Real Madrid : Borja Gómez et Alejandro Menéndez, anciens de la Maison Blanche dans le tourbillon du football indien

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Alejandro Menéndez et Borja Gómez ont connu les équipes de jeunes du Real Madrid. Le premier était le coach, le second son lieutenant en défense, celui qui stabilisait l’édifice. Tous deux ont fait un long voyage, bien loin de la Casa Blanca : ils se sont retrouvé en Inde. Présentation de deux hommes liés par leur passé merengue et pris dans le tourbillon de la révolution du football indien dans un club mythique. 

En matière de balompié, l’Inde est souvent vue comme un géant endormi de notre côté du monde. Difficile de survivre au pays du cricket ! Pourtant, le football est intimement lié au 2e pays le plus peuplé au monde. Ancienne colonie britannique, l’Inde a très vite découvert ce sport importé par les officiers anglais qui tapaient le cuir sur les places ou dans les casernes. Rapidement, les locaux se sont également mis à jouer et ont fondé les premiers clubs.

De 1950 à nos jours, rien ou presque n’a évolué en matière de football en Inde. La sélection est dans les tréfonds du classement FIFA, aux alentours de la… 150e place. L’unique participation du pays à une Coupe du Monde remonte à 1950 au Brésil. Même si cette qualification avait été acquise principalement grâce à de nombreux désistements, cela aurait pu constituer un point d’inflexion. Il n’en a rien été. Et après une victoire dans les Jeux Asiatiques en 1952, l’Inde est retombé dans un relative anonymat.

L’équipe indienne à la Coupe du Monde 1950 jouait pieds nus.
Crédits : Top Online Bookmakers

Pourtant, comme l’explique le grand Fredrik Ljungberg, l’un des premiers joueurs d’envergure à avoir rejoint l’Indian Super League, l’histoire d’amour entre le football et l’Inde est réelle. Cependant les infrastructures manquent cruellement : « il n’y a presque pas de terrains d’entraînement, alors même si j’ai hâte de jouer à Mumbai (Bombay en français, ndlr), je suis impatient d’aller m’entraîner avec des enfants. J’ai le sentiment que j’ai une grande responsabilité, interagir avec les personnes qui m’ont si bien accueillies ».

A l’époque où l’Inde est sous pavillon anglais, voir des locaux reprendre le sport des envahisseurs est mal vu. Pourtant, jouer au football permet à certaines classes d’Indiens de pouvoir affronter « à armes égales » les anglais. La Durand Cup, plus vieille compétition de football en Asie et la 3e plus ancienne de l’histoire du football, permettait à différents corps armés de s’affronter. Aujourd’hui, elle existe encore mais ce sont les clubs qui ont remplacé les organisations militaires. East Bengal est le club le plus titré dans cette coupe, ex aequo avec son grand rival le Mohun Bagan.

Menéndez – Gómez, nouvelle doublette espagnole d’East Bengal

Le football en Inde est cependant fractionné. Comme aux États-Unis où une multitude de ligues existe sans lien les unes avec les autres. L’I-League, le championnat historique, cohabite avec l’Indian Super League, une ligue clinquante construite il y a 4 ans à coup de millions et avec des ex-retraités en guest stars.

L’ISL et l’I-League ne se tirent pas la bourre car ils sont sur des créneaux totalement différents. L’I-League est un championnat fondé en 2007 qui prend la suite de Ligue Nationale de Football fondée en 1996. Longtemps, il n’y a pas eu de championnat national en Inde. C’est à Calcutta devenu Kolkata où le football a le plus d’emprise. Le derby de Kolkata est l’une des rivalités les plus fortes du pays où s’affrontent Mohan Bagan et East Bengal. Un derby qui se ressemble au Old Firm sur de nombreux points.

Les deux équipes évoluent en I-League et font appel en grande partie à des étrangers pour rester compétitives. Le système de formation n’est pas le plus élaboré et le football est encore et toujours relégué derrière le cricket. A East Bengal, la charnière centrale est par exemple composée d’un Costaricien et de l’Espagnol Borja Gómez. Le coach est aussi un Espagnol, Alejandro Menéndez. Sans être de grandes références, tous deux ont eu un parcours honnête, dans la péninsule et ailleurs.

Avant de partir à la découverte de l’Inde, Borja Gómez était un canterano du Real Madrid. Défenseur de formation, le natif de la capitale a pas mal bourlingué avant de découvrir l’I-League. En Espagne, il n’est pas le meilleur mais passe entre les mains de d’Alejandro Menéndez qu’il a retrouvé au bout du monde.

Borja Gómez n’est pas taillé pour porter la tunique merengue en Liga. Il fait alors le choix de s’aguerrir dans les divisions inférieures et signe en Segunda B à Alcorcón, dans la banlieue de Madrid. Il fait partie de l’équipe de l’Alcorconazo, l’incroyable élimination des Vikingos en 1/16 de Copa del Rey en 2009, notamment grâce à un 4-0 obtenu à l’aller.

« Il me reste l’un des derniers maillots avec lesquels Raúl a joué au Real Madrid. Je garde le souvenir de ce match (le match aller 4-0) pour tous les bons joueurs sur le terrain. Guti, Van Nistelrooy et Raúl lui-même nous avaient félicité, c’était un honneur » Borja Gómez se remémorant l’Alcorconazo

Borja Gómez se fait un nom et est de nouveau courtisé par les Vikingos pour évoluer avec le Castilla. Le défenseur refuse et signe au Rayo Vallecano, alors au plus mal financièrement. Cela se passe mal avec les Franjirrojos. Son coach José Ramón Sandoval ne lui fait pas confiance et les salaires ne sont pas versés. Il quitte alors l’Espagne pour l’Ukraine. A l’Est, il découvre la D1 et l’Europa League au Karpaty Lviv.

Une saison plus tard, il rejoint Granada en Liga. Gómez enchaîne avec notamment un match incroyable face au Barça. Il n’est cependant pas un titulaire indiscutable et descend d’un étage pour gagner en temps de jeu. A Herculés, il subit une longue blessure qui va l’handicaper un long moment. Lugo, Oviedo, Murcia, Logroñés : le central ne parvient pas à se fixer. Alors à 29 ans, pourquoi ne pas tenter l’aventure ? Ce sera donc East Bengal, en I-League.

Alejandro Menéndez formateur de renom

Comme Marcelino García Toral, Benito Floro, Luis Enrique et Abelardo, Alejandro Ménendez est un formateur de Gijón dans les Asturies. C’est en 2004 qu’il a commencé à entraîner une équipe de jeunes du Sporting. A Mareo (le centre de formation local, ndlr), il remporte deux titres et est débauché par le Real Madrid. Après les jeunes de la Maison Blanche, il devient coach de l’équipe B du Celta. C’est en Galice qu’il devient pour la première fois entraîneur d’une équipe fanion et sauve le club de la relégation.

Après cette mission sauvetage, aucun club de Liga ne le contacte et il retrouve les bancs de la B du Celta. Il prend du grade en remplaçant Julen Lopetegui à la tête du Castilla. Menéndez se retrouve avec de l’or entre les doigts : Denis Cheryshev, Nacho, Marcos Alonso ou encore Dani Carvajal. Il reste 2 ans à Valdebebas.En 2013, il est appelé par le Racing Santander pour une nouvelle mission sauvetage. Cette fois, elle échoue et le club descend en Segunda B.

Cet échec le pousse à s’exporter pour toucher les étoiles. Le Burinam United lui offre l’opportunité d’entraîner en Thaïlande et surtout en 1re division. C’est une réussite totale : Menéndez remporte le triplé pour sa première saison hors d’Espagne. Il soulève deux nouveaux trophées avant de démissionner un an et demi après son arrivée. Après un bref passage d’un mois en Chine, il retourne en Espagne au Celta B puis à Burgos. Or, c’est bien en Asie que Menéndez s’est fait un nom. Alors il reboucle son paquetage et signe à East Bengal. Formateur accompli qui peut se vanter d’avoir formé plus de 60 joueurs de Liga, Menéndez veut une nouvelle fois démontrer que la philosophie de jeu espagnole peut s’exporter partout.

East Bengal, la fusion de la I-League et l’Indian Super League

Le football indien est un géant potentiel en construction. Le pays ne dispose d’une ligue professionnelle de football seulement depuis 2007. L’I-League peine à attirer du monde au stade et n’est même pas intégralement diffusé à la télévision. Pire : cette ligue qui s’est dotée de divisions inférieures perd des clubs chaque saison et n’arrive pas à se doter de structures de formation et d’entrainement intéressantes.

East Bengal est un club emblématique mais qui ne fait pas franchement rêver. L’I-League est dans une instabilité chronique et l’argent manque. De nombreux clubs disparaissent régulièrement et le niveau baisse. Le stade de Kolkata qui accueille la plupart des rencontres de football sonne trop souvent creux. East Bengal reste l’un des clubs les plus titrés d’Inde mais son avenir est en sursis.

Menendez, formateur en Espagne, entraîneur à succès en Asie. Crédit : Goal

Le problème majeur, c’est que les Indiens, jeunes ou non, sont des supporters de canapé avant d’être des supporters de stade. Comme en Chine, il est bien plus facile de trouver des maillots de clubs étrangers que des locaux. En 2013, une révolution s’est amorcée avec la création de l’Indian Super League dont le fonctionnement et l’organisation sont totalement différentes de l’I-League, sa concurrente.

Au lieu de vouloir se calquer les championnats européens classiques, l’ISL s’inspire de la NASL des années 80, de la J-League des années 90 ou de la A-League des années 2000. En clair : une ligue fermée, des stars et de l’argent, beaucoup d’argent. Lancée en groupe pompe, soutenue par le géant du deux roues Hero et par une des familles les plus puissantes d’Inde, l’ISL s’est tout de suite imposée comme LA vraie ligue du pays. Les premières signatures sont clinquantes : Robert Pires, Luis Garcia, David Trezeguet sur le terrain, Zico ou encore Peter Reid sur les bancs. La Liga a soutenu l’ISL, notamment l’Atlético de Madrid qui a des parts dans un club basé à Kolkata.

Deux ligues plus complémentaires qu’il n’y parait

De son côté, l’I-League voit sa petite soeur réussir ce qu’elle n’avait jamais fait : faire de l’Indien moyen un supporter de stade. Pourtant, la ligue historique détient tout ce qu’il y a de plus important dans le football : un ancrage local. D’année en année, l’ISL perd du terrain et la I-League grandit. L’émulation autour de l’ISL est réelle et les gens se déplacent en masse dans les stades et ça profite à la ligue historique. Cependant, les structures de formations manquent toujours cruellement. Surtout que le plan marketing de l’ISL reste très axé sur les stars sur le déclin. La place des jeunes Indiens, même si elle est grandissante (obligation d’avoir 6 Indiens au lieu de 5 auparavant dans le XI de départ), reste marginale et les plans de formations ne semblent être qu’un gadget.

Une note de l’Asian Football Confederation est en train de chambouler une nouvelle fois le football indien. L’entité qui régit le football asiatique pousse la fédération à uniformiser son football pour n’avoir qu’une première division. Cette décision semble être la meilleure idée. L’ISL dispose de l’argent, des sponsors, de l’exposition télévisuelle ou encore des spectateurs. De son côté, l’I-League dispose de l’histoire, de l’appui local et de quelques centres de formations.

Miku, ancien du Rayo et plus gros salaire d’ISL. Crédits : Vipin Pawar / ISL / SPORTZPICS

Beaucoup avaient vu dans le lancement de l’ISL une ligue néfaste pour le football indien et dans ses premiers échecs un effet bulle qui éclate. Pourtant, près de 4 ans après son lancement, l’ISL est parfaitement intégrée et, si les premières ébauches du projet de fusion entre ISL et I-League aboutissent, devrait être la D1 indienne, l’I-League devenant la D2 de ce nouveau championnat unifié. Deux clubs du championnat historique appuyé par de nouveaux investisseurs devraient rejoindre l’ISL dans cette nouvelle disposition : Mohan Bangal et East Bengal de Borja Gómez et Alejandro Menéndez. Un premier club a déjà franchi le cap en quittant l’I-League pour l’ISL : le Bengaluru FC, un des plus beaux palmarès du pays qui a notamment disputé une finale de coupe AFC.

Au milieu de tout ça, pour gérer cette période de transition à East Bengal, Menéndez veut traduire le toque espagnol en version indienne et Gómez veut incarner l’homme de base de cette nouvelle aventure. Tout un programme ! A l’image de la Chine qui a investi sur des formateurs espagnols pour développer son programme lié au football de haut niveau, l’Inde veut profiter de l’expertise d’un technicien reconnu pour progresser. Encore faut-il mûrir ce projet, notamment en termes de structures et de formation, à tous les niveaux, joueurs comme entraîneurs. L’ambition est claire : l’Inde veut figurer parmi les places fortes du football en Asie. Gómez quant à lui montre que les clubs sont disposés à faire des efforts pour attirer des joueurs européens peut-être moins prestigieux mais capable de guider les joueurs locaux sur et en dehors du terrain.On pensait que la Chine allait devenir le nouveau géant du football mais l’Inde est disposée à combler son retard. Dans les deux cas, l’Espagne est un pilier de cette évolution.

Benjamin Bruchet 

@BenjaminB_13

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