J-League – Andrés Iniesta, David Villa, Fernando Torres, Juanma Lillo : la logique derrière ces transferts au Japon, entre ambitions sportives, coups marketing et domination territoriale

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Fin mai 2018, toute la planète football a eu une poussière dans l’oeil. Iniesta vient de disputer son dernier match avec le Barça. Alors qu’on l’annonçait proche de la Chine, le natif d’Albacete rejoint à la surprise générale le Vissel Kobe et la J-League. Au Japon, il retrouve Lukas Podolski et sera rejoint par Fernando Torres puis par l’entraîneur Juanma Lillo et David Villa. Mais que ce cache-t-il derrière ces mouvements ? Nostalgie des années 90, volonté sportive et coup marketing d’une ligue qui essaye de grandir : explications.

Andrés Iniesta est une légende, un monument et surtout un membre fondamental d’une des plus grandes équipes de football de l’histoire. Quand il annonce son choix de quitter le Barça avec la ferme intention de continuer sa carrière ailleurs, c’est la panique chez les supporters. Mais où va signer l’homme qui distille les croquetas comme personne ? Vu le sens du vent, on l’annonce très proche du Chongqing Lifan en Chinese Super League. On parle même d’un contrat pharaonique accompagné de la possibilité de mettre un pied dans le marché viticole chinois, lui le propriétaire de vignes en Castilla-la-Mancha. Mais si le continent est bien le bon, ce n’est pas en Chine mais au Japon qu’Iniesta pose ses valises. Au nez et à la barbe de la CSL, la J-League rafle la mise. Le Vissel Kobe, club qui ne gagne rien mais qui est bien doté financièremt grâce au soutien de Rakuten, sponsor du Barça, annonce par la voix de son propriétaire Hiroshi « Mickey » Mikitani la signature de Don Andrés pour 3 ans et 25 millions d’euros de salaire. Un deal où s’entrechoquent une ambitions sportives, progrès techniques et rôle d’ambassadeur.

Iniesta pour faire du Vissel Kobe le numéro 1 en Asie

Rakuten et son fondateur ne sont pas des inconnus en Europe bien que la majorité des activités du « Amazon Japonais » soit sur l’archipel nippon. « Mickey », comme on le surnomme au pays, s’est lancé dans les affaires après le terrible de séisme de 1995. Après avoir réussi et s’être tourné vers l’étranger pour faire grandir Rakuten, il veut se servir du football et du base-ball pour matérialiser sa logique « d’éco-système » Rakuten qui doit faciliter la vie à ses clients. La logique est simple : Rakuten dispose d’actifs dans tous les secteurs ou presque et veut donc mettre sur pied un compte client unique pour chacune de ses sociétés. A terme, « Mickey » veut supprimer les transactions en liquide. Ce projet prend vie dans le stade du Vissel où en 2019 pièces et billets ne sont plus autorisés et et où tout passe par du paiement dématérialisé marqué du logo de Rakuten évidemment.

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Déjà propriétaire d’une franchise de baseball du Vissel, Mikitani a vite compris que pour faire connaître sa marque à l’international et donc pouvoir mettre sur pieds son projet d’éco-système, il devait avoir des encarts de pubs qui soient les plus visibles possiblse. En 2016, Rakuten devient le sponsor de deux géants : le Barça et les Golden States Warriors en NBA. Rien que ça. « Notre marque est extrêmement forte au Japon mais pas aussi dans d’autres pays », s’est satisfait Mikitani lors d’une conférence de presse après le rachat de Viber. Au Barça, c’est Gerard Piqué qui a permis le rapprochement entre le board blaugrana et le géant japonais. Le défenseur du Barça est ami avec « Mickey » et ensemble, ils sont à l’origine de la réforme de la Coupe Davis. Ce rapprochement entre Rakuten et le Barça accouche de la signature d’Iniesta au Japon. Il rend visible le côté collaboration du partenariat entre l’Amazon japonais et les Culés. Le Vissel veut récupérer la science du Barça en termes de valorisation de son stade et de formation. Pour Mikitani, pas de demi-mesure : on prend exemple et on s’allie avec les meilleurs pour grandir et on ne regarde pas à la dépense.

« J’aimerais aider la J-League à se développer en Asie » Andrés Iniesta

La J-League est une des meilleures ligues d’Asie mais n’est plus aussi sexy qu’avant. Au cours des années 90, l’arrivée de Zico avait mis un coup de boost au championnat nippon et permis de lui faire franchir un cap très rapidement. Michael Laudrup, l’idole d’Iniesta, a d’ailleurs revêtu le maillot du Vissel lors de cette période. Or depuis quelques années, la Corée du Sud est devenu un concurrent sérieux sur le plan sportif et la Chine est loin devant d’un point de vue médiatique. L’arrivée d’Iniesta est un coup monumental. Son arrivée fait du bien à toute la J-League dans son ensemble. Avec « Don Andrés », Mickey et le Vissel s’achètent aussi un morceau du Barça et un ambassadeur parfait pour son rayonnement local et continental.

Une ambition annoncée de vive voix par Mikitani en personne lors de la présentation d’Iniesta:

« Je suis convaincu que la philosophie, le leadership et l’ADN d’Iniesta seront une formidable source d’inspiration, non seulement pour le Vissel Kobe, mais pour tout le football japonais. Donner aux joueurs et aux fans la chance de voir le style de jeu de classe mondiale d’Iniesta aura un impact majeur. Nous allons tout donner pour atteindre notre objectif de devenir le club numéro 1 en Asie » Hiroshi Mikatani 

Et Iniesta d’ajouter : « J’aimerais pouvoir transmettre d’une manière ou d’une autre tout ce que j’ai appris et vécu ». Une ambition qui va dans la logique d’expansion de la J-League qui a augmenté sensiblement ses droits TV. Le championnat japonais a signé un partenariat avec LaLiga en 2017 par exemple. Avant Iniesta et les autres stars espagnoles, la J-League avait noué des partenariats avec des fédérations de l’Asie du Sud-Est qui ont pris de l’ampleur avec la signature de quelques stars locales dont le Thaïlandai Theerathon « Aum » Bunmathan au Vissel Kobe.

Un peu de sportif, beaucoup de business 

Le Vissel Kobe a beau être le club japonais le plus riche, il ne pèse pas sportivement sur le championnat. Il fait même régulièrement l’ascenseur avec la J2 et a du mal à finir au dessus du top 10. Avant Iniesta, la signature de Podolski avait permis aux Ushi de grandir médiatiquement mais pas vraiment sportivement. Surtout qu’en plus d’un rendement plutôt faible, le champion du monde allemand est souvent décrié par les médias locaux pour son manque d’investissement global. De plus, malgré les titres de Poldi, Iniesta est un joueur d’une tout autre envergure qui rejoint Kobe. Le séisme est mondial. Personne n’imaginait Don Andrés porter un autre maillot que celui du Barça.

Pourtant, les premiers pas d’Iniesta n’ont pas permis au Vissel de grimper au classement. Au contraire même. Il est vrai que l’effectif est assez mal conçu et la 10e place finale de 2018 est logique. Cependant, aux alentours du stade des Ushi, l’apport d’Iniesta s’est très vite fait ressortir. Tout d’abord, d’un point de vue marketing, comme avec Podolski, l’Espagnol est devenu l’icöne d’une campagne touristique pour faire venir les Européens au Japon. Un spot et un concours conçus par Rakuten. Ensuite, la firme, par le biais de sa plateforme de vidéo ressemblant à Netflix, a mis sur pied une série-documentaire sur les pas d’Iniesta au Japon, commençant par une discussion entre Mikitani et le génial milieu de terrain. Ce transfert fait d’Iniesta un homme sandwich de Rakuten. Pour continuer dans les partenariats, l’auteur du but magnifique en finale de la Coupe du Msonde 2010 a aussi quitté Nike après plus de 16 ans de bon et loyaux services pour porter des crampons Asics, marque japonaise basée à… Kobe.

« Vous avez diffusé des informations sur le Japon. Grâce à cela, le nombre de touristes espagnols a augmenté » Shinzo Abe, Premier ministre japonais, à Iniesta

Médiatiquement, l’arrivée d’Iniesta au Japon est quantifiable. Comme l’explique Shin Toyofuku, correspondant en Espagne de Hochi Shimbun, l’un des principaux journaux sportifs : « Dans tous les matchs du Vissel Kobe, à domicile comme à l’extérieur, tous les billets sont vendus. Cela a été réalisé grâce à Iniesta ». Masayuki Morii, responsable commercial du Vissel, ajoute : « Lors des saisons pré-Iniesta, Kobe vend 150 000 maillots, mais dans les deux semaines qui ont suivi l’arrivée d’Iniesta en juillet, nous en avons vendu 500 000 ».

David Badunski, ancien de la Masia et joueur de J-league à Omiya Ardija l’assure : « Iniesta a créé une attente massive. Tous les fans de football japonais sont enthousiasmés par son arrivée et ont hâte de le voir. Tous les clubs et toutes les compétitions gagnent beaucoup avec l’arrivée de l’un des meilleurs de l’histoire. Dans le cas du Vissel Kobe, ils ont Podolski en plus. Iniesta apportera la valeur spéciale qui les aidera à faire la différence ». Une attente qui se matérialise autour du stade Noevir du Vissel Kobe où un stand est dédié à la vente de produits dérivés estampillés Iniesta. Un bar où des tapas espagnols et des vins conseillés par Iniesta lui-même a aussi été lancé. Dans les tribunes, les drapeaux allemands pour encourager Podolski sont en train d’être remplacé par ceux de l’Espagne. Dan Orlowitz, rédacteur sportif au Japan Times confie : « Quand Iniesta joue, les médias qui ne couvrent généralement pas le football le font. Vous devez vous inscrire à chaque match car ils n’ont pas de place dans la tribune de presse, une situation inconcevable auparavant ». Les abonnements ont aussi augmenté pour la saison 2019. Voir Iniesta ça coûte un peu…

Dans le sillage d’Iniesta, un autre Espagnol a rejoint la J-League pour l’exercice 2018. Sauf que la logique est vraiment différente. Quand Iniesta signe dans un club riche qui veut devenir un géant, Fernando Torres arrive dans un tout petit club qui lutte pour son maintien et soutenu par deux sponsors assez importants. Au Sagan Tosu, pas vraiment de projet sur le long terme, mais un coup sportif pour sauver un club qui se rapproche toujours plus d’une relégation saison après saison. Néanmoins, El Niño connaît déjà un peu la préfecture de Sagan, pour avoir été accueilli avec l’Atlético lors d’un stage en 2015 dans le cadre du partenariat LaLiga World. Pour autant, il ne tombe pas dans un club aussi ambitieux qu’Iniesta. Même si Torres a peu marqué, le Sagan s’est sauvé. Et histoire de mêler l’utile et l’agréable, l’ancien Colchonero s’inscrit aussi dans une logique marketing puisqu’il a lâché ses Adidas pour des Mizuno après son arrivée au Japon et ce n’est certainement pas pour rendre hommage à la carrière de Thiago Motta ou Frankie Fredericks. Malgré tout, entre la grande ville de Kobe et la bourgade de Tosu, les projets sont totalement opposés.

Un peu de Masia et un revival du plus beau des Barça avec David Villa et Juanma Lillo

En dépit de résultats sportifs toujours aussi décevants, le Vissel a encore passé la vitesse supérieure en annonçant  les arrivées Juanma Lillo et David Villa pour 2019. Le mentor de Guardiola est arrivé en fin de saison 2018 et a pour objectif de faire un revival d’un des plus beaux Barça de l’histoire avec deux joueurs qui se sont magnifiquement entendus sur le terrain. Lillo a été le maître à penser de Guardiola, l’homme qui cadrait Sampaoli au Chili mais qui n’a jamais vraiment eu de réussite en tant que numéro 1. Lillo a débuté le coaching alors qu’il n’avait pas 20 ans. Il a révolutionné et théorisé un bon nombre de préceptes qui sont devenus des références pour beaucoup d’entraîneurs qui l’ont pris en exemple pour exploser.

Crédits : Besoccer

Mikitani l’avait déclaré au sujet d’Iniesta : « Nous voulons qu’il soit impliqué dans la gestion de tout le club ». Cette signature de Lillo est un marqueur fort de son importance dans le club. Il manque un buteur prolifique au Vissel ? Muy bien ! Iniesta décroche son téléphone et démarche son ancien coéquipier David Villa. El Guaje a confié que l’appel d’Iniesta avait été déterminant: « J’ai parlé à Andrés lorsque l’offre de Kobe est arrivée. J’avais une impression positive après qu’il m’ait dit à quel point Kobe était agréable, à quel point il était à son aise au club et dans les projets d’équipe ». Mikitani veut ce qu’il y a de meilleur pour son génial milieu, tant qu’à terme le Vissel soit tout en haut de l’Asie.

« Un manager n’est tout au plus qu’un facilitateur. Un manager doit être comme Dieu, être partout mais nulle part. Tout au plus, il facilite les choses mais pas plus. Les joueurs sont ce qui compte vraiment. Avec les bons footballeurs, tout est plus facile »  Juanma Lillo sur son rôle au quotidien

Dans sa volonté d’inspirer le Japon et l’Asie, le Vissel Kobe se dote d’une arme magnifique pour attirer autant les Européens que les Asiatiques si cela fonctionne. Hiroshi Mikitani a notamment déclaré: « Nous poursuivons un nouveau style de jeu et après avoir discuté avec l’entraîneur, le nom de David Villa a été qualifié d’attaquant qui correspondrait à ce style de jeu. C’est un buteur formidable ». Juanma Lillo s’est confié aussi sur ses objectifs personnels à Kobe : « Le Vissel réunit toutes les conditions nécessaires pour que je puisse appliquer mon style de football ». De quoi voir apparaître bientôt des extraits vidéo d’actions du Vissel sur les réseaux sociaux ?

Credits : ELTIEMPO.COM

Iniesta a déjà adoubé Lillo en déclarant : « Avec l’entraîneur précédent, nous avons fait des choses mais Lillo se concentre maintenant sur certains points qui manquent à l’équipe ». Une ambition qui fait sensation quand on la compare avec le Tosu de Torres qui est certes moins puissant financièrement mais qui a aussi signé un entraîneur espagnol en la personne de Luis Carreras qui n’a pas réussi de grandes choses en Espagne.

Villa-Iniesta : wagon de tête d’une J-League aux dents longues

La tension monte autour du Vissel qui débute sa saison fin février. Actuellement en stage aux États-Unis, le club nippon est un pionnier, comme le confesse Don Andrés : « C’est la première fois dans l’histoire des clubs de football japonais qu’une équipe de J-League se rend aux États-Unis pour y disputer des matches amicaux ». Une tournée qui permet surtout de valoriser un nouvel actif de Rakuten : le blockchain, une technologie de stockage et de collecte d’informations. Avec ça, Iniesta doit aussi faire grandir les joueurs locaux : « Nous attendons avec impatience qu’Andrés renforce non seulement les performances de l’équipe, mais contribue également au développement de la prochaine génération de joueurs grâce à l’introduction de la méthodologie Iniesta dans l’académie pour jeunes » a expliqué Mikatani. Un peu de sportif, beaucoup de marketing : voilà le quotidien d’Iniesta au Japon entre deux croquetas.

Comme souvent avec les joueurs espagnols de génie, Iniesta ressemble à monsieur tout le monde. Il n’est ni le plus grand, ni le plus fort mais il est le plus intelligent. Un style qui plaît et peut inspirer beaucoup de monde au Japon. Une logique qui va à l’inverse d’un projet d’un club nippon qui a lancé une structure de formation à Barcelone, composé essentiellement de jeunes japonais qui militent dans les petites divisions locales avec un même projet : faire émerger la nouvelle star asiatique. Pour son premier match officiel en championnat de 2019, le Vissel Kobe de Villa, Iniesta et Lillo affrontera le Cerezo Osaka de Lotina. Le football japonais parle de plus en plus espagnol et se déguste avec une caña et des tapas.

Benjamin Bruchet 

@BenjaminB_13

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