Hier, l’Athletic Club a élu son nouveau président : Aitor Elizegi, vainqueur avec moins d’un demi pour cent d’avance sur son rival. Avec lui, les principes historiques du club pourraient changer.
L’Athletic Club suscite l’admiration du monde entier. Dans le monde globalisé, sa philosophie de n’aligner que des joueurs basques ou formés aux Pays basque détonne. Et c’est même plus, on applaudit cette manière de faire. D’ailleurs, c’est peut-être le seul cas de nationalisme unanimement loué… Outre cette particularité, l’Athletic présente une autre caractéristique quasiment unique, celle d’être l’un des quatre clubs espagnols (avec les deux géants et Osasuna) détenu par des socios, qui en élisent chaque quatre ans le président. Hier, ils socios ont voté. Voté le changement même.
D’un côté de la liste, Alberto Urribe-Echevarría, ancien trésorier du conseil d’administration du président sortant Josu Urrutia. De l’autre, Aitor Elizegi, 52 ans, cuisinier réputé au Pays basque, nouveau venu dans le monde du football. Choisir entre la continuité ou le changement, telle était la tâche des socios de l’Athletic. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le scrutin n’a pas passionné les foules. D’une part, faire déplacer les gens aux urnes en semaine, entre les Fêtes, ce n’était pas l’idée du siècle (peut-être était-ce une manœuvre politique…). D’autre part, aucun des deux candidats ne faisait réellement rêver.
En plus de bénéficier du soutien du très influent parti nationaliste basque, Urribe-Echevarría présentait l’avantage d’avoir participé aux belles années du club depuis 2011 : finale d’Europa League avec Bielsa, victoire d’un titre avec Valverde, participation régulière aux Coupes européennes, entrée dans le nouveau San Mamés, ventes records de joueurs formés au club, santé économique. Malheureusement pour lui, tout cet héritage a été terni par le bilan des deux dernières saisons. L’Athletic est englué dans le bas du classement, a raté de gros transferts, et le silence de San Mamés reflète un désenchantement total. Du côté des équipes de jeune, la donne n’est pas radieuse non plus. Certains clubs de la région les battent régulièrement en championnat, avec bien moins de moyens.

Comme souvent, l’ambiance du moment est déterminante. Le passé n’est pas aussi glorieux que le présent est médiocre. Alors, les bazkide (socios en basque) ont condamné les gens au pouvoir en votant Aitor Elizegi, le cuisinier. Plus que sur un programme (les programmes n’étant vraiment pas le point fort de cette élection), les socios ont jeté leur dévolu sur des noms. Dans ses promesses, Elizegi avait prévu de nommer Rafa Alkorta au poste de directeur sportif et Andoni Ayarza à celui de secrétaire technique. 454 matches sous le maillot de l’Athletic et de l’Athletic B, ça pèse lourd dans la balance. Placer une légende du club comme Rafa Alkorta au sein de son organigramme est un argument de poids. Qu’importe si ce dernier n’a aucune expérience dans la direction sportive… « On veut essayer que le Bilbao Athletic continue à produire des joueurs pour l’équipe première, et si possible, le faire monter en D2. Avoir de bonnes relations avec les clubs de Bizkaia car on dépend d’eux, et améliorer des choses à Lezama [le centre de formation ndlr.] résume le nouveau DS.
Ce mouvement est tout aussi réussi qu’astucieux. S’afficher aux côtés d’un homme connu et respecté, c’est obtenir une légitimation nécessaire : car Elizegi fait un peur peur aux bazkide. Sa réflexion autour du fait de permettre à des descendants de Basques de jouer pour l’Athletic est perçue comme une menace pour la philosophie du club. On pourrait tout à coup voir des Argentins ou des Vénézuéliens vêtir le maillot rouge et blanc. Pour le nouveau président, ce n’est pas un problème. « Un jeune qui atterrit à 17 ans au Pays basque, les dirigeants actuels estiment qu’il rentre dans la philosophie. Mais le fils deux Basques de l’Athletic en Idaho, il ne peut pas jouer à l’Athletic » s’insurge-t-il avant de s’interroger. « Qui suis-je pour dire que ces gens ne sont pas basques ?«
Cette réflexion a trouvé un certain écho chez les électeurs : on accuse l’ancien président d’avoir toléré la présence d’étrangers dans les catégories de jeunes du club. Des étrangers qui vivent au Pays basque, conformément à la doctrine du club, mais des étrangers quand même. Finalement, la question à se poser est « quel type de Basques peuvent jouer à l’Athletic ? ». Qui faut-il accepter, qui faut-il exclure ? C’est en être réduit à définir ce qu’est un Basque et ce qu’il n’est pas. On retombe dans les vices du nationalisme.
Sur fond de ce débat très clivant, le début de mandat d’Elizegi promet d’être mouvementé. À part professionnaliser la structure de formation et de captation des talents, ce qui supposerait un grand coup de balais, rien n’est très clair dans son programme. Le cuisinier est très mécontent de la situation actuelle, mais plutôt que des mesures fortes, ses propositions consistent surtout à réfléchir : réfléchir autour de la philosophie, de la création d’un groupe d’animation homogène à San Mamés comme à Anfield, réfléchir à devenir plus fort économiquement en exploitant la marque Athletic. Autre idée, pas sure de pouvoir être menée à bien, supprimer les clauses libératoires dans les contrats des joueurs. Défendre les couleurs l’Athletic doit être la priorité absolue des membres de l’équipe.
Intelligent, Elizegi a exprimé à plusieurs reprises sa volonté d’écouter la voix des socios. C’est eux qu’il consultera à propos de la ligne directrice. « La philosophie de l’Athletic est écrite par les socios, pas par Aitor Elizegi » a-t-il rassuré. Sur le papier, c’est une sage décision. En pratique, elle devrait s’avérer très compliquée à mettre en place. La base électorale est complètement disjointe : schématiquement, les jeunes ont voté Elizegi, les plus vieux Urribe-Echevarría, 85 voix d’écart séparent les deux camps, l’entrepreneur n’a même pas obtenu le 50% des voix et l’abstentionnisme a été massif (46%). L’opposition promet d’être forte.

L’Athletic est à un moment charnière de son histoire. Tout en résolvant ses problèmes sportifs et identitaires, il doit commencer à générer des revenus qui ne dépendent pas de sa participation aux compétitions européennes. Les pertes ne peuvent pas être couvertes par un riche propriétaire, comme dans les autres clubs. Un pari compliqué, quand on sait que l’Athletic est le club le plus local qui soit, ce qui rend difficile le développement de sa marque. De plus, Elizegi ne dispose pas de l’assise financière de son adversaire. Ce dernier se targuait de pouvoir bénéficier de 300 millions dont disposait le club, alors le nouveau président n’aura accès qu’à 76 millions d’entre-eux. C’est la règle pour tout nouvel arrivant au sein de la structure du club.
Peu enthousiastes, plus désunis que jamais, les socios sont en train d’accepter le verdict. Du côté de Bizkaia, on a conscience désormais de tous être dans le même bateau. « Ce sont les votes qui sont divisés, pas les socios » tempère Elizegi, pas vraiment convaincant. En attendant, ce qui est sûr de rassembler tout le monde, ce sont les blagues autour du cuisinier devenu président. « Il va laisser brûler le club », « l’ancien président est tout content, il aura des tapas gratuites en loges », « du coup, le cuisinier va engager Raúl García comme boucher ? ».
Elias Baillif (Elias_B09)