Eibar est une petite bourgade du Pays basque, une ville et un club qui sont des OVNI en Liga. Loin de tout, ou presque, le SD Eibar impressionne par son jeu et sa malice sur le marché des transferts. L’homme qui tient magnifiquement ce projet et lui permet de continuer à progresser est peu connu en France. En Espagne, sa réputation est certes plus grande mais il n’est pas le plus médiatisé des entraîneurs. Pourtant, José Luis Mendilibar est une figure phare des dernières saisons en Liga. Retour sur les faits d’armes d’un homme attachant, d’un entraîneur passionné et volcanique profondément attaché à sa terre.
Comme beaucoup d’entraîneurs coté actuellement, José Luis Mendilibar n’a pas eu une carrière de joueur époustouflante. Arrivé sur le tard à l’Athletic, il n’a jamais réussi à percer chez les Leones et s’est cantonné à la Segunda. Il joue près de 8 ans à Sestao mais évolue aussi à Logroñes et au SD Lemona. Un parcours honnête mais finalement sans grand relief. Milieu de terrain de formation, il prend sa retraite à 33 ans et épouse très rapidement la vocation d’entraîneur. Cette nouvelle vie, Mendilibar la vit en grande partie au Pays basque. Attaché à sa terre, le Míster ne la quitte jamais très longtemps.
Premier passage à Eibar avec David Silva et nomination à la tête de l’Athletic
Quelques mois après sa retraite de joueur, José Luis Mendilibar prend la tête du CD Arratia durant près de 2 ans. Là-bas, il fait du bon travail et le natif de Zaldivar est recruté pour entraîner les jeunes de l’Athletic. Il ne reste qu’un an chez les Leones mais ne s’éloigne pas trop puisqu’il rejoint le CD Baskonia avant de prendre la tête de l’équipe B de l’Athletic durant une saison. Mendilibar saute de projet en projet et ne s’inscrit pas dans la durée. A chaque fois pourtant, les résultats sont intéressants. L’actuel entraîneur d’Eibar peaufine sa philosophie et a le contact facile avec ses joueurs. Il travaille sa posture. Dans une interview, il explique qu’à ses débuts en tant qu’entraîneur, il se sentait encore joueur et participait aux séances avant de prendre du recul une fois qu’il a compris et intégré qu’il n’était maintenant qu’un coach.

Après une autre saison dans un petit club basque, Mendilibar quitte pour la première fois sa région pour prendre la tête de l’UD Lanzarote. Cette petite île des Canaries n’a jamais connu la Liga. Sous les ordres du technicien basque, le club dispute deux fois les play-off pour accéder à la deuxième division, sans succès. Ses nouvelles bonnes performances ouvrent pourtant la porte de la Segunda à Mendilibar qui est nommé à la tête d’Eibar en 2004. L’actuel Eibar est un club modeste, celui de 2004 était encore plus petit. Pourtant le Basque réussit tout de même à entretenir le rêve d’une montée en Liga. Les Armeros finissent 4e et ont des étoiles dans les yeux. Dans les rangs d’Eibar, il y a un petit milieu de terrain qui finira par mettre l’Europe du foot à ses pieds. Il est prêté par le Valencia CF : il s’appelle David Silva. Mendilibar est revenu sur les quelques mois qu’il a partagé avec ce géant qui n’était encore qu’un enfant à cette époque : « Il s’est beaucoup entraîné, il a passé un très mauvais hiver et a été souvent malade mais il est devenu fort ». Quand on connaît les températures de Gran Canaria d’où il est natif et celles d’Éibar l’hiver, on imagine la douleur du Chino…
De retour avec succès au Pays basque, Mendilibar se voit proposer de prendre les reines de l’Athletic Club en Liga. C’est un rêve pour lui qui n’a jamais pu porter le maillot des Zuri-gorriak à ce niveau. Mais le rêve a eu le goût du bouillon d’onze heures. Pour la première fois, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Après seulement 9 journées et un total de 6 points pris sur 27 possibles, Mendilibar est démis de ses fonctions. Un échec qui le marquera mais qui ne coupera absolument pas sa progression. Pas encore prêt pour la Liga, il fait les bons choix pour se relancer.
Le conte de fée avec Valladolid et 1er coach à comprendre la Bestia Diego Costa
Mendilibar sait qu’il doit continuer d’apprendre en Segunda avant de retenter sa chance en Liga. Quelques mois après son échec à l’Athletic, il est nommé à la tête de Valladolid. La saison 2006-2007 sera tout bonnement exceptionnelle pour le club de Pucela. Dans un club avec de biens meilleures infrastructures qu’Eibar, Mendilibar fait logiquement beaucoup mieux. Après des débuts en dents de scie, les violets restent invaincus durant 29 journées en championnat. L’état d’esprit du groupe est magnifique et il y a une vraie symbiose entre Mendilibar et son groupe. Valladolid assure sa montée à… 8 journées de la fin. Pour couronner encore un peu plus cette saison magnifique, l’équipe bat un record de points (88). Mendilibar retrouve donc très vite la Liga avec cette fois l’envie d’en découdre et de prouver sa valeur.
En Primera, Mendilibar assure très vite le maintien de Valladolid. En 2008-2009, le club de Pucela continue de grandir et de se renforcer. Ce qui plaît au président de Valladolid, c’est que son équipe déroule son jeu. Pour une formation avec un budget de même pas 20M€, c’est quelque chose d’unique et cette prouesse n’est possible essentiellement que grâce à Mendilibar. Surtout, il est soutenu par son groupe. Quand il est prolongé après une période de moins bien, les premières personnes à appeler Carlos Suárez pour le féliciter de sa décisions sont les leaders du vestiaire, Alberto Marcos en tête. Les violets se battent pour jouer l’Europe et la réputation de Mendilibar grandit. Son équipe joue bien au football. A l’été 2009, Mendilibar participe même à un colloque à Lanzarote avec Pep Guardiola et Unai Emery. Les experts voit Valladolid réaliser une saison 2009-2010 sensationnelle.

A ce moment, un attaquant brésilien débarque à Pucela pour un prêt : Diego Costa. Les mots de Mendilibar sur sa nouvelle Bestia sont tendres et affectueux : « On me l’a vendu comme un loup et c’est en réalité un agneau ». La relation entre Diego Costa et Mendilibar n’est pas linéaire : des buts, des insultes, des compliments et quelques câlins. Une relation à l’image de la saison. Valladolid, après avoir perdu des éléments clé lors du mercato estival, déçoit et Mendilibar est congédié en février. Remplacé par l’entraîneur du filial puis par Javier Clemente, le club ne sortira jamais de sa spirale négative et est relégué au terme de la saison.
Des expériences en demi-teinte avec Osasuna et Levante
Entre son licenciement de Valladolid et sa nomination à la tête d’Osasuna, il s’écoule près d’un an. José Luis Mendilibar se précipite jamais sur un projet. Il discute, se renseigne et veut que l’éco-système lui convienne. Souvent, il fait des choix qui surprennent ou refuse des gros postes parce qu’il ne pense pas réussir. Il a aussi beaucoup de mal à rester longtemps loin de son Pays basque. En février 2011 quand, il est nommé à la tête d’un Osasuna qui est dans une très mauvaise spirale, il associe le retour sur le banc et un poste en Euskal Herria.
Facilement, le club termine la saison 2011-2012 à une 9e place encourageante. Mendilibar et son 4-4-2 continuent de s’affiner et on voit quelqu’un qui ne se renie jamais. Qu’il joue le Barça ou le 19e au classement, les équipes qu’il a sous sa coupe jouent de la même façon : pressing tout terrain, rester haut à la perte du ballon, utiliser les côtés et verticaliser au maximum. Son Osasuna fait pas d’étincelles mais se maintient en 2012 et 2013. Lors de la saison 2013-2014, son équipe connaît un gros trou d’air en début de saison. Alors qu’avant, sa direction lui faisait confiance, il est cette fois mis dehors. Mendilibar est de nouveau sur le marché.
Il attend encore quelques mois et à l’été 2014, le Basque est nommé à la tête de Levante. Le club d’Oriolls alterne régulièrement les montés et les descentes. Sans vraiment de pression extérieure, on pense que c’est une nouvelle fois un bon club pour permettre à Mendilibar de mettre en place son projet de jeu. Sauf que comme lors de sa dernière saison à Osasuna, les débuts sont cataclysmiques. Les Granotes ne comptent qu’une victoire après 8 journées de Liga dont 2 défaites cinglantes (5-0). Mendilibar est de nouveau mis à la porte et sa réputation est au plus bas.
Eibar pour renaître
Dans le creux de la vague et sans projet intéressant, Mendilibar patiente. L’endroit où il a connu ses premiers succès dans le monde professionnel, Eibar, est dans une situation particulière. Après avoir réussi l’exploit de monter en Primera, le petit club basque entraîné par Gaizka Garitano a du mal à ce nouvel échelon. A la fin de la saison le couperet tombe : les Armeros sont relégués. Garitano s’en va et Mendilibar arrive. Sauf qu’à cette époque, l’avenir d’Eibar est bien plus flou qu’il n’y paraît. Elche est dans une situation financière très compliquée et le spectre d’une relégation administrative plane au dessus du club formateur de Saúl Ñíguez. Si Elche est relégué, Eibar est maintenu en Liga…

Mendilibar signe pourtant son contrat avant que la sanction tombe. Peu de temps après l’officialisation de son arrivée, un deuxième communiqué tombe : Elche est officiellement relégué. Eibar est miraculé et dispute une saison de plus en Liga. Le plus petit stade et le plus petit budget de Primera ont droit à une deuxième chance. Son retour à Ipurua était prévisible dans le fond. Mendilibar est un Basque pure souche qui parle euskarra en conférence de presse et qui a du mal avec l’évolution du football. Il aime le calme, la sérénité et rejette tout ce qui peut se rattacher au football business et a son exposition médiatique folle. Dans cette bourgade qui ne compte même pas 30 000 habitants, il est chez lui. Dans Público, Mendilibar résume bien ce qui le lie à Eibar : »ici, à Éibar, nous gardons ce vieux parfum de football, un stade si petit, et c’est tellement pluvieux… Il est vrai que le football a tellement changé que le seul qui ne l’ait pas été c’est le ballon, qui est toujours rond. Mais le reste ne ressemble à rien. Je me souviens qu’à mon époque, voir plus d’un journaliste me semblait exceptionnel; aujourd’hui, il y en a, 400, 500… Mais c’est ainsi, les temps changent et ils changent un peu moins rapidement à Eibar ».
Un bien-être qui rejaillit sur les résultats de son club. Depuis que Mendilibar est à la tête d’Eibar, jamais ils n’ont pris part à la lutte pour le maintien sur de longues périodes. Bien sûr, le club vit par moments des petites crises de résultats mais à chaque fois, les Armeros remontent. C’est bien simple, la 14e place lors de sa première saison à la tête du club est le plus mauvais classement de Mendilibar avec Eibar en Liga. En 2016-2017, les Basques ont terminé 10es, et en 2017-2018 9es. Chaque été, Eibar perd des éléments importants sans investir des sommes folles et à chaque fois pourtant, Eibar semble plus fort.
Mendilibar, maître tacticien à son apogée ?
Le jeu mis en place par Mendilibar y est pour beaucoup. A Ipurua, Eibar est imprenable et joue un football chantant. Chantre d’un pressing tout terrain, on voit actuellement la meilleure version de Mendilibar en tant que coach. Toujours enclin à piquer quelques crises, son équipe est équilibrée et le 4-4-2 récité à merveille par un groupe totalement acquis à la cause de son technicien. Sur le terrain, le style est facile à décrire : pressing constant, 4-4-2 positionné très haut, des ailiers qui doivent faire des décalages pour ensuite trouver un homme libre dans la surface.
A près de 60 ans le jeu de Mendilibar continue d’évoluer. Alors qu’à sa prise de fonction, le pressing haut servait surtout à balancer très vite sur Takashi Inui ou Pedro León qui jouait en rupture, depuis quelques mois, le projet de jeu a changé. Maintenant, lorsque Eibar récupère le cuir, il met en place un jeu de possession intéressant, possible grâce notamment à la présence de Joan Jordan au milieu. Les Armeros deviennent une équipe qui met en place des circuits de passes et sait jouer de plusieurs manières.
Dans Público, Mendilibar est revenu sur sa philosophie de jeu :
« Nous faisons des exercices avec différentes sorties de balle et ensuite, je laisse les autres libres. Ils doivent choisir. Je ne peux pas les diriger du banc. Ils doivent prendre des décisions. J’apprécie beaucoup le joueur qui décide sur le terrain sans attendre ce que je dis. Nous pensons toujours qu’avec l’ordinateur nous gagnons des matchs et résolvons tous les problèmes que l’adversaire peut générer. Mais non. Le football est un mouvement »
Une symbiose parfaite entre Mendilibar et la direction d’Eibar
Depuis son arrivée, chaque mercato est toujours préparé de la même manière au Pays basque. Mendilibar propose une liste de joueurs, la direction sportive aussi et les joueurs présents sur les deux listes sont pistés. Une méthode qui permet d’éviter les échecs industriels et limite les erreurs de casting. Chaque saison, on pense qu’Eibar s’est trop affaibli et va sûrement être relégué. Pourtant à chaque fois, Mendilibar trouve la clé pour lancer un cycle et ne pas faire douter trop longtemps son effectif. L’année dernière, c’est l’explosion d’Iván Alejo qui avait sorti Eibar de sa torpeur. Cette saison, c’est Marc Cucurella qui apporte ce qui manquait dans le jeu armero.
Cette version 2018-2019 d’Eibar semble être une des plus abouties mis en place par le technicien basque. En fin de contrat à la fin de l’année et alors que son nom traîne toujours du côté de l’Athletic, le Míster rêve toujours mener « son » Eibar disputer une compétition continentale. Un match européen à Ipurua sous la pluie : et si c’était ça la définition du bonheur ultime pour José Luis Mendilibar ?
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13