Il est l’homme en forme de ce début d’année dans la banlieue sud de Madrid. Dans un club en pleine mutation, il incarne le futur de Leganes mais surtout son présent. Auteur de 7 buts en 2019, En-Nesyri fait déjà mieux que sur l’entièreté de la saison dernière. Plus gros achat de Leganes, il confirme que les dirigeants madrilènes ont eu raison de lui faire confiance. Pourtant, sa saison ne s’annonçait pas aussi brillante même si son été avait bien commencé. Tranche de vie d’un garçon de 21 ans, entre Espagne et Maroc.
Lors de la 23e journée de Liga, un nom était dans toutes les bouches en Espagne. Messi ? Suarez ? Vinicius ? Griezmann ? Que nenni. Un jeune marocain à l’allure de déménageur venait de souffrir le scalpe presque à lui tout seul du Betis dans un Butarque en feu. Ce buteur, qui semblait pataud et pas sur de son jeu il y a encore moins d’un an vient tout simplement d’inscrire un triplé. Une première dans l’histoire pour un joueur du Lega en Liga. Mieux encore, avant le début du mois de janvier, En Nesyri n’avait trouvé qu’une fois le chemin des filets. Souvent sur le flanc et pas vraiment à son avantage dans le jeu, il inquiétait comme Leganes qui filait vers la zone rouge. Pourtant un changement de philosophie et une nouvelle association ont relancé les Pepineros qui regardent maintenant vers le haut du classement et En-Nesyri a inscrit 7 buts en 5 matchs. Mais d’où vient ce monstre et comment a-t’il pu se métamorphoser aussi rapidement ? Tentative d’explication.
De l’académie Mohamed VI au Maroc à la Liga, il n’y a qu’un pas
Tout commence alors qu’En-Nesyri n’a que 14 ans. Un âge tardif vous allez me dire et vous auriez raison. Mais au Maroc, on ne rentre pas tôt dans un centre de formation. On joue surtout dans la rue ou dans le club du quartier, les centres de formation ne sont pas vraiment structurés et l’éclosion au plus haut niveau des petites pépites est logiquement retardée. En-Nesyri joue dans les catégories inférieurs du Maghreb AS, un club formé par un ancien militant nationaliste qui ne rayonne pas sur la scène locale. Il tape le cuir mais rien ne dit qu’En-Nesyri deviendra professionnel un jour. En 2011 tout bascule. L’académie Mohammed VI lancé par le roi en personne enrôle le jeune buteur avec notamment un garçon qui deviendra son ami intime : Hamzal Mendy.
L’académie Mohamed VI est là pour montrer la voie aux autres clubs et faire changer les mentalités au Maroc sur la formation des jeunes. Nasser Larguet dirigeant de l’académie durant de longues années et connu en France pour avoir occupé de nombreux postes à responsabilité l’explique bien : « Ici, on estime qu’à 25 ans un joueur est encore jeune, mais à cet âge là, il ne lui reste plus beaucoup de temps. Les clubs doivent comprendre qu’à 18 ans, c’est le moment de donner leur chance à ces gamins. Le FUS le fait, le WAC l’a fait avec Toshak. C’est donc possible. Je vais vous donner une statistique. Sur 18 joueurs de la génération 97-98 qui ont suivi le cursus de l’académie Mohamed VI, 17 ont signé un contrat pro. Parmi eux, on a Mendyl à Lille, En-Nesyri à Malaga et Nouader à Nancy. Tous les autres sont dans les clubs marocains. »
Cette fameuse génération 97-98 est la meilleure cuvée sortie par l’académie jusqu’à aujourd’hui. En-Nesyri fait donc partie de la phase de test d’un projet qui doit faire accoucher de nombreux talents capables de faire passer un cap à la sélection marocaine au niveau internationale. En 2015 alors que l’attaquant marocain est en route pour Londres pour passer une batterie de test qui doit le mener à signer à Chelsea tout déraille. Après plusieurs semaines passées dans la capitale anglaise, En Nesyri déprime. Il pleut tout le temps et son soleil lui manque. Il décide alors de rentrer au Maroc mais Malaga s’engouffre dans la brèche et s’aligne sur la proposition du club anglais. Pour même pas 200 000 euros, le buteur est enrôlé par les Andalous. En-Nesyri garde le soleil, reste proche des siens et retrouve notamment Amrabat pour l’épauler.
Premiers faits d’armes, jusqu’à ce but en Coupe du Monde
Il commence par les Juvenil mais est directement promu avec la réserve de Malaga. Là-bas, il s’imprègne de ce nouveau pays, de ce nouveau football. Il découvre aussi le quotidien d’un footballeur professionnel. Il a à peine 18 ans mais fait déjà forte impression. Pas le plus à l’aise avec ses pieds, il est cependant très rapide malgré un physique conséquent. Avec son mètre 90 et ses 83 kilos il est une terreur et est très compliqué à bouger dans les duels. Un an après son arrivée, en 2016 il est invité à disputer la pré-saison avec les pro. Sous les ordres de Juande Ramos il confirme ses bonnes prédispositions et gagne sa place dans l’équipe fanion.

A Eibar pour son troisième bout de match avec les pro, il débloque son compteur but. À ce moment là la machine En-Nesyri mania est lancée. Même si il n’est que très rarement titulaire il joue régulièrement des morceaux de matchs toujours plus grands. Puis il découvre la sélection A. Cependant les résultats de l’équipe première ne sont pas bons, Malaga joue avec le feu et le remplacement de Juan de Ramos par Michel condamne les espoirs de temps de jeu du Marocain. Plus dans l’équipe, il voit Malaga remonté la pente sans lui. Lors du début de saison 2017-2018, toujours sous Michel, En-Nesyri repart à zéro. Il recommence à jouer des bouts de matchs, se met surtout en évidence pour sa débauche d’énergie mais rarement par un but ou une action de classe. Les résultats redeviennent mauvais et Michel est écarté.
Malaga continue de s’enfoncer dans la crise mais En-Nesyri se montre sous son meilleur jour. Pas encore fin techniquement il va se mettre à faire trembler les filets régulièrement. Bien plus souvent titulaire il termine la saison avec 4 buts au compteur et une place de réserviste pour la Coupe du Monde en Russie. Malaga tombe en Segunda et les concurrents commencent à se montrer pour le Marocain. Alaves, Eibar ou encore le Leganes sont les plus virulents. Le buteur veut attendre la fin du Mondial pour se décider. Parce que oui, à la faveur d’un forfait c’est le joueur de Malaga qui est choisi par Hervé Renard pour combler le vide, à la surprise générale. Le Maroc s’accroche mais est éliminé dès les poules de ce mondial 2018. Cette grande compétition, la première pour En- Nesyri est une réussite. Le buteur a marqué un but face à l’Espagne et voit sa popularité montée en flèche.
Leganes, pour continuer d’apprendre
En-Nesyri choisit l’un des clubs les mieux structurés de Liga comme prochaine destination : Leganes. Bien sûr inconnu en France, les Pepineros sont une valeur sûre de Liga depuis plusieurs saisons. Depuis le départ d’Asier Garitano et l’arrivée de Pellegrino les madrilènes se métamorphosent. Le club est actif sur le mercato, recrute à tour de bras et voit ses ambitions croitre. Devant, En-Nesyri est en balance avec Carillo pour occuper le poste de buteur dans le 5-4-1 mis en place par l’ancien mister d’Alaves. Le Marocain ne convainc pas et enchaîne les petits pépins musculaires. À Malaga il fut pris sous son aile par Amrabat, dans la banlieue sud de Madrid et c’est El Zhar qui reprendra par la suite le rôle de tuteur pour le buteur. En novembre 2018, Pellegrino l’entraîneur de Leganes parle surtout d’En-Nesyri comme d’un joueur pour le futur de Leganes non pour son présent : « Nous faisons confiance à Youssef. Il sera attaquant pendant de nombreuses années dans la Lega. En-Nesyri offre des alternatives différentes à Carrillo et Santos. Il a du talent et de la jeunesse. «
Le plus gros investissement de Leganes sur le marché des transferts joue peu et déçoit sur le pré. Peu inspiré avec ses pieds, il ne semble pas vraiment faire la paire avec Carillo. Les deux ne se bonifient pas. Hormis un doublé en Copa face au Rayo et un but face à Alaves en Liga, statistiquement ce n’est pas fameux. Celui qui est maintenant un membre important de sa sélection va profiter de deux choses pour exploser. Tout d’abord un changement de système. Pellegrino a changé son fusil d’épaule et évolue maintenant avec deux pointes. Même si la cohabitation avec Carillo est difficile, En-Nesyri joue et c’est déjà ça. Puis la blessure de l’ancien monégasque va conduire Leganes à recruter Braithwaite l’ancien joueur de Toulouse. Son association avec le Danois va faire des étincelles d’entrée de jeu.
Les deux s’entendent mieux, Braithwaite est plus mobile et dézonne plus ce qui permet à En- Nesyri de profiter de plus d’espaces pour faire parler sa pointe de vitesse. De plus, le Marocain a fait des progrès sensationnels dans l’utilisation du ballon même si tout n’est pas parfait. Face à Eibar notamment, son doublé dont un sur un enchaînement parfait montre bien qu’En-Nesyri est sur la pente ascendante. Ce duo matérialise parfaitement le nouveau Leganes. Conquérant, sûr de leur force et surtout qui joue haut sans se cacher. Au point de faire quelque peu évoluer le discours de Pellegrino sur le Marocain et de le voir être dithyrambique sur son niveau après son doublé face à Eibar :« Il a joué un grand match, toujours mal à l’aise avec sa rapidité et sa capacité à gérer le ballon. Parce que nous pensons qu’il a un grand avenir, il est encore très jeune et a beaucoup à apprendre. S’il a de l’humilité, il s’améliorera beaucoup, il a des capacités physiques incroyables et cela dépend de sa mentalité « .
Face au Betis, les Pepineros ont réalisé une de leur meilleure performance de la saison avec un En-Nesyri de gala avec ce fameux triplé. Ce match est réellement celui de l’explosion pour le Marocain en Liga et en Europe. Maintenant le plus dur commence pour lui, titulaire indiscutable dans l’esprit de son entraîneur, il doit continuer de progresser pour montrer que cette forme n’est pas qu’une surchauffe. Il incarne le futur de Leganes et celui de la sélection du Maroc par le biais de sa formation, rien que ça. En tout cas, on ne sait pas où se situe le plafond d’En-Nesyri et c’est de plus en plus intéressant à suivre.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13