Il y a des choix qui changent une vie. Fernando Rodríguez était un honnête footballeur oscillant entre la D2 et D3 espagnole. Sauf qu’à maintenant 31 ans, il est une idole en Indonésie et un roi aux Philippines. Portrait d’un footballeur particulier qui vit enfin son rêve.
La vie est remplie d’opportunités. Soit on les saisit en se mettant en danger avec la possibilité de changer de vie, soit on reste bloqué dans sa routine quotidienne. Avec le développement du football à l’international, les opportunités pour les footballeurs – même de petit niveau- se sont démultipliées. On peut citer les universités américaines qui démarchent des jeunes en CFA ou encore les clubs africains de haut rang qui font leurs courses en L2 ou National.
L’Espagne n’est pas épargné par cette nouvelle concurrence. Des perceptives plus que surprenantes sont maintenant offertes à énormément d’Espagne plus vraiment tout jeune. Ils ont fait le tour des D2 ou D3 et n’ont pas le niveau pour jouer plus haut, alors le Vietnam, les Phillippines ou l’Indonésie leur offre la possibilité de jouer en D1 avec un jolie salaire.
Recruté par un ancien du Betis aux Philippines
Fernando Rodríguez vivait une existence paisible jusqu’à son trentième anniversaire. Joueur modeste à avoir tout de même brièvement connu la Liga avec son club formateur du Séville, l’Andalou a cependant effectué la majeure partie de sa carrière entre la D2 et la D4. Le buteur n’est pas un tueur dans la surface, il passe rarement la barre des 10 buts en championnat et bourlingue beaucoup.
Son premier fait d’arme concret est à Carthagène. Fernando arrive en remplacement de Florian Taulemesse, auteur d’une flopée de buts. Là, c’est la révélation, l’ancien de Séville enchaîne les pions et devient un excellent buteur. Son physique est assez massif, Fernando est plutôt grand (1m83) et costaud. Cependant, il reste fin techniquement et assez mobile. Attaquant globalement complet, il marque notamment la seule et unique réalisation des siens face au Barça de Tata Martino. Le nom de Fernando est enfin sur toutes les lèvres!
Si son club ne monte pas, lui tente pour sa part l’aventure à l’échelon supérieur, en Segunda. Mais à Hercules et Reus, Rodríguez ne fait plus d’étincelles. En 2016, Carthagène monte et Fernando y repose ses valises. Les succès de la saison 2013-2014 sont loin. En décembre de la même année, il plie bagage, mentionnant une offre étrangère impossible à refuser. Celle-ci émane du club Philippin les Ceres Negro coaché par un ancien du Betis, l’éternel rival du Sevilla FC : Risto Vadikovic.
Un transfert qui tombe au bon moment
Risto est un personnage connu en Espagne. Il a été joueur puis adjoint au Betis, avant de devenir le second de Clémente, quand le Basque est s’est converti en le premier sélectionneur de la Serbie. C’est dans la péninsule ibérique que le natif de Sarajevo a fini sa carrière de joueur et commencé celle d’entraîneur. Le presque cinquantenaire a aussi, avant de poser ses valise aux Philippines, bourlingué au Honduras.
L’offre des Ceres Negros tombe au bon moment pour Fernando Rodríguez. Alors qu’il n’est clairement pas au mieux sportivement, l’opportunité de découvrir un nouveau pays (plus concrètement, une D1 avec un beau salaire) semble compliquée à refuser à son âge. De plus, quelques semaines après son départ de Carthagene, une plainte a été déposé contre lui pour exhibitionnisme : il aurait envoyé des photos de lui peu vêtu à une mineure. L’affaire ne va pas beaucoup plus loin, mais son club espagnol aurait été informé quelques jours avant que l’offre du club asiatique ne soit officielle. Le destin fait bien les choses par moment…
Champion des Philippines et saison historique en Indonésie
Risko, entraîne Ceres Negros depuis 2016, et fait marcher son réseau espagnol. L’entité est encore toute jeune mais elle reprend un héritage assez lointain, faisant d’elle une figure footballistique importante du pays. Rodríguez arrive en janvier 2017 aux Philippines, accompagné de Maranon, un autre Espagnol à la pointe de l’attaque. Pour sa première saison, Rodríguez marque plus de 20 buts en championnat (26 en 32 matchs TCC).
Maranon et lui forment un duo ultra performant qui va mener le club à se classer deuxième de la saison régulière. Une position qui permet au Ceres et à son armée d’Espagnols de disputer le mini tournoi, servant à adjuger le titre de champion des Philippines. Le club de Visko et Rodriguez est bien au dessus des autres, gagne l’aller et le retour de sa demie, avant de plier la finale 3-0 en 30 minutes. Rodríguez vit un conte de fées. Il commence à avoir de nombreux courtisans en Asie, en plus de jouir à nouveau d’une réputation intéressante en Espagne. De plus, Fernando a de solides performances avec son club en Coupe AFC, sorte de petite LDC asiatique. En moins d’un an loin de la maison, son destin a déjà basculé.
L’Indonésie et ses ultras, le second palier
On ne va pas se mentir le championnat philippin n’est pas coté en Asie, il survit grâce aux talents étrangers. On ne sait pas si le pays peine à trouver des talents localement ou si cette profusion de joueurs externes bloque la formation, mais dans les faits, c’est un championnat de faible facture. Après avoir fait parler de lui aux Philippines, Rodriguez a l’opportunité de franchir un petit palier en signant en D1 indonésienne.
Welcome to Mitra Kukar FC, Fernando Rodriguez Ortega! pic.twitter.com/fv5x1ojfaF
— Mitra Kukar FC (@MitraKukar) January 7, 2018
Là aussi, le championnat est assez discret – la sélection indonésienne est par ailleurs moyenne- et là aussi, il y a aussi un afflux important d’étrangers. En signant au Mitra Kukar, l’Andalou retrouve à nouveau un coach lié à l’Espagne : Rafa Berges. L’ancien latéral gauche, avait débuté sur un banc à Córdoba en remplacement de Paco Jemez. Sans grande réussite, il a quitté son Espagne natale pour rouler sa bosse en Indonésie. Mitra Kukar s’est appuyé ces dernières années sur différents attaquants étrangers qui ont toujours répondu aux attentes.
Sportivement le club ne va pas très bien. Malgré une armée d’ultras surnommée « Mitra Mania » qui suit le club partout, les résultats ne sont pas vraiment là. Berges a par exemple posé sa démission en cours de saison après une série de défaites. Juste au dessus de la zone rouge, le club de Mitra a dans ses rangs un numéro 9 précis qui le tient à flot. La petite forme de son club n’a aucun effet sur Rodríguez qui enchaîne les pions avec facilité. Avec 15 buts en 25 matches, il est tout simplement le deuxième meilleur buteur d’une Ligue hétéroclite où se côtoient Brésiliens ou encore Français (notamment Arnaud, un ancien du PSG et Faubert, notre légende).
Rodríguez a tout simplement marqué 44% des buts de son équipe en championnat. Celui qui donne régulièrement des interviews aux journaux espagnols tout en ayant sa photo dans la section de Marca dédiée au suivi des Espagnols en dehors des frontières du pays a atteint une certaine notoriété. Surtout qu’il raconte son quotidien de joueur dans un blog assez intéressant, même si plus vraiment alimenté. Rodríguezl n’est pas le premier espagnol a avoir posé ses valises en Indonésie, José Galan ayant tâté le terrain avant. Ce championnat à l’ambiance démentielle reste toutefois fragile. Fin septembre il a été suspendu deux semaines. Une situation déjà vécue il y a quelques années, et la Ligue n’avait jamais repris.
La carrière de Rodríguez est intéressante parce qu’elle est de plus en plus commune. Il y a quelques années, voir un joueur quitter son pays pour rouler sa bosse de la sorte constituait un destin impensable. Désormais, alors que de nombreux joueurs ont des sollicitations de ce type, ils n’ont plus peur de se lancer. L’exemple de Coureur, qui a construit sa carrière à l’Est et possède actuellement un solide réputation témoigne de ce phénomène. Le choix de Rodríguez est compréhensible : il a su saisir l’opportunité qu’on lui avait tendue. À 31 ans, il est dans la forme de sa vie, joue dans des stades pleins et gagne bien son pain. De quoi espérer encore viser un championnat un peu mieux coté ? On le lui souhaite.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13