Nader Matar est un ailier plutôt talentueux de 26 ans. Balle au pied il est soyeux, élégant même, cependant son histoire est sinueuse . Il est un des membres importants de la sélection et a vécu deux super parcours avec les Cèdres, le surnom de l’équipe nationale libanaise. Cependant Matar a aussi bourlingué, vécu des scandales, connu 5 pays et 7 clubs. Portait en miroir d’un footballeur libanais avec son pays, et au milieu un peu d’Espagne.
Nader Matar a 19 ans quand son histoire bascule une première fois et le rapproche de son Liban. Le natif d’Abidjan d’une mère marocaine et d’un père libanais reçoit une convocation pour être sélectionné avec les Cèdres. C’est le formidable travail de scouting orchestré par Théo Buncker le sélectionneur du Libanais à cette période qui va permettre au jeune ailier alors en D5 espagnole de vivre la première période dorée libanaise depuis un moment. Une période courte qui s’est refermée brusquement et qui a de nouveau renvoyé le football libanais six pieds sous terre. Retour sur le parcours sinueux de Nadar entre Angola, Portugal, Espagne et Liban.
Le Portugal, le Ghana et l’Espagne : le long chemin du professionnalisme pour Matar
Les premières années de footballeur de Nader Matar sont floues. On le trouve un peu partout mais son nom ne fait jamais les gros titres. Il serait passé par les jeunes d’Alcorcon, du Sporting Portugal avant de poser ses valises dans un petit club portugais. Ensuite on le retrouve à l’Atletico C et à Canillas. C’est là dans le club où les stars du Real mettent leurs bambins à taper leurs premiers ballons que les performances de Nader Matar vont pour la première fois faire parler. On l’annonce même proche du Castilla. C’est aussi dans la capitale madrilène en D5 qu’il jouera son premier match avec les Cèdres face à l’Iraq. A Madrid on aime son style, provocateur et volontaire. L’ailier court beaucoup, tire bien les coup-francs et a un sens aiguisé du dribble. Cependant on le remarque mais rien de plus arrive pour Matar.
Nader Matar devient le symbole avec d’autres d’une sélection qui se veut enfin ambitieuse qui se met à se tourner vers ses expatriés pour réussir. Le niveau du championnat local est très faible et sa gloire de la fin des années 90 et débuts des années 2000 est passée. A cette période, les grands noms se sont succédés au Liban, des garçons comme Pierre Issa qui jouera à l’OM ou encore Mohamed Kallon ont foulé les pelouses du micro état. On dit souvent que le football est le miroir de la société, et le Liban ne fait pas exception à l’adage.

Dans ce qui a été durant longtemps la discothèque du Moyen-Orient, chaque club est rattaché à une minorité religieuse et donc un parti politique. La société libanaise est fracturée et un nombre incroyable de cultes sont reconnus et ont voix au chapitre. En 2007, alors que le Liban est au plus bas, les supporters sont interdits dans les stades par peur de débordements religieux. Les problèmes sociétaux ont rongé le football libanais qui n’a plus d’argent et aucune assise locale. Au Liban il est bien plus facile de voir les championnats étrangers et il est impossible de trouver un maillot d’une équipe locale. On vient au stade pour soutenir le parti politique qui lui est affilé, pas pour l’amour de l’équipe.
L’âge d’or footballistique du Liban et la chute violente
Quand il reçoit sa pré-convocation, la première, Nader Matar est loin du tout ça. Lui le natif d’Abidjan qui a grandi en Angola en grande partie, n’a pas connu le football libanais et a été préformé dans plusieurs clubs angolais. Le projet de Buncker en tant que sélectionneur du Liban est simple : s’appuyer sur la diaspora libanaise qui compte plus de 10 millions de membres dans le monde. Nader n’est pas le plus attendu, l’appel de Abbas Hassan est celui qui suscite le plus de fierté par exemple.
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La carrière de Nader décolle un peu avec cette sélection. Il quitte Canillas et signe en D1 au Ghana. La destination est certes exotique mais lui permet de découvrir la première division. Dans le même temps les cèdres vivent leurs meilleurs moments et sont un tube en Asie. Après une campagne de qualification désastreuse pour la Coupe du Monde 2010, cela se passe beaucoup mieux pour celle de 2014. Le Liban va atteindre la dernière phase de qualification, mais échouer assez bizarrement à se qualifier.
« Quand je vois que les joueurs des équipes adverses viennent au stade avec les dernières voitures de sport alors que les miens arrivent en scooter ou en bus de transport public, je suis fier de ce qu’ils arrivent à faire sur le terrain.’’ Théo Bucker
Les Cèdres de Matar vont battre la Corée du Sud et l’Iran notamment. Pourtant le Liban ne réussira pas à se qualifier pour la Coupe du Monde 2014. Ce n’est pas une surprise dans le fond et la tendance est à l’optimiste au petit pays, surtout que les spectateurs du stade Camille Chamoun de Beyrouth ont arrêté les slogans politiques au stade et se mettent petit à petit à soutenir leur équipe. Cependant tout va basculer rapidement et le football au Liban va régresser.
Retour à la réalité
La sentence tombe et le Liban retourne dans ses turpitudes habituelles. Dans ce petit état du Moyen Orient, frontalier de la Syrie et d’Israël il est préférable de connaître quelqu’un de haut placé pour réussir à passer sans encombres les différents barrages routiers. La corruption est monnaie courante et paralyse tout le pays. Le football qui semblait sortir des décombres pour se restructurer va retomber dans ses travers. Après une prestation assez bizarre dans un tournoi amical en Arabie Saoudite, les mots sont lâchés : « Le Liban a truqué des matchs« . Cela concerne même des matchs officiels de qualification à la Coupe du Monde 2014 dont un face au Qatar.

Ramez Dayoub et Mahmoud El Ali sont bannis à vie. Théo Bucker l’homme qui avait permis aux Cèdres de grandir réellement se sent blessé, lâché par ses protégés et finit par quitter son poste de sélectionneur . Le trouble est jeté sur tout un groupe. Le Liban régresse d’un coup et quitte le top 20 asiatique. Les joueurs présents lors de cette période noire ne vont plus être appelés durant un moment.
Cap sur la AFC Asian Cup pour Matar et le Liban
La période où le Liban est au plus mal sur la scène asiatique et mondiale coïncide cependant avec un nouveau tournant dans la carrière de Matar. Alors au Ghana, il rejoint la D2 portugaise et Beira Mar. Mais là aussi, ses apparitions sont fugaces et il a toujours autant de mal à enchaîner. A l’image de sa sélection, il perd un peu le fil et il va vivre des années blanches. Celui qui a donné de nombreuses primes de match aux nécessiteux libanais lors de la bonne période des Cèdres ne voit plus le bout du tunnel.
En 2016 Nader Matar voit sa carrière de nouveau basculer. Il rejoint Nejmeh au Liban, un des clubs phares du championnat semi-pro local qui appartient à la famille des hauts dignitaires et hommes d’affaires libanais Hariri. Là bas il fait parler sa technique apprise dans les différents centres de formation européen et éblouit sur son aile. Ce retour sur le devant de la scène lui permet aussi de retrouver la sélection.
Les Cèdres se sont stabilisés, Giuseppe Giannini qui avait remplacé Théo Bruncker et bricolé durant la période de trouble de la sélection a été remplacé par Miodrag Radulovic. Certains bannis de la fin de période Bruncker sont de retour et le Liban retrouve quelques couleurs. Le point d’orgue pour Matar et les Cèdres sera la qualification pour la prochaine AFC Asian Cup, le championnat des nations asiatiques qui se déroulera en janvier 2019 en plus de l’entrée de la sélection dans le top 100 du classement FIFA.

C’est la première fois de leur histoire que les Cèdres sont arrivés à ce stade de la compétition en suivant le système de qualification classique. En 2000 ils figuraient déjà dans le tableau final mais c’était en tant que pays hôte de la compétition. Cette sélection libanaise 2016 ressemble à celle de Bruncker qui avait fait sensation entre 2012 et 2013 en Asie. C’est un melting-pot entre des joueurs locaux mais aussi des joueurs qui ont été formés et ont évolué à l’étranger. À l’image du Liban, les Cèdres se conjuguent au pluriel et abordent avec confiance ce magnifique objectif qui est de bien figurer dans la compétition. Pour cette trêve, le Liban se déplace pour la première en Australie dans un pays où la diaspora libanaise est importante pour continuer de prendre confiance.
Nader Matar est bien-sûr présent dans le groupe et sera très certainement du voyage à Abu Dhabi en janvier pour le championnat d’Asie. Lui l’homme au parcours sinueux qui s’est construit loin de son pays d’origine mais qui comme beaucoup s’est épanoui en y revenant. Nader n’a que 26 ans, et a de quoi espérer d’autres rebondissements dans une carrière déjà très riche. Affaire à suivre.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13