Le 17 septembre 2013, le Real Madrid débute sa campagne de Ligue des Champions par une victoire sans appel (6-1) contre Galatasaray. Cela fait une décennie que la Casa Blanca est à la recherche désespérée de sa « Décima ». 5 mars 2019 : largement dominé par l’Ajax à Santiago-Bernabéu (1-4), le Real Madrid referme un cycle de 5 ans jalonné par 4 victoires en C1 et rend son sceptre après 1000 jours de règne sur le Vieux Continent. Désormais, Florentino Pérez est face à l’un des défis majeurs de sa seconde présidence : renouveler son modèle sportif et institutionnel. L’omnipotent président en aura-t-il l’audace et le courage ?
Hormis une saison étonnement blanche en 2014-2015 sous Carlo Ancelotti, les dernières années ont été historiques pour le Real Madrid. Pourtant, le triplé en Ligue des Champions, inédit dans le format « moderne » inauguré en 1993, n’était pas écrit d’avance. En janvier 2016, Zinedine Zidane reprend les reines de la Maison Blanche après un intermède Rafa Benítez quelconque et marqué par une incompatibilité d’humeur entre un maître tacticien et un effectif davantage à la recherche d’un meneur d’hommes. En deux ans et demi, au-delà des nombreux trophées soulevés, le style et la personnalité de cette équipe ont permis de faire vivre à l’afición merengue des émotions incommensurables.
Un Real Madrid que l’on pensait insubmersible
Parmi les moments charnières de cette époque dorée, la remontada contre Wolfbourg et le triplé de Ronaldo figurent en bonne place, tout comme la victoire de 2016 aux tirs au but contre l’Atlético, les démonstrations de force en 2017 contre le Bayern, l’Atlético et la Juventus en finale à Cardiff, ou plus récemment les matchs au suspens intenable en 2018, une nouvelle fois contre la Juve et le Bayern. Ces matchs aux scénarios insoutenables ont marqué toute une génération. L’histoire était pourtant loin d’être écrite.

Alors que les échecs s’accumulaient, c’est le retour aux affaires en 2009 de Florentino Pérez à la présidence du Real Madrid qui a permis de créer un nouveau cycle « galactique ». Paradoxalement, ce n’est pas FloPer qui a attiré Cristiano Ronaldo, le symbole par excellence de ce Real Madrid des années 2010 mais son prédécesseur Ramón Calderón, ce qui explique le peu d’atomes crochus qui existaient entre le président et le Portugais. Une décennie plus tard, Pérez présente un bilan triomphal malgré le peu de succès en championnat : 17 trophées dont 4 Ligues des Champions. Ces épopées sont marquées du sceau de joueurs historiques comme Cristiano Ronaldo, Sergio Ramos, Marcelo ou encore Luka Modric qui ont leur place dans le Panthéon des meilleurs joueurs du club. Et il ne faut pas oublier l’entraîneur emblématique incarnant ces succès : Zinedine Zidane. Un chiffre pourrait résumer l’empreinte qu’a laissé cette période faste du Real Madrid : 1011 jours d’affilée comme champion d’Europe. Difficile d’imaginer cet autre record battu dans un futur proche.
Les diverses raisons de la fin du règne madridista
Mais depuis la débâcle face à l’Ajax, la fête est finie au sein de la Maison Blanche. Le Real Madrid vient d’être éliminé piteusement de la Ligue des Champions, « sa » compétition, face à la jeunesse éclatante dirigée par Erik ten Hag. 5-3 sur l’ensemble des deux matchs mais surtout une humiliation 4-1 au Bernabéu lors du match retour. Mais comment une équipe si dominatrice ces dernières années a pu sortir ainsi face à un club, certes historiques, mais dont la dernière participation au 1/4 de finale de C1 remonte à plus de 15 ans ? Surtout, le Real Madrid avait toujours passé le cap des 1/8 depuis 2011. Est-ce une faute professionnelle ou ce succès était-il largement prévisible ? Un peu des deux en réalité.
Cet échec trouve sa racine en profondeur. Suite à la Décima et à l’issue de la Coupe du Monde 2014, Florentino Pérez achète James Rodriguez à l’AS Monaco pour 80M€. Un renfort motivé à la fois par le sportif mais aussi (surtout ?) par le merchandising et un joli contrat de BTP en Colombie pour l’entreprise de FloPer. Ce recrutement est le dernier « gros » transfert du club merengue. Aucun autre n’a depuis dépassé les 45M€, ce qui est relativement peu lorsque l’on connait la folie dépensière du Real Madrid sous Pérez et la conjoncture du marché. Cette politique sportive n’est pas anodine. Le président merengue a voulu « espagnoliser » son effectif rompant ainsi avec sa politique internationaliste menée jusqu’alors mais rappelant dans les grandes lignes la génération « Zidanes y Pavones » du début du siècle. Un profil type est alors ciblé : jeune, espagnol, et à fort potentiel. Sont alors recrutés : Marco Asensio, Marcos Llorente, Jesús Vallejo, Dani Ceballos ou encore Álvaro Odriozola.
Une révolution trop violente ?
La première raison de la chute se trouve peut-être là. A vouloir rajeunir un effectif composé de cadres vieillissants sans acheter de références mondiales, le Real Madrid s’est retrouvé dans un entre-deux sans certitudes. De tous les jeunes achetés, seul Vinicius semble être un titulaire en puissance et certains « flops » commencent à pointer le bout de leur nez, comme par exemple Jesús Vallejo, certes talentueux mais trop souvent blessé. La saison actuelle en est la démonstration : avec des cadres en méforme, le Real Madrid n’a pas su s’appuyer sur des joueurs présentant assez de certitudes pour mener à bien le projet sportif.

Dans le XI titulaire, le dernier arrivé est Casemiro et son recrutement remonte déjà à 2015. Lorsqu’il réalise le doublé Liga-C1 en 2017, Zidane pouvait alors s’appuyer sur son banc avec des joueurs références comme Pepe, James ou Álvaro Morata. Lors de l’élimination contre l’Ajax, le banc était le suivant : des jeunes joueurs comme Fede Valverde, Jesús Vallejo, Dani Ceballos et des joueurs loin de leur niveau habituel comme Gareth Bale, Marcelo et Marco Asensio. Ce nivellement vers le bas du groupe madrilène peut être résumé par la perte de Cristiano Ronaldo, auteur de 50 buts par saison en moyenne, remplacé par Mariano Díaz, étrangement laissé en tribunes avec Isco.
Vainqueur de nombreux trophées lors des années précédentes, dernier transfert d’envergure en 2014, santé financière au beau fixe, Florentino Pérez avait toutes les raisons pour faire sauter la banque à l’été 2018 afin d’entamer un nouveau cycle victorieux. Tel ne fut pas le cas et sa confiance aveugle en ses joueurs a eu raison de ses ambitions sportives cette année. L’échec de la politique de recrutement est donc un premier élément de réponse quant aux résultats actuels de la Casa Blanca. Zinedine Zidane avait senti le vent tourner en ne voyant arriver aucun renfort, ni l’été ni l’hiver.
Des manoeuvres politiques préjudiciables
Mais les mauvais choix se retrouvent également au niveau des entraîneurs. Outre l’échec Rafa Benítez en 2015, les conditions du recrutement de Julen Lopetegui et son licenciement posent problèmes. En effet, Florentino Pérez a placé le Real Madrid au-dessus de tout en négociant dans le dos de la Fédération espagnole à quelques jours du début de la Coupe du Monde. Résultat : Lopetegui se fait renvoyer de son poste de sélectionneur avant même le début de la Coupe du monde et arrive à Concha Espina fragilisé psychologiquement. Il est finalement licencié 139 jours après son arrivée, après une manita au Camp Nou lors du 1er Clásico de la saison. FloPer choisit alors de le remplacer par Santiago Solari, coach du Castilla.

Un coach sans expérience, à la Zidane, mais qui est arrivé dans une situation bien plus critique et avec un effectif en bout de course. Après avoir bien redressé le navire, son travail a volé en éclats en l’espace de quelques jours. Dans la même semaine, le Real Madrid a été sorti par le Barça en Coupe du Roi, par l’Ajax en Ligue des Champions et a perdu tout espoir de remporter la Liga après une nouvelle défaite face au rival blaugrana au terme d’un Clásico sans saveur. Même avec un recrutement une nouvelle fois timide, les Vikingos disposaient encore en début de la saison d’un effectif compétitif avec des joueurs de niveau mondial comme Sergio Ramos, Luka Modric ou Karim Benzema ou encore Thibaut Courtois, fraîchement recruté. Mais le fait de ne pas avoir modifié suffisamment les joueurs au cours des saisons passées a généré une fatigue mentale au sein du groupe malgré les succès, fatigue accentuée par une relâche due à un Mondial harassant.
Certes, les Madridistas sont toujours des compétiteurs dans l’âme mais l’accumulation de succès a pu en démotiver certains à l’image d’un Marcelo méconnaissable depuis le début de saison et qui aurait volontiers rejoint Cristiano Ronaldo à la Juventus. La Coupe du Monde a laissé des traces, à l’instar d’un Lukita Modric qui peine à retrouver son niveau de jeu qui lui a valu un Ballon d’Or. C’est là aussi qu’on remarque que le départ d’un Matteo Kovacic a été une erreur. Le 5 mars 2019 et l’élimination contre l’Ajax est donc sans doute l’accumulation de mauvais choix qui se sont soldés par une débâcle. On peut regretter la manière dont s’est terminé le règne merengue. Sans énergie, sans idées, les Vikingos paraissaient sans vie sur le terrain même si le sort semblait s’acharner contre eux (3 poteaux, 2 blessures, 1 but litigieux accordé contre eux). Leur fin aurait mérité un autre épilogue de leur part.
Face à la concurrence sportive et financière du Barça, un projet à rebâtir d’urgence
La fin de saison du Real Madrid sera donc sans enjeux mais cela permettra d’avoir suffisamment de temps pour penser aux erreurs qui ont conduit à cette déroute et préparer sereinement l’avenir. Cela passe d’ores et déjà par un nouvel entraîneur. La rumeur José Mourinho revient de plus en plus dans les couloirs du Bernabéu. Mais quand on connait la manière dont le Special One est parti du club en 2013, cela ne semble pas forcément l’idée du siècle. Même s’il sera difficile de le déloger de Tottenham, Mauricio Pochettino est un pari à tenter. L’idée de préserver Santiago Solari ou encore le retour de Zinedine Zidane sont aussi évoqués. Bref, la Casa Blanca est en pleine tempête médiatique et il est désormais temps de choisir un véritable coach, à la fois leader et tacticien. FloPer ne peut plus se contenter de choix par défaut.

Enfin, un remaniement d’effectif s’impose. Côté gardiens, la concurrence Keylor Navas-Thibaut Courtois est à clarifier et pourrait conduire au départ du Costaricain malgré un niveau et une attitude irréprochables. En défense, le départ de Marcelo, au club depuis 2006, se rapproche. Les récentes performances de Sergio Reguilón devrait conforter cette mise à la porte du Brésilien. Il paraît indispensable aussi de recruter un défenseur central d’envergure, Nacho Fernández et Jesús Vallejo ne peuvent représenter une solution fiable sur le long terme, notamment en ce qui concerne le premier cité. La charnière Sergio Ramos-Raphaël Varane doit être mise en concurrence. Pourquoi pas mettre le paquet sur Matthijs de Ligt qui a été si fort avec l’Ajax ? On se rappelle que c’est après un partidazo au Sánchez-Pizjuán que Florentino Pérez a jeté son dévolu sur Sergio Ramos. Au milieu, rapatrier Matteo Kovacic et donner plus de temps de jeu à Dani Ceballos et Marcos Llorente pourrait être la clé. L’arrivée d’un milieu d’envergure comme Christian Eriksen n’est pas à écarter non plus, surtout en cas de départ de Luka Modric ou Toni Kroos.
Enfin en attaque, le chantier s’annonce ardu mais passionnant. Vinicius Jr, Rodrygo et Marco Asensio doivent incarner le futur du Real Madrid mais une pointure doit être recrutée. Eden Hazard, Mauro Icardi, Neymar, Kyllian Mbappé seront des dossiers compliqués, surtout pour le PSG, mais il ne faut jamais sous-estimer l’attractivité de la Maison Blanche et le chéquier de FloPer. Le départ de Gareth Bale est quasiment acté, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour tout le monde. La réintégration d’un joueur de la qualité d’Isco semble indispensable tant il a été prépondérant dans les derniers succès de son équipe. Quant à Benzema et Lucas Vázquez, titulaires cette saison, le recrutement de joueurs de classe mondiale à leurs postes est incontournable car ils ne semblent pas en mesure de mener d’eux-mêmes leur club vers le sommet atteint lors des dernières saisons. Une chose est certaine : l’été s’annonce agité du côté de Chamartín !
Melvil Chirouze
@IamxMelvil