Nombreux sont les jeunes footballeurs à quitter le nid très tôt pour s’épanouir et avoir leur chance à l’étranger. Outre le braconnage des équipes de jeunes qui est l’apanage des grands clubs, la Bundesliga est devenu la reine de la post-formation. Et les jeunes espagnols sont une denrée prisée par les clubs allemands mais pourquoi ? Explications.
Le pionnier s’appelle Dani Carvajal, la plus grande réussite Thiago Alcantara. Ces dernières années, de nombreux Espagnols ont signé en Allemagne. Les raisons sont multiples mais la plus importante semble être la facilité à avoir sa chance tout en étant dans un championnat sain et compétitif. Les clubs allemands semblent prendre le contre-pied de la Liga ou encore de l’Angleterre, favorisant la formation à l’achat compulsif de joueurs, quitte à bloquer l’éclosion de jeunes promesses. Dans la dernière liste de la Rojita, pas moins de 4 joueurs appelés sont passés par l’Allemagne. Pour la Roja, c’est 3 sans compter l’absence de Dani Carvajal.
Clause de rachat et indemnités peu élevées
L’idée qu’un grand club prête ou vende un jeune joueur suffisamment bon mais pas encore assez armé pour s’affirmer dans un effectif où le niveau qualitatif est élevé est une donnée connue en Espagne. Des clubs se sont même construits avec cette image de bon clubs formateurs. On peut citer l’Espanyol qui entretient depuis longtemps des liens étroits avec le Real Madrid. Le dernier exemple en date est Mario Hermoso, 23 ans, auteur d’un excellent début de saison avec les Pericos. Ces clubs réputés pour leur post-formation font parfaitement la jonction entre les équipes B, souvent en Segunda ou Segunda B, et la Liga accordant un palier supplémentaire aux jeunes en quête de temps de jeu et de progression linéaire. Un grand talent pour pas cher pendant une, deux, voire trois saisons : c’est bénéfique pour les trois parties. D’ordinaire en Espagne, ces mouvements ont pris un tour nouveau quand Dani Carvajal a débarqué au Bayer Leverkusen. Pendant un an, il s’est aguerri en Buli, est devenu une référence à son poste de latéral droit, avant de revenir à la Casa Blanca dans la peau d’un titulaire en puissance.
Changement de dimension
Le prisme a évolué. Il n’y a pas si longtemps, hormis une vingtaine d’équipes en Europe, les clubs ne pouvaient pas vraiment avoir de système de scouting important et n’étaient pas en capacité de poser plusieurs millions d’euros sur un jeune sans expérience. On se reposait donc sur sa formation locale et on essayait de saisir les opportunités amenées par un agent.
« Il y a un effet de mode. Raúl a relancé l’intérêt pour les joueurs espagnols en Allemagne, en plus des résultats de la Roja et de Guardiola ensuite » Côme Tessier, journaliste indépendant spécialisé Bundesliga
Or actuellement, les droits TV permettent à tous les clubs ou presque d’être structurés et en capacité de poser plusieurs millions sur un joueur, peu importe son âge. Tous, sauf peut-être les clubs espagnols qui ont eu du retard à l’allumage dans ce domaine. Alors que la plupart des championnats ont adopté une certaine équité dans la redistribution des droits TV, en Espagne, cette disposition est arrivée il y a très peu de temps et ses effets restent encore très peu perceptibles. C’est une donnée qui n’est pas propre à la Liga puisque la France a aussi du retard sur ses concurrents.
« C’est une tendance chez beaucoup de jeunes. A mon sens, de plus en plus de Français, Anglais et hispanophones vont en Allemagne pour progresser » Chloé, spécialiste football allemand chez Ultimo Diez
Cette faiblesse financière a donc contraint les clubs espagnols a bien souvent brader leurs jeunes ou, en touts cas, ne pas être capacité de refuser 5 ou 6 millions pour un jeune avec peu de références. Dans ces nouveaux deals, ce sont des clubs de même envergure qui discutent. On l’a vu cet été avec Aarón qui s’est envolé pour Mayence en provenance de l’Espanyol, Pablo Maffeo qui, après une saison concluante à Girona (il était prêté par Manchester City, ndlr) a privilégié un départ à Stuttgart, ou encore Jorge Meré qui en 2017 a quitté le Sporting de Gijón pour Cologne.
Mais pourquoi l’Allemagne ?
C’est une nouvelle passerelle qui est en train de se dresser et qui va dans un seul sens où presque. Les Espagnols sont habitués à devoir bouger pour avoir leurs chances et évoluer. D’ailleurs, cette migration de la péninsule vers l’Allemagne n’est pas circonscrite aux footballeurs puisque de nombreux jeunes diplômés tentent leur chance notamment à Berlin. La comédie « On marche sur la tête » (disponible sur Netflix) sortie en 2015 en donne d’ailleurs un certain aperçu. D’ordinaire, c’était la Premier League qui faisait figure de choix numéro 1 pour les candidats à l’exil. Moins ancrées dans leurs habitudes, plus attentives aux fortunes diverses vécues en Angleterre, les promesses espagnoles mettent le cap sur la Bundesliga car elle combine le haut niveau, la ferveur populaire et l’aspect financier.
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L’Allemagne et la Bundesliga bénéficient d’une image plus sage et mieux gérée que les clubs anglais habitués à naviguer à vue et à user de nombreux joueurs. Quand les échecs sont nombreux en Premier League, les réussites sont toutes aussi nombreuses en Buli. La possibilité d’avoir sa chance très jeune paraît plus importante qu’ailleurs. Récemment, Jadon Sancho au Borussia Dortmund et Mickaël Cuisance à Gladbach ont confirmé cette impression.
« C’est un bon rapport qualité/prix en général, sans trop de risques. Il y a un intérêt financier côté clubs et une garantie de temps de jeu côté joueurs » Côme Tessier
Les clubs allemands ne font pas de l’Espagne leur cible prioritaire mais un peu comme l’Angleterre avec la France, ils retrouvent plusieurs caractéristiques intéressantes pour un prix modique. Les footballeurs espagnols ont un niveau technique et tactique très intéressant, peut-être supérieur à ce qu’on peut trouver dans d’autres pays. Ils sont habitués à bien jouer au football et à être mis dans des situations de réflexion tactique. La rencontre entre les deux est logique et profite d’un concours de circonstances plutôt qu’à un souhait de se rapprocher. Une filière qui pourrait s’assécher vu le regain de vitalité des finances des clubs espagnols. Mais pour le moment, ce mariage de raison ne fait que des heureux.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13