3e épisode de la série de Furialiga sur la Coupe D’Asie des nations. Après avoir évoqué le projet pharaonique du Qatar et les liens entre la péninsule et les Philippines, présentation d’un autre pays qui se met à rêver du mondial 2022 : Le Bahreïn. Le petit Etat n’est pas une place forte du football régional mais cherche à progresser dans le domaine du Balompié. Comme ces voisins, pour matérialiser ce projet, un espagnol a été appelé. Pedro Gomez Carmona, ancien adjoint de Gabriel Calderon qui a été consultant pour la Roja et dirigeant de Valencia notamment n’a que 36 ans mais déjà une solide expérience. Présentation d’un ambitieux qui après 12 ans d’apprentissage doit enfin prouver qu’il a la trempe d’un numéro 1.
L’attribution du mondial 2022 au Qatar a suscité une vague d’indignation en Europe, à raison. Cependant la réaction fut totalement différente pour les pays voisins à Doha. Les Emirats et l’Arabie Saoudite voient dans ce mondial une possibilité d’enfin se placer sur l’échiquier du football mondial. L’annonce par la FIFA de la possibilité que ce mondial 2022 soit en plus élargie en nombre d’équipe a nourri cette ambition en plus de donner un avenir à d’autres. Au Bahreïn, le football est populaire mais pas grand. Cependant la royauté se met aussi à rêver d’une participation au mondial 2022. Pour mettre en forme cette idée folle : un espagnol. Portrait de Pedro Gomez Carmona, un entraîneur de 36 ans qui doit maintenant retranscrire plus de 12 ans d’expérience pour faire progresser les 113e au classement Fifa. Entre Valence, Estoril, l’ancien club de Maradona et donc East Riffa, itinéraire d’un autre surdoué du coaching.
Pedro Gomez Carmona, théoricien du football ?
L’histoire de Pedro Gomez Carmona avec le football n’est pas linéaire. L’actuel entraîneur d’East Riffa au Bahrein n’a que 36 ans et aucune carrière de footballeur notable. Cependant le Basque a théorisé son approche du football sur les bancs de la fac. La bas, il a étudié sur les moyens de réduire drastiquement les blessures des footballeurs avec l’utilisation des infrarouges. Un travail qu’il a matérialisé en thèse qui sera saluée par beaucoup d’acteurs du football. Même s’il est connu au début comme étant un préparateur physique de talent, Pedro a aussi eu quelques expériences en tant que dirigeant et entraîneur principal avant de devenir le manageur général d’East Riffa et consultant pour le Bahreïn.

Dés 2005 alors qu’il n’a même pas 23 ans, Pedro rejoint l’académie de Getafe et entraîne les jeunes dans le club de la banlieue sud de Madrid. S’ensuit un passage rapide au Real et aussi sur le banc d’un club de D4 dans une ville connue pour être la plus riche d’Espagne : Pozuelo de Alcorcon. Rapidement cependant il abandonne le projet de devenir entraîneur principal et va collaborer avec plusieurs entraîneurs de renoms. Le Liverpool de Benitez, le Valence d’Emery, le Zaragoza de Marcelino ou encore la Roja de 2010 font appel à lui pour leur préparation physique.
« Je me souviens quand nous sommes allés jouer la Ligue des champions avec Al Hilal en Iran. En temps normal, lorsque vous arrivez à l’hôtel, l’équipe locale vous fournit des bouteilles d’eau pour toute la durée de votre séjour. Ils nous ont laissé des bouteilles d’eau mais avec un petit cadeau, ils ont tous été crevés par le bouchon et nous avons supposé qu’ils auraient introduit un type de laxatif ou un autre produit afin que nos joueurs ne soient pas dans toutes les conditions pour le match. C’est drôle, car deux ans après dans un derby des équipes les plus fortes, l’un d’entre eux a dénoncé ce même fait … alors j’ai l’intuition que ce devrait être une technique courante dans ce pays. » Pedro Gomez et la découverte des traditions régionales.
En novembre 2010, les bancs de l’école lui offrent pourtant une opportunité unique. Sa proximité avec le fils de Calderon combinée à sa réputation grandissante lui permettent de rejoindre le staff de l’argentin lors de sa nomination chez les géants d’Al Hilal en Arabie Saoudite. C’est la première fois que Pedro Gomez est nommé dans cette partie du monde, une région qu’il apprendra à aimer. Il devient un homme de confiance de Calderon et les résultats sont là. Avec Al Hilal ils sont champions en étant invaincus et gagnent aussi la Cup. S’ensuit plusieurs expériences plus au moins réussies et le duo parcourt la péninsule arabique. Baniyas, la sélection du Bahrein puis le Real Betis font appel à l’Argentin et Pedro gagne en importance dans le staff, il devient aussi analyste vidéo et gère des entraînements tactiques.
2015, les premiers échecs en solo pour Pedro Gomez
Cependant, après un détour par Al Wasl à Dubaï dans un club surtout connu pour avoir été coaché par Maradona le duo se sépare. Calderon accuse même Pedro Gomez de l’avoir trahi. Sauf que le natif de Vitoria qui a tout juste 34 ans a les dents longues et ne veut plus se contenter d’être assistant. Son premier poste surprend, il est nommé dans le board technique de Valence en 2016. C’est un choix porté par Suso García Pitarch. Quelques mois plus tard il quitte ce poste pour sa première expérience dans une D1 en tant qu’entraîneur principal.
« Un entraîneur doit penser positivement et transmettre cette expérience aux joueurs afin qu’ils se rendent compte que travailler est bon et utile pour construire quelque chose. « Même pas 40 ans et Pedro Gomez semble déjà très lucide sur le métier d’entraîneur.
Le club qui fait confiance à Pedro Gomez est : Estoril au Portugal. Le club est relativement modeste et l’objectif n’est que le maintien en D1. Cependant le style de jeu du basque semble trop ambitieux et cela ne prend pas. Après moins de 15 matchs il est licencié. La forme d’Estoril était trop mauvaise et ce n’est pas sa qualification pour les demi-finales de Taca qui aura sauvé la place de Pedro. Beaucoup expliquent la non-réussite de l’Espagnol au Portugal par de la mal-chance et des blessures importantes. Même si le basque a concédéil est vrai qu’il n’a pas été aidé par les événements, il assume qu’il a d’abord pensé au jeu avant de penser aux résultats et que c’était une erreur. Après cette expérience en demi-teinte, sa future destination surprend encore. Lors de l’année 2017 il est nommé directeur technique à Murcia alors en Segunda.
L’expérience riche et transversale de Pedro Gomez Carmona pour enmener le Bahreïn au mondial 2022 ?
Lors de sa nomination le basque se veut ambitieux. Il détaille même ses taches lors de sa première conférence de presse : « Mon travail consiste à coordonner toute la structure du club, de la première équipe aux enfants. Nous allons donner au club des outils qu’il n’avait pas. Nous n’avons pas encore décidé du nombre de signatures ni de la manière dont nous allons procéder. Le marché nous dira ce que nous devons faire. S’il n’y a rien qui améliore l’équipe, il n’y aura pas d’incorporation « . Cette nomination arrive en janvier 2018, moins de 3 mois plus tard Carmona est pourtant déjà poussé vers la sortie. Ce qui lui permettra de rejoindre l’un des projets les plus ambitieux de sa jeune carrière : structurer tout le football bahreïni en étant nommé à la tête d’East Riffa.
« J’aime beaucoup les équipes de Bielsa » Pedro Gomez Carmona
Le profil de l’espagnol plaît beaucoup aux dirigeants du club et surtout à la fédération pour plusieurs raisons. Tout d’abord il connaît tout ou presque du fonctionnement d’un club. Pedro peut discuter tactique, préparation physique mais aussi gestion et transfert. Un CV déjà très conséquent qui lui a permis de devenir un manager à l’anglaise dans ce club vieux de 60 ans mais avec une étagère à trophées peu remplie. Lors de sa présentation, Gómez Carmona se veut déjà audacieux et parle de laisser un « héritage » au club et au pays.

Il explique : « Je souhaite utiliser mes connaissances et mon expérience du football pour mettre en œuvre de nouvelles méthodes de travail susceptibles d’améliorer et de donner une nouvelle dimension au club ». Le basque rajoute « Je ne vais pas seulement assumer les tâches d’entraîneur, mais aussi organiser la structure de l’institution en tant que manager« . Il poursuit : « La première chose à faire est de professionnaliser le club, d’importer la méthodologie européenne et de la transférer à Bahreïn, puis de l’inculquer de bas en haut. Nous voulons être un exemple de professionnalisme dans tout le pays pour voir si nous pouvons nous habituer à cette méthode et en obtenir les résultats. Nous pensons qu’à moyen et long terme, nous pouvons être parmi les premiers et gagner quelque chose ».
Pour Panenka, Pedro Gomez a détaillé ses influences et son projet de jeu. Un discours complet sur sa vision du football. « L’une des premières choses auxquelles j’ai pensé, que j’ai réellement développé, était un projet de mon propre modèle de jeu, de formation et de gestion d’équipe. Il contient plus de 400 diapositives et 600 vidéos éditées. Je voulais capturer sur papier, dans ce cas les diapositives Powerpoint, tout ce qui est ma philosophie du jeu à chaque phase et à chaque moment du jeu, en fonction de l’emplacement de la balle, de la position de l’adversaire, etc. Et je le dis toujours, dans le football tout a déjà été inventé. Ce que vous pouvez faire, c’est l’améliorer, comme l’a fait Guardiola avec la philosophie de Cruyff et de la Hollande, en l’amenant à la perfection. Comme je ne peux rien inventer, je peux prendre ce que j’aime le plus, ce qui marche le mieux, et l’adapter à ma façon de penser et de regarder le football. J’ai pris les entraîneurs que j’ai les plus aimés et les équipes que j’ai les plus aimées et j’ai dit: « Regardez, l’équipe qui contre attaque le mieux, c’est le Madrid de Mourinho ». Je vais étudier comment ils le font. J’ai analysé des milliers de buts, de matches, de ces phases du jeu du Real Madrid et à partir de là, j’ai pris des exemples de réussite pour ensuite les entraîner à l’entraînement et les répéter avec mon équipe. C’est ainsi que j’ai commencé l’attaque combinée avec le Barça de Guardiola, Unai Emery sur des phases, Marcelo Bielsa avec un jeu vertical, Cholo Simeone sur un bloc défensif. Je prenais de chaque entraîneur ce que j’aimais le plus à ce moment-là. Par exemple, de Manuel Pellegrini, j’ai aimé la ligne défensive dans le dernier tiers, avant que le ballon n’atteigne la surface, ils sont restés alignés, tous ensemble, avec marquage homme à homme. Ce n’est pas que j’ai une référence particulière, mais j’en ai plusieurs dans chaque aspect du jeu. »
Un cerveau qui doit infuser à East Riffa pour ensuite contaminer tout le pays ?
Comme Ruben de la Barrera en Espagne ou Nagelsmann en Allemagne, Pedro Gomez Carmona représente parfaitement cette nouvelle vague d’entraîneur très jeune mais déjà hautement qualifié qui ont combinés des études universitaires avec un cursus d’apprentissage du métier d’entraîneur un peu plus classique. Surtout que comme le dit Pedro Gomez : « À ce jour, nous ne sommes pas conscient de la formation des techniciens espagnols. Je ne dirai pas qu’ils sont les meilleurs, mais ce sont les meilleurs. Lorsque vous travaillez avec un entraîneur espagnol, vous le différenciez rapidement dans l’entraînement, sur le terrain, en ce sens que vous avez un autre type d’entraînement et que l’équipe fonctionnera d’une manière différente, s’entraînera différemment et que tout est contrôlé de manière différente. Il est vrai qu’à l’époque, la Roja nous a beaucoup aidé en gagnant en 2008, 2010 et 2012; c’est un excellent outil de marketing pour tous les entraîneurs et joueurs espagnols. »

Son arrivée à East Riffa est un test grandeur nature pour évaluer si les footballeurs du Bahreïn sont capables d’apprendre et de progresser sous les ordres d’un entraîneur qualifié hautement compétent. Il a par la suite détaillé encore plus son projet :« Tout d’abord, je recherche un changement , sportif et personnel. Mon objectif est que le footballeur de Bahreïn soit meilleur, qu’il ouvre son esprit et son style à de nouvelles idées , qu’il ne se ferme en étant confronté à de nouveaux concepts ». Pour réaliser cela il se base énormément sur l’échange et un discours positif. Après chaque entraînement par exemple, il discute de longues minutes avec son groupe pour faire passer son message mais surtout avoir le retour de ses joueurs et travailler en synergie avec eux et son staff espagnol.
Même si la méthode européenne se heurte à la culture locale, Pedro Gomez reste ambitieux et n’hésite pas à évoquer un avenir radieux pour le football bahreïni. Il évoque régulièrement le Mondial 2022 en parlant d’objectif réalisable même si très ambitieux. Après avoir réalisé le meilleur départ de l’histoire du championnat avec East Riffa, il réussit à caler son nouveau club, qui était habitué à jouer le maintien, proche du haut de tableau preuve de sa compétence. Même si le projet semble très grand, Pedro Gomez qui est le seul entraîneur espagnol de D1 dans le royaume (en plus de tenir un blog sur son quotidien dans le golf dans Marca) veut réussir à inspirer tout un pays qui n’a jamais rien gagné hormis une édition des Jeux Panarabes, alors rendez-vous en 2022.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13