Avec Santiago Solari, Florentino Pérez a-t-il enfin trouvé son Arsène Wenger ?

Analyse En avant Liga Santander Real Madrid

C’est peut-être bien le dernier rêve inassouvi de Florentino Pérez : voir Arsène Wenger sur le banc du Real Madrid. La fidélité du coach alsacien à Arsenal a rendu la chose impossible pendant deux longues décennies. Au cours des trois dernières saisons, l’omnipotent président merengue s’est rendu compte d’une chose : il a eu de la réussite au pied du mur en ce qui concerne ses entraîneurs. Après Zinédine Zidane, pourquoi pas Santiago Solari ? Et ça tombe bien, l’Argentin nourrit une certaine admiration pour Arsène Wenger.

Entre 2007 et 2015, Santiago Solari a écrit de manière plus ou moins régulière dans les colonnes du quotidien espagnol El País. Au total, 135 articles dans lesquels l’Argentin analyse le football mondial mais aussi ses sensations de joueur. Parmi les entraîneurs qui l’ont manifestement marqué, Arsène Wenger figure en bonne place aux côtés de Pep Guardiola, Marcelo Bielsa et Claudio Ranieri. « Au-delà des discussions conceptuelles, ce qui m’a toujours le plus fasciné tout au long de ma carrière, c’était l’observation des méthodes choisies par les entraîneurs pour essayer de transmettre leurs idées » écrit-il en mars 2011. « J’ai connu deux grandes classes de bons entraîneurs : ceux qui croient en leurs systèmes et ceux qui croient en leurs joueurs ». Davantage que les trois derniers cités, l’emblématique coach d’Arsenal semble le plus à même d’inspirer Solari dans sa périlleuse mission.

A défaut de l’original, un disciple ?

Florentino Pérez a toujours rêvé d’installer Arsène Wenger sur le banc du Real Madrid. Sans succès. A plusieurs reprises, le mariage a failli être conclu. Mais à chaque fois, le coach est resté à Londres, au sein d’un club qui était devenu sa maison. La stabilité dont il bénéficiait, son pouvoir au sein du board et son aura en Angleterre ont été des valeurs essentielles pour ne pas devenir Merengue. Devenir manager du club le plus puissant était tentant. Mais avec Florentino Pérez à la barre, l’aventure aurait-elle duré ? En termes de pression populaire et institutionnelle, le Real Madrid est unique au monde et une saison compte double voire triple. Sur le papier, l’association entre un club bouillonnant, un président lunatique et un entraîneur taiseux et sobre aurait pu constituer un attelage improbable mais peut-être bien équilibré au final. Quoi qu’il en soit, FloPer n’a jamais vraiment renoncé et rien ne dit qu’il ne reviendra pas à la charge en fin de saison. Pour autant, avec Santiago Solari, il pourrait avoir trouvé son Baby Wenger.

Jusqu’à présent, c’est un carton plein pour Santiago Solari. En l’espace de deux semaines, l’intérimaire arrivé du Castilla en catastrophe pour relancer le Real Madrid après la manita du Clásico (5-1) a parfaitement rempli sa mission. Tout va vite dans le football : au soir de la déroute contre le Barça, la Casa Blanca semblait perdue pour le titre ; 15 jours plus tard, ce sont les Blaugranas qui doutent après leur défaite au Camp Nou contre le Betis (3-4) et les Vikingos qui se remettent à espérer en revenant à quatre points du leader honni.

Au cours de ces deux semaines sur le banc le plus instable du monde, Santiago Solari a dirigé quatre matches : deux de Liga, un de Copa et un de Ligue des Champions. Bilan : quatre victoires. Au-delà des chiffres, on peut constater qu’à priori, l’Argentin est dans le même cas de figure que Zinedine Zidane au moment de sa prise de fonction en janvier 2016 : proche des joueurs, davantage dans le management que dans la tactique pure, proposant un jeu plus axé sur la contre-attaque que sur la possession. Un virage à 180 degrés par rapport à Julen Lopetegui… Pour l’instant ?

Wenger, inspiration constante de Solari

Au cours de ses années à écrire dans El País, Santiago Solari a eu l’occasion d’évoquer les personnages qu’il a côtoyés ou analysés avec son œil de joueur professionnel talentueux. Et c’est peut-être du côté d’Arsène Wenger qu’il faut aller voir pour trouver la meilleure inspiration du Merengue. En effet, l’Argentin dispose du terreau idéal pour établir les bases de son leadership de coach en devenir : un nouveau cycle, des joueurs expérimentés pour le cadre et des jeunes pousses pleins d’envie, désireux de forcer la porte (Sergio Reguilón, Álvaro Odriozola, Jesús Vallejo, Javi Sánchez, Dani Ceballos, Marcos Llorente, Vinicius Jr). Chez les Gunners, Wenger a toujours su réaliser ce melting-pot générationnel.

Si ses dernières années ont été plus chaotiques et que les critiques ont été nombreuses, son Arsenal n’a jamais renoncé à sa philosophie et n’a jamais corrompu son idéal de vouloir jouer au ballon. Malgré une fin de son mandat pas au niveau des sommets atteints, notamment par les Invincibles, Wenger demeure une référence du beau jeu au XXIe siècle. « La philosophie de travail de Wenger n’a pas besoin qu’on la défende » répond Solari dans une interview face aux lecteurs d’El País en mars 2011. « Elle s’explique facilement par elle-même sur le terrain depuis de nombreuses années. Arsenal n’est pas seulement une équipe qui fait quasiment toujours plaisir à voir ; en plus, depuis que Wenger est aux commandes, le club a gagné des choses importantes. Tout cela avec des budgets qui n’ont rien à voir avec d’autres clubs anglais et du reste de l’Europe. Il y a aussi un travail de formation qui ne doit pas être sous-estimé ».

Confirmé dans ses fonctions avec un contrat portant jusqu’en 2021, Santiago Solari a l’occasion de mettre en pratique ce qu’il a admiré par le passé. Cependant, en a-t-il les moyens ? Combien d’entraîneurs ont mis de côté leurs idées pour parer au plus pressé ? Or, au Real Madrid, l’Argentin n’a pas l’excuse du budget et de la matière première : il a ce qui se fait de mieux au monde, y compris dans les infrastructures et le centre de formation.

Arsenal, la synthèse des influences de Solari ?

La philosophie d’un entraîneur novice est souvent la somme de son apprentissage appliquée à la réalité des ses nouvelles fonctions. En l’espèce, Santiago Solari, joueur délicat mais qui aurait pu avoir une carrière plus significative, a été à bonne école. La difficulté réside désormais à adapter l’enseignement au terrain, entre volontés dirigistes et libertés créatives. Dans l’article intitulé « Sur les idées et les méthodes » paru en mars 2011, sa période la plus fertile sur le plan littéraire, Solari distingue deux catégories d’entraîneurs qui ont pu le marquer.

Dans la première entrent Marcelo Bielsa et Claudio Ranieri. « Ils organisent une structure verticalista : ils ordonnent, unifient, automatisent. L’objectif principal est d’essayer de réduire au strict minimum la quantité d’erreurs. Leurs façons de procéder s’articulent autour d’un grand interventionnisme tactique, un énorme effort pour prévenir et contrôler tout ce qui peut arriver pendant un match. Bien qu’ils aient des vocations différentes, Bielsa et Ranieri font partie de cette catégorie. Bielsa dédiait son énergie pour systématiser l’attaque ; Ranieri se concentrait sur la défense ».

Dans la seconde entrent Vicente del Bosque et Ramón Díaz : « ce sont des entraîneurs qui ont foi en leurs joueurs et leur autorisent une marge de liberté et transitent par des chemins plus hétérodoxes. Plutôt qu’imposer un ordre prémédité, ils cherchent à modeler peu à peu un schéma qui respecte les caractéristiques naturelles des joueurs. En général, il résulte que les entraîneurs qui préfèrent ce type de manières sont des hommes plus négociateurs. Ils essaient de guider et de convaincre. Ils activent l’auto-estime en tolérant des espaces de liberté pour que les joueurs développent des initiatives individuelles. C’est à travers ces espaces de non-interventionnismes que surgit la créativité ».

Et si finalement Arsène Wenger était la synthèse de ces deux mondes ? Rigueur tactique et libre création ont été les deux piliers de la réussite d’Arsenal. Un match en particulier semble avoir marqué Santiago Solari quant au management du Français : la défaite 3-1 d’Arsenal contre le Barça de Pep Guardiola en 2011 en Ligue des Champions. La postulat de départ est simple : comment une équipe privilégiant la possession peut-elle survivre face au paradigme du football de possession ? Malgré le résultat, il semble que l’Argentin a beaucoup appris du comportement tactique des Gunners. « Comment faire pour conserver mon identité si on me dépossède de l’élément qui me définit ? C’est l’énigme qu’a dû résoudre l’entraîneur français. Face au travail titanesque pour surmonter le Barça chez lui et avec le poids de l’expérience de l’année précédente, le regard de Wenger s’est éloigné du conceptuel pour se recentrer sur la tactique. Il a assumé le fait qu’il n’aurait pas le contrôle du ballon et, compte tenu des souffrances passées, il a essayé d’adapter son schéma ».

La manière choisie par Wenger est riche d’enseignements au moment où Santiago Solari vient d’être nommé à la tête du Real Madrid jusqu’en 2020. « Au-delà de l’évidente mise en garde, Wenger a opté pour des joueurs créatifs et a aligné d’entrée trois joueurs offensifs de qualité (Van Persie, Rosicky et Nasri), soutenus par trois milieux et une ligne de quatre défenseurs. Le projet n’était pas si fou : exiger l’attention des ailiers lors des incursions des latéraux et essayer de maintenir une ligne défensive haute. Une fois le ballon récupéré, trouver Nasri et Rosicky pour faire reculer le Barça ». La tentative n’a pas fonctionné puisque les ailiers ont dû jouer en position de latéraux, créant ainsi une ligne de défense de 6. Pour autant, Solari a loué l’intention tactique de Wenger, en regard de ce qui s’était passé la saison d’avant contre ce même Barça. « Arsenal ne perdra pas son essence en attaquant un match d’une forme différence à celle qu’il nous a habitué. Il ne la perdra pas non plus en essayant occasionnellement de s’adapter à des situations spéciales. Au contraire, les systèmes et les idées ne nourrissent et se perfectionnent dans l’exercice de la diversité. Il a perdu l’an dernier avec un alignement plus ouvert (défaite en 1/4 retour 4-1 au Camp Nou après avoir obtenu le nul 2-2 à l’aller, ndlr) et il a perdu à nouveau avec un alignement plus resserré. Cela démontre deux choses : le Barça est la meilleure équipe et Arsène Wenger n’est pas fou ».

Selon toute vraisemblance, Santiago Solari sera un entraîneur transversal, capable à la fois de proposer un style de jeu propre à son équipe, apparemment fondé sur le contre au vu des premiers matches du Real Madrid, mais aussi de s’adapter aux adversaires qu’il estime supérieurs aux capacités de son équipe, à supposer qu’il y en ait une meilleure dans le registre merengue. Cependant, le Casa Blanca n’a jamais été un club d’entraîneurs. Les grandes ères ont toujours été eu des épithètes de joueurs. Vouloir laisser une trace comme coach au Real Madrid relève de la quadrature du cercle. Santiago Solari sera-t-il capable d’insuffler un nouvel esprit aux Vikingos et s’approcher de ce qu’a pu réaliser Arsène Wenger sur le plan de la philosophie de jeu ? L’Argentin dispose de la connaissance théorique ; à lui de la transposer sur le terrain. La tâche est colossale mais incroyablement excitante.

François Miguel Boudet

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