Petit milieu de terrain frappé du numéro 10, Bardhi est un joueur enthousiasmant. Avec un ballon il est facile et semble capable de mettre sur les fesses n’importe quel défenseur. Pour ne rien arranger, il est un formidable tireur de coup franc. Il dispose donc de la panoplie parfaite pour conquérir le cœur de tous les amoureux du football. Cependant, à seulement 22 ans, Bardhi a déjà bien bourlingué et a connu pas moins de 4 pays avant de définitivement confirmer à Levante. Portrait et itinéraire d’un futur grand du football européen, entre Macédoine, Suède, Hongrie, Espagne et Albanie.
Enis Bardhi est un joueur intéressant. Il fait partie de ces manieurs de ballons qui accrochent le regard avec un dribble ou une accélération. Pourtant, ce n’est pas le plus grand sur le terrain, ni celui qui cherche le plus à se faire remarquer. Avec son 1m70 et sa capacité à faire des différences dans les petits espaces, il n’est pas le plus à l’aise dans l’équipe de contre que met en place Paco Lopez à Levante avec en star Morales. Pourtant, petit Bardhi est déjà un joueur monumental, à peine un an après avoir posé ses valises en Liga. Du haut de ses 22 ans, Enis Bardhi a déjà un nom qui impose le respect pour une chose : sa frappe de balle.

Copier, Skopje
Au départ pourtant, pas grand monde ne pouvait imaginer une telle destinée pour Enis Bardhi. Il est maintenant un des fervents représentants de la jeunesse footballistique macédonienne qui a tout pour soulever les foules en Europe. Lui fait lever régulièrement les espagnols, en particulier ceux qui s’assoient à la Ciutat de Valencia. Bardhi n’a marqué que 7 pions avec les Granotes. Un bilan faible, mais dans ce petit lot de caramel, 5 sont des coups francs. Que ce soit de loin, de près, excentré à droite ou à gauche, Enis Bardhi a un pied capable de faire mouche à chaque fois qu’il pose le ballon pour tirer un coup de pied arrêté.
« Je ne crois pas qu’il y ait un Albanais né à Skopje avec des familles albanaises qui ne voudrait pas jouer pour l’Albanie » Enis Bardhi, entre deux feux.
Le natif de Skopje, la capitale de la toute jeune République de Macedoine qui se cherche encore une identité et un avenir, a pas mal bourlingué avant de poser ses valises en Espagne dans une D1. Celui qui fait partie de la minorité albanaise résidant en Macédoine a été pré-formé dans le club de Skhupi. C’est ici que tout débute pour lui. Skhupi c’est Skopje en albanais. En Macédoine et partout en Europe de l’Est, football et politique s’entremêlent. Ce petit club, posé dans le quartier du Caïr, qui est une ville dans la ville se veut le représentant des Albanais de Macédoine.
Un itinéraire particulier, à l’image de son pays
Contrairement à d’autres Macédoniens qui ont fait leurs preuves en pro dans le championnat local avant de s’envoler pour l’étranger, Enis quitte le nid très tôt pour le Danemark et Brondby puis la Suède notamment à Helsingborg. Skhupi est un club mal géré englué dans une crise profonde quand Enis le quitte et Brondby n’est pas vraiment mieux loti. Bardhi n’a même pas 18 ans et se retrouve avec les U19 du mythique club danois. Rapidement, c’est un club suédois de seconde zone fondé par des locaux d’origines turques proche de la Macédoine qui lui fait confiance : Prespa Birlik en 2014.
« Ma famille était une famille normale, je m’entraînais toujours et j’avais toujours beaucoup d’aide de mes parents, qui ont toujours cru en moi, mon oncle était un très bon footballeur en Macédoine et j’ai toujours aimé le football depuis que je suis petit. Je voulais jouer au football et il m’a toujours aidé » Bardhi tombé dans la marmite de potion tout petit
Le parcours du maestro des coups francs ressemble vraiment à celui de son pays d’origine. La Macédoine est un petit territoire, une terre où les cultures et les religions se mêlent et se démêlent. Ce pays, héritier d’un nom mais privé du passé, a inspiré une salade qui mélange énormément de légumes. De nombreuses grosses entités ont des vues sur ce pays : la Grèce, la Serbie ou encore l’Albanie. Encore il y a peu, le pays était en proie à de vives tensions, la cause ? Un référendum pour modifier le nom du pays, de Ancienne République Yougoslave (ou ARY) de Macédoine en Macédoine du Nord. Un changement de syntaxe, mais surtout une possibilité de désamorcer des désaccords latents avec les grecs et offrir à la Macédoine une place dans l’UE et l’OTAN.
« Je suis allé en Suède avec un entraîneur qui savait jouer en troisième division, mais je ne pouvais pas jouer parce que j’étais mineur et j’avais des problèmes avec le passeport car la Macédoine n’appartenait pas à l’Union européenne » Bardhi, étudiant en Erasmus pas comme tout le monde.
Mais pourquoi parler de tout ça pour évoquer Enis Bardhi ? Parce que comme son pays, l’offensif de poche s’est longtemps cherché une place, un poste et un style. Avant de galoper tout en dribble chaloupé au pays du jamon, le Macédonien a connu les divisions inférieures en Suède et même le poste de central. Rien n’a été simple pour Enis avant de réussir à se faire une place au soleil. Surtout qu’au milieu de tout ça, ses origines albanaises auraient pu lui jouer des tours. Ensuite c’est l’absence de passeport européen qui lui complique la vie au petit Bardhi. Au Danemark puis en Suède, sa jeunesse combinée à cette identité macédonienne ne lui ouvre pas les portes de grand chose et complique sa percée. Comme beaucoup de jeune natif de Macédoine parti à l’étranger, Bardhi galère. Il n’a, par exemple, pas pu disputer une seule rencontre avec les jeunes de Brondby, et qu’un seul match avec les jeunes de Helsingborg. Sans Prespa, ce club suédois axé vers les minorités turques et macédoniennes, où serait Bardhi ? Personne ne le sait.

Malgré son parcours particulier, l’homme aux 25% de réussite sur CPA (le double de Messi NDLR) a toujours fait partie des équipes de jeunes de la Macédoine. Accompagné d’une génération exceptionnelle, il a été une des révélations de l’Euro U21 avec sa sélection. Pourtant de nombreux médias albanais se sont agités et ont fait part d’une volonté farouche de Bardhi de rejoindre la formation à l’aigle bicéphale. Des déclarations sont même sorties, forçant la fédération rouge et noire à démentir et affirmer que : « L’Albanie n’a jamais été intéressé par Bardhi ».
Un responsable albanais va même jusqu’à accuser Bardhi de vouloir devenir un héros albanais alors qu’il aurait toujours refusé les approches de la sélection, messages à l’appui. L’histoire se tasse et lors de la confrontation amicale entre Macédoine et Albanie joué loin de Skopje, officiellement pour sécurité, officieusement parce que le stade serait acquis à la cause albanaise, Bardhi porte le maillot orange de la Macédoine.
Ujpest, le poste de 9 et demi puis Levante, une histoire plus décousue
Enis n’est pas un joueur qu’on dompte facilement. C’est un combat pour le faire rentrer dans un moule et lui permettre de s’épanouir. C’est la Hongrie qui va lui offrir un poste taillé à sa mesure. Pourtant, les premières années sont compliquées pour l’offensif de poche, c’est ici qu’on le testera en central et en 6. Cependant, une chose nous frappe quand on le regarde, c’est ce coup de pied incroyable. Son touché est limpide et il trouve facilement la faille. Logiquement, Bardhi fait régulièrement tremblé les filets. Cependant, il n’est pas vraiment équipé pour tenir seul le poste de numéro 9. Et puis il est bien plus à l’aise loin des bois, dans le trafic.

A Ujpest donc, on lui accorde un poste hybride, entre numéro 10 et 9. Plus qu’un neuf et demi, il navigue, se projetant dans la surface tout en descendant très bas pour remonter les ballons et s’incruster dans les circuits de passes. C’est aussi là qu’on voit sa plus grande arme émerger, les coups francs. Comptablement, sa dernière saison au pays d’Orban est excellent avec pas moins de 12 buts en championnats et une palanquée de passes décisives. Surtout, il confirme à l’Euro Espoir de 2017 avec 2 buts en phase de groupes et notamment un bonbon exquis face au Portugal. Cette sélection de jeunes avait fait beaucoup de mal aux espoirs français lors des phases qualificatives.
Ses performances en Hongrie vont offrir à Bardhi une légitimité en plus d’un trophée. Une foule de prétendants se présentent pour récupérer le joyau qui n’a encore pas fini d’être poli. Le BVB est même fortement sur les rangs, sauf que c’est les Granotes qui viennent de remonter en Liga qui raflent la mise pour un peu plus d’un million et demi d’euros en 2017. La magie opère d’entrée, il affole les compteurs lors des rencontres de préparation en multipliant les coups-francs et confirme en matchs officiels. La folie Bardhi s’empare de Levante. Celui qui récupère le numéro 10 à Valence explique que c’est la confiance du coach et du DS des Granotes qui lui ont fait choisir ce club. Bardhi semble avoir besoin d’un cocon et de la confiance de tout le monde pour s’épanouir.
Ciel mon Bardhi
Cependant, le physique de Bardhi s’use un peu. Il enchaîne depuis pas mal d’années et devient un membre important de sa sélection. Une fatigue qui se ressent sur le terrain, Bardhi est moins virevoltant et devient malgré lui le symbole d’un Levante qui ne met plus un pied devant l’autre après un départ canon. Muniz, son entraîneur lui enlève sa confiance. Bardhi s’assoit sur le banc et des critiques émergent: et si Enis n’était rien d’autre qu’un formidable tireur de coup franc ?
Cette affirmation est outrageuse, et c’est un effet voulu. Il faut mettre en perspective d’où vient Bardhi et là où il est maintenant. Il est passé en 3 ans des divisions inférieures suédoises à la Liga et la sélection A. Une transition brutale qui peut faire perdre un peu pied à un garçon qui n’a même pas encore 22 ans. Là où regarder le contexte est aussi intéressant, c’est que le style Muniz a évolué. Les premières sorties de son Levante en Liga étaient intéressantes et animées par un Bardhi virevoltant. Mais dès que les premiers mauvais résultats sont apparus, il est revenu à une approche bien plus défensive.

Bardhi même s’il sait faire énormément de choses n’est rien de plus qu’un offensif moderne et polyvalent. La récupération et l’impact physique ne sont pas ses points forts. Là où il est intéressant, et on l’a vu en fin de saison dernière avec Paco Lopez, c’est qu’il est capable de parfaitement ressortir les ballons même sous pression. Encore cette saison, il n’est plus un choix numéro 1 après le changement de système de l’entraîneur des Granotes. Cependant quand Bardhi est sur le pré, Paco le met dans des conditions pour réussir, ce que ne faisait pas Muniz. Et Bardhi sait rendre la confiance qu’on lui accorde.
Fer de lance de la Macedoine à l’euro 2020 ?
Devenu un espoir reconnu en Europe, Bardhi est maintenant un leader naturel pour la Macédoine. Dans un pays qu’il a quitté très jeune, Bardhi ne profite pas de la popularité d’un Elmas mais reste apprécié. Son coup franc victorieux face à Getafe a été salué par tous, et l’imbroglio avec l’Albanie est mis de côté voir minimisé.
Il n’est pas le premier joueur macédonien à se revendiquer albanais et à jouer pour la sélection de Macédoine. A chaque fois, si le joueur est bon et se donne à 100% pour l’équipe, il est globalement bien reçu. Surtout que la Macédoine, qui dispute la dernière division de la Ligue des Nations, dispose d’une génération incroyable.

Pour les plus jeunes qui ont déjà émergé et sans citer Bardhi : Elmas qui est vu comme le plus grand talent au pays ou encore Osmanoski qui a joué ses premières minutes avec les A à 18 ans. Pour encadrer ces jeunes, des joueurs plus connus comme Nestorovski qui a fait forte impression à Palerme, Alioski qui prend de l’ampleur sous Bielsa à Leeds, Hasani qui a longtemps été vu comme un des Macédoniens les plus fort ou encore Ristovski qui est régulièrement titulaire au Sporting. Le guide et pionner Pandev est aussi encore là.
Ce groupe fort et intéressant vise sans vraiment l’annoncer une place dans le tableau final de l’Euro 2020. L’objectif est grand, mais les forces en présence laissent présager que cela est fortement envisageable. Ils n’avaient par exemple perdu que d’un but face à l’Espagne il y a un peu plus d’un an. La Macédoine a tout de la future équipe à suivre en Europe, les espoirs français s’en souviennent.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13