Il était annoncé comme un crack du FC Barcelone et les compilations de ses plus beaux gestes techniques défilaient déjà sur YouTube. Des faux airs de Neymar, une patte gauche soyeuse et une vitesse de feu, Jeffren avait tout pour devenir une légende vénézuélienne, seul pays sud-américain où le football est relégué derrière le baseball ou le basket. Une étincelle qui s’est très vite éteinte : dix ans plus tard, la carrière de Jeffren n’a finalement été qu’un feu de paille.
Souvenez-vous, c’était le 29 novembre 2010. Les grandes heures du football espagnol sur Canal+ et une manita définitivement entrée dans l’histoire des Clásicos. 5-0, le Barça de Pep Guardiola vient d’humilier son rival madrilène. Le football de possession est alors à son apogée, écrasant la rigueur défensive incarnée par l’entraîneur merengue José Mourinho. Côté buteurs, Xavi, Pedro et David Villa par deux fois, avant qu’un petit produit de la Masia ne vienne clore le spectacle. Rentré à la 87ème minute, il vient couper le centre à ras de terre de Bojan Krkic pour parachever le succès catalan et faire exulter les 99 000 spectateurs du Camp Nou. Son nom ? Jeffren Suárez Bermúdez.
Adoubé par Guardiola
Dans le sillage des Bojan, Isaac Cuenca, Giovani Dos Santos ou dernièrement Munir El-Haddadi, Jeffren fait partie de cette longue liste de talents issus de la cantera qui n’ont pas réussi à percer au plus haut niveau. Né au Venezuela mais ayant grandi aux îles Canaries (il est d’abord formé à Tenerife), Jeffren rejoint la Catalogne à 16 ans. Fin, rapide et doté d’un crochet ravageur, l’ailier a autant de mal qu’Ousmane Dembélé à choisir entre son pied droit et son pied gauche. Toutes ces qualités séduisent d’emblée son formateur de l’époque, Guillermo Hoyos : « Jeffren est très puissant, il est déséquilibrant des deux pieds et il est polyvalent, puisqu’il peut jouer à différentes positions sur le terrain. Il est de plus en plus fort de jour en jour et si son évolution continue, nous sommes devant un grand joueur, qui peut prétendre à l’équipe première. Il est sur le chemin du succès ».

Hoyos ne croit pas si bien dire. Le 25 octobre 2006, tout juste majeur, Pep Guardiola lance Jeffren dans le grand bain en Coupe d’Espagne contre le CF Badalona, remplaçant à la 83ème minute un certain Javier Saviola. L’actuel technicien citizen, séduit par son profil, lui offre ensuite un rôle de complément derrière Messi, Henry ou Pedro sur les ailes du 4-3-3. Mais petit à petit, comme son compère Bojan, le ciel s’assombrit pour le petit numéro 11, contraint de grignoter les miettes laissées par les superstars offensives. Cinq saisons et trente apparitions plus tard, il est fort logiquement poussé à aller grappiller du temps de jeu ailleurs.
Voyage aux quatre coins de l’Europe
À l’heure du rebond, Jeffren ne manque pas de sollicitations. On parle d’offres à hauteur d’une dizaine de millions d’euros venant de Liverpool ou d’Arsenal. Lui choisit le Portugal en 2011 et le Sporting CP. Un club habitué à faire éclore de jeunes pousses, voilà de quoi booster la progression du gamin de Ciudad de Bolivar. Conscient du potentiel du prodige, le Barça se garde d’ailleurs une clause de rachat de 12 millions d’euros. Mais de l’autre côté de la Raya, Jeffren peine à convaincre : 39 matchs en deux saisons toutes compétitions confondues pour cinq buts et une passe décisive, le bilan comptable est bien maigre. Indésirable chez les Leões, il enchaîne ensuite les expériences infructueuses : au Real Valladolid d’abord puis au KAS Eupen en Belgique, avant d’atterrir finalement du côté des Grasshoppers de Zurich. Sans jamais vraiment convaincre nulle part…
Comment expliquer qu’un aussi grand espoir ait effectué cette carrière en decrescendo ? D’abord, il y a les blessures qui bercent toute la carrière du Vénézuélien. Continuellement déficient à la cuisse gauche, Jeffren pâtit de son incapacité physique à enchaîner les matchs à haute intensité, là où son jeu est basé sur la vélocité et l’explosivité. Ajoutez à cela une alimentation loin d’être irréprochable, comme il l’avouait lui-même dans une interview à Marca. Problématique pour un sportif de haut niveau, et autre point commun avec Ousmane Dembélé, souvent tancé à cause de son attirance pour les fast-foods.
L’âge de la maturité ?
L’an dernier, le numéro 16 renaît pourtant du côté de la Suisse. Six buts, cinq assists et une faculté à percer les défenses retrouvée, il conquiert en quelques mois le coeur des fans des Sauterelles. Une belle année amenée à en entraîner une autre ? À l’aube d’une nouvelle saison, il ne manque en tout cas pas d’afficher ses ambitions dans les colonnes de Marca : « Je me suis bien adapté au club, j’ai réalisé une bonne saison et j’apprécie ma vie ici. L’année a été très bonne physiquement et techniquement. Si une offre intéressante se présentait, il faudrait que j’y réfléchisse, mais pour l’instant, il n’y a rien sur la table. Je suis serein, j’ai un contrat avec Grasshopper pour une autre année. »

Bien qu’il joue régulièrement cette saison (10 apparitions en 17 journées), Jeffren peine de nouveau à se montrer décisif. Un seul petit but en Coupe, aucun en championnat, voilà pour les statistiques. Il est même retombé dans ses travers physiques, manquant cinq matchs à cause de divers pépins sans gravité. Et avec une avant-dernière place au classement (malgré un écart de points infime entre toutes les formations), nul doute que les hommes de Thorsten Fink auront besoin de toutes leurs armes pour assurer la survie dans l’élite du club le plus titré du football suisse.
En sélection, quand bien même la concurrence n’est pas des plus rudes, le Venezuelo-Zurichois ne s’impose pas non plus. Alors qu’il participe à toutes les équipes de jeunes espagnoles et refuse d’intégrer la sélection vénézuélienne, il se rétracte et opte pour sa terre natale en 2015. Jeffren n’a pour autant été appelé que quatre fois depuis et sa dernière convocation remonte à mai 2016 au Panama (match nul 0-0). En club comme en sélection, la carrière de Jeffren laisse donc un goût amer et un sentiment d’inachevé. Mais d’un autre côté, trois Liga, une Copa del Rey, une Ligue des Champions, une Coupe du Monde des Clubs, une Super Coupe d’Europe et deux Super Coupes d’Espagne, joli CV pour un joueur aux oubliettes, non ?