou Hermoso, – « on aimerait que les joueurs espagnols jouent davantage » a-t-il déclaré – et l’arrivée miraculeuse d’un avant-centre (même chez les U21 on peine à voir qui), la marge de manœuvre de Luis Enrique est réduite. Voilà qui a débouché sur la liste la plus représentative des différents clubs espagnols depuis des années, mais aussi la moins compétitive.
Elias Baillif (Elias_B09)