Champion du Monde, troisième au classement du Ballon d’Or et au sommet de sa carrière, Antoine Griezmann est étonnamment loin d’être prophète en son pays. Encensé par certains, discrédité par d’autres, le numéro 7 ne fait plus consensus chez les journalistes mais surtout les internautes de l’Hexagone. Et ce, malgré des prestations sportives irréprochables…
C’est une séquence de l’émission Tribun’Al, diffusée sur Bein Sport, qui a mis le feu aux poudres. Alors que le débat fait rage en plateau quant à la place de Kylian Mbappé dans la hiérarchie du football français, l’opposition s’avance sous le masque de Xavier Vaution. Médusé par l’emballement général, le spécialiste basket de la chaîne réfute l’argument selon lequel le gamin de Bondy serait plus important dans l’effectif bleu que son compère d’attaque. Lorsqu’il souffle à demi-mot le nom d’Antoine Griezmann pour étayer son propos, la journaliste et animatrice Claire Arnoux cède un soupir de désapprobation. Un souffle, rien qu’un souffle qui déchaîne illico la toile.
Une comparaison, faut-il d’abord le rappeler, relativement inconsistante. Mbappé et Griezmann n’ont ni le même rôle, ni le même profil. Tous deux sont cadres de leur club, parmi les meilleurs joueurs de la planète, et ont conjointement plus que participé à l’euphorie vécue par tous les Français en juillet dernier. Deux tricolores brillants sous le même maillot (sans compter les autres), une chance énorme pour notre pays ! Et pourtant…
Un déficit de visibilité populaire.
Pas si anecdotique, l’escarmouche est révélatrice d’un état d’esprit inédit autour d’Antoine Griezmann en France. Indispensable dans le onze des Bleus, rarement absent d’un grand rendez-vous en club comme en sélection, il ne bénéficie pourtant pas de la légitimité des autres cadres de Didier Deschamps. Une hérésie tant le football français a patienté pour disposer d’un joueur de sa trempe.

Peu spectaculaire, le natif de Mâcon n’a assurément pas la technique d’un Zidane ou la vitesse foudroyante d’un Mbappé. Il évolue de surcroît dans un club qui n’est ni le plus populaire ni le plus agréable pour un néophyte du football en France. En revanche, son intelligence de jeu couplée à son efficacité en font une véritable légende de l’Atlético Madrid. Contre la Juventus par exemple, il fait étalage de sa classe par des remises merveilleuses et une capacité à transcender le jeu offensif des siens, tout en étant comme à son habitude volontaire en efforts. Plus qu’un joueur de grand public, Antoine Griezmann plaît en fait davantage à un public averti, capable de discerner la beauté d’un décalage a priori anodin ou l’intelligence d’un positionnement entre les lignes. Raison pour laquelle il est tant congratulé parmi le monde clos des anciens joueurs.
Une communication mal maîtrisée ?
Pour trouver la face cachée du blondinet, il est nécessaire de s’écarter quelque peu du rectangle vert. Si sa sortie en boîte de nuit une veille de match avec les Espoirs a été largement oubliée, sa mise en valeur suscite un premier objet de controverse. Populaire auprès des enfants et adolescents mais aussi du public féminin, la communication ciblée du clan Griezmann attire vers lui une immense part de jalousie, provenant d’internautes essentiellement masculins et plus âgés. Sans aucun doute, sa starification lui sert autant qu’elle lui joue des tours.
Dans un football où la communication est omniprésente, les mises en scène à l’américaine autour de sa carrière ont aussi contribué à faire remonter un agacement latent. Son court-métrage pour annoncer sa prolongation avec l’Atlético Madrid fut d’ailleurs un véritable fiasco en pleine période de Coupe du Monde, alors que la France entière attendait logiquement plus de ses cadres. De quoi nourrir les critiques pendant toute la compétition y compris sur son jeu, jugé trop effacé. Dans l’imaginaire collectif et sous l’impulsion de Vegedream, Grizi ne représente alors rien d’autre qu’un spécialiste des pénaltys. Pour couronner le tout, l’annonce récente d’un documentaire Netflix consacré à son personnage a suscité les railleries d’une partie des internautes. Huit épisodes sur Sunderland, passe encore. Une série sur Griezmann, c’en est trop.

Alors qu’il s’engage publiquement dans la course au Ballon d’or et qu’il manifeste sa déception à l’annonce du verdict, ce sont ses déclarations qui contrarient un pays habitué à la modestie. « Varane ou Mbappé, mais pas Griezmann » sonne comme une rengaine tout au long de cette curieuse campagne où l’on a parfois l’impression que bon nombre de Français préféreraient voir un étranger soulever le prestigieux sésame plutôt que leur leader offensif. Ajoutez à cela une déclaration maladroite où il affirme « manger à la table des Messi et Ronaldo » et vous obtenez un joli cocktail d’ambition en mesure d’agacer une population davantage attirée par l’exploit taiseux que par l’ambition affichée.
Un problème franco-français ?
Plus généralement, ce désamour relatif s’inscrit dans une perspective temporelle intéressante puisque le pays a toujours eu un mal certain à accepter la cohabitation de plusieurs stars au sein du toit de Clairefontaine. Trézéguet et Henry, Zidane et Djorkaeff, Zidane et Henry, les exemples ne manquent pas dans le passif bleu. Et alors qu’il était le seul et unique chouchou du public à l’Euro 2016, Grizi a sans nulle doute vu l’éclosion du prodige Mbappé comme une ombre à son aura nationale.
Malgré tout, le football français est encore loin d’être totalement ingrat, à en croire tous les soutiens reçus par Antoine Griezmann en cette période. Parce que le football reste avant tout la vérité du terrain, celle-ci donne, pour l’instant, entièrement raison à la star de l’Atlético. Car, s’il ne mange peut-être pas à la table des Messi et Ronaldo, il a assurément le droit à une place d’honneur sur celle des grands noms du football européen…
Corentin Rolland