Certains joueurs laissent une trace indélébile dans l’identité d’un club. Germán Dévora a marqué à jamais par son jeu et sa personnalité l’Unión Deportiva Las Palmas. Hommage à un joueur incontournable du football canarien et espagnol.
Si vous le croisiez dans une rue de Las Palmas, vous ne pourriez pas imaginer l’héritage que cet homme a laissé à l’île de Gran Canaria et à son football. Germán Dévora passe pour un abuelito espagnol quelconque. Un grand-père quelconque qui marche mains dans le dos, l’air satisfait, observant avec tendresse un paysage qu’il a toujours connu. Un grand-père quelconque qui pose son regard expérimenté sur ce qui l’entoure, amusé et non pas abattu par le temps qui passe. Un grand-père quelconque qui possède un tiroir à anecdotes précieux qu’il ouvre de temps à autre, pour le plus grand bonheur de ses petits-enfants. Vous l’aurez compris, un de ces grands-pères que l’on aime écouter parler des heures. Mais Germán n’est pas un abuelito quelconque, Germán est une légende vivante.
Protagoniste des années dorées de l’UD Las Palmas
Germán Dévora a défendu le maillot jaune de l’Unión Deportiva Las Palmas pendant toute sa carrière professionnelle. Passé par les catégories inférieures, le milieu offensif débute avec l’équipe fanion en 1962 pour ensuite enchainer 16 saisons consécutives avec les Canariones. Ces derniers sont alors en deuxième division espagnole mais la fraîcheur qu’apporte l’arrivée d’une série de jeunes joueurs dont fait partie Dévora porte ses fruits : l’équipe monte en Primera l’année d’après. Le premier match de la future légende en Liga est annonciateur, il présage une nouvelle étape dans l’histoire du club, la formation de Gran Canaria s’impose 1-2 contre le FC Barcelone grâce à un doublé de Dévora.
Personne ne le sait encore à ce moment-là, mais l’Unión Deportiva se lance vers ses années les plus prolifiques. Ce club des îles Canaries, longtemps isolées et oubliées par la péninsule, va réussir à regarder les yeux dans les yeux des géants du football espagnol sans complexe d’infériorité et leur disputer plusieurs titres. Malheureusement, pas de récompense matérielle pour l’Unión Deportiva. La saison 67/68 se soldera par une troisième place en Liga en étant l’équipe avec le plus de buts marqués. La saison d’après les Canariones finissent deuxième, derrière le Real Madrid, en pratiquant ce qui est considéré par beaucoup le meilleur football qui existait à cette époque en Espagne, avec un 11 titulaire presque entièrement canarien. Sur le plan sportif et social l’Unión Deportiva était la fierté d’un peuple et Germán Dévora en était un des plus grands protagonistes. Pas de récompense matérielle, mais une reconnaissance éternelle qui vaut bien plus.

Un jeu et une personnalité hors du commun
L’impact de Dévora sur le jeu de ces années dorées a été impressionnant. El Maestro était un milieu qui sentait le football et qui rendait meilleur les autres joueurs par sa présence. Ses ex-coéquipiers sont unanimes : le natif de Las Palmas mettait dans des conditions tellement parfaites qu’il n’y avait qu’à pousser la balle dans les filets. En plus de sa qualité de passeur, le numéro 10 maîtrisait bien le jeu de tête et sa frappe était excellente. Un joueur intelligent et cérébral, peut-être même un peu trop. C’est ce qui lui a été reproché, ce n’était pas un joueur sanguin, il pouvait paraître nonchalant sur le terrain et son manque d’agressivité lui a valu de nombreux détracteurs. Germán Dévora assume totalement cet aspect de son jeu : « J’étais un joueur 100% offensif » déclare-t-il. Il jouait pour mener le jeu et se projeter vers l’avant, toujours à la recherche d’associations. Certains prétendent que le tiki-taka est né à Las Palmas, Dévora estime lui que leur jeu était de « combinaison avec l’intention de donner de la verticalité », pas une possession stérile. L’identité de cette équipe qui deviendra ensuite celle de tout un club a été influencée par cet ambidextre généreux sur le terrain et en dehors. Véritable capitaine, il a toujours été présent pour les jeunes nouveaux dans l’équipe et ceux qui l’ont côtoyé parlent de lui comme un ami infaillible. Dévora était une bonne personne, une définition qui paraît simple et naïve mais peu la mérite vraiment.
Les années argentines et la fin de carrière
Les années 70 de l’Unión Deportiva Las Palmas ont vu débarqué une série de joueurs argentins qui ont permis de continuer sur la bonne dynamique lancée les années précédentes. Dévora sera le meilleur buteur des Pío Pío entre 1970 et 1975 sans interruption, à deux buts près d’être Pichichi de Liga en 1972. Pas beaucoup peuvent prétendre combiner un sens du jeu et un sens du but exceptionnels, si ce n’est les meilleurs. Malgré ses qualités, il n’aura joué que 5 matchs avec la Roja, son manque d’agressivité et la concurrence féroce y sont pour beaucoup. Plus les années 70 avancent, moins Dévora prend du plaisir à jouer. Il sent qu’il est sur sa fin. La saison 77/78 sera la dernière du Maestro, il joue son dernier match le 15 avril 1978 contre la disparue UD Salamanca. Quelques jours après, l’UD Las Palmas perd en finale de Copa del Rey contre le FC Barcelone, Dévora n’aura pas jouer la finale mais grandement contribué au joli parcours de son équipe. Le milieu de terrain laisse derrière lui 16 saisons, 453 matchs et 119 buts sous le maillot amarillo. Sa fin de carrière et le départ des argentins Wolff, Carnevali, Brindisi et autres signeront le déclin du club. Les résultats et le jeu n’ont plus jamais atteint le niveau de ces années-là, même si le Las Palmas de Quique Setién a ravivé d’anciens souvenirs glorieux récemment.
Et après ? Quand on parle de lui comme une légende vivante du club, ce n’est pas une exagération. Germán a dédié toute sa carrière de joueur à Las Palmas, même s’il a eu plusieurs opportunités de partir dans des très grands du football espagnol. Sa fin de carrière n’a pas supposé la fin de la relation avec le club, loin de là. Dans les années suivantes, il va porter plusieurs casquettes : entraîneur adjoint puis entraîneur principal, directeur sportif, responsable du centre de formation. Ses courts passages en tant qu’entraîneur principal s’expliquent par des situations de crises du club, il dépanne juste, sans grand résultat ni vocation. « Je n’ai jamais voulu être entraîneur » admet-il. Son amour pour l’Unión Deportiva l’a poussé à prêter main-forte malgré un salaire ridicule et les situations difficiles qu’on lui donnait.

L’héritage de Dévora
Une vie entière à l’UD Las Palmas laisse évidemment des traces encore visibles. En plus d’une rue à son nom et d’une sculpture dans le stade Gran Canaria (entre autres), Germán Dévora est aujourd’hui président d’honneur du club mais surtout une référence pour tous les footballeurs de sa terre natale. Le jeu de Germán est resté gravé dans la mémoire d’une île dont les plages et les rues l’ont formé en tant que joueur et personne. Vicente del Bosque a défini El Maestro comme jouant « dans le style de Valerón et Silva, mais il marquait plus qu’eux. » Dans les joueurs actuels, Dévora se reconnait quant à lui en Isco. Ces comparaisons laissent imaginer le joueur qu’il a été. Quand il évoque son passé, l’ex-milieu offensif s’exprime comme s’il s’agissait d’un bon souvenir, avec légèreté. L’écouter est une leçon de simplicité et d’humilité. Il parle du football comme d’un loisir, de magnifiques années vécus avec des amis, de moments de partage entre les supporters et le club de leur terre. Il rend l’extraordinaire ordinaire, comme sur le terrain. Ou alors est-ce plutôt le monde du football d’aujourd’hui qui extrapole tout, qui donne une importance exagérée à ce qui est au final un jeu, qui rend extraordinaire l’ordinaire ?
Pablo Sánchez (Aythami)
@pablosanch19