Ricardo Antonio Mohamed Matijevich, un patronyme long comme le bras ou le tour de ventre d’un homme aussi intelligent que totalement déjanté. En version courte ça donne Antonio Mohamed ou El Turco, il est l’actuel mister du Celta Vigo qui vécu un départ canon en Liga. L’entraîneur argentin qui a construit sa notoriété au Mexique est un personnage à part entière, présentation.
Os reís de las pintas de Antonio "el turco" Mohamed, entrenador del Celta de Vigo, pero yo veo una evolución muy positiva. pic.twitter.com/YSlbnzrkyy
— Usuario Arroba (@Mongolear) September 1, 2018
Il a fait sensation sur les réseaux sociaux pour son look, tout en classe et en costume, pourtant, réduire Antonio Mohamed à cela ne serait pas respectueux pour le grand bonhomme du football qu’on voit actuellement sur le banc du Celta. Bien sur, ce n’est pas un géant, ni même un grand mais c’est un pan important du football mexicain et un entraîneur intéressant qui a déjà accompli de belles choses. De Huracan, son premier et seul amour, en passant par l’un des plus grands bidonvilles du monde et ami intime du Cholo, présentation d’un Turco en Galice.
Nul n’est prophète en son pays
L’histoire commence à Buenos Aires, Antonio naît dans une famille aux origines Syno-libanaise et slaves. Son nom de famille était même le prénom de son père quand il est arrivé en Argentine, c’est l’Etat qui a procédé à la modification pour que ça devienne le nom de la famille. De son géniteur il récupérera aussi le surnom : El Turco. Ce surnom, il va devoir le mettre de côté au Celta, vu qu’il est déjà employé pour appeler le Deportivo, le rival de son nouveau club …
Antonio est un joueur offensif plutôt fin techniquement sans être un tueur dans le surface. Ce qu’on remarque quand on le voit c’est son physique. Antonio est massif, costaud et il a une fâcheuse tendance à prendre du poids. Dans plusieurs des clubs où il est passé, une clause fut même incluse dans son contrat avec une pesée régulière pour le contrôler. Cependant, El Turco est un malin : il truque les balances pour lui enlever 5 ou 6 kilos et rester dans les clous officiels. Sa carrière est aussi entachée d’autres polémiques : il est accusé de truquer des matchs pour des paris sportifs ou encore de ne pas avoir marqué délibérément contre son Huracan quand il était à Boca.
Avec son ami d’enfance, Diego Simeone, il écume les détections lorsqu’il est adolescent. Ils sont séparés, le Cholo reste à Velez, El Turco rejoint Huracan. Les deux amis restent en contact et s’affrontent en catégorie de jeune. Le Cholo raconte régulièrement une anecdote qui en dit long sur le caractère de Mohamed. Les deux hommes se rencontrent pour un titre en jeune, c’est Huracan qui mène et va battre Velez. Mohamed va donc voir son ami, et commence à le charrier et à chanter des chansons moqueuses dans son oreille ce qui a le don d’énerver Diego. Pour le Turco, il n’y a rien de plus important que la victoire, enfin presque. En Argentine, on le définit comme un joueur Canchero, terme utilisé pour caractériser les compétiteurs naturels.
Une explosion dans une équipe de gitans, au Mexique.
Antonio perce en pro dans l’équipe de son coeur, Hurracan. La seule qui a vraiment grâce à ses yeux. Après près de 100 matchs, un peu moins de 50 buts et auréolé d’une Copa America avec l’Argentine, il est recruté par la Fio. Comme beaucoup de joueurs argentins avant lui, la Serie A fait rêver et semble être l’Eldorado. Sauf que pour lui cela ne fonctionne pas, il est prêté deux fois au pays avant de rejoindre les Toros Neza au Mexique.
C’est dans ce club mythique, disparu depuis près de 20 ans que Mohamed entre enfin dans la légende. Pourtant rien ne prédisait une telle rencontre ni un tel résultat. Les Torros ne sont qu’une petit club de quartier avant qu’un concessionnaire qui a fait fortune avec des solutions innovantes de crédits ne le reprenne. Il met les moyens et fait arriver le club basé dans un des plus grands bidonvilles du monde à la D1 mexicaine.

Nezahualcóyotl, en banlieue de Mexico devient le théâtre d’une chose incroyable. Une bande de footballeur totalement barré va marcher sur la Liga MX et même disputer une finale. C’est ici, dans cet endroit si particulier qu’on voit émerger le vrai Mohamed. On l’appel El Turco mais on aurait pu l’appeler El Loco. A Neza il devient le leader du vestiaire et l’emblème du club. Le jeu de Neza est débridé mais ce qu’on retient c’est les avants matchs et les photos officielles. Dans ce qui a de plus neutre dans le football, Mohamed y introduit de la vie et de la joie.
Un jour, alors qu’il fait du shopping il dévalise un magasin de jouets de tous ses masques. Des achats qu’il va passer à ses coéquipiers qui vont les porter lors de ces photos officielles. Alors que les années 90 sont celles d’un retour à une certaine sobriété, les Torros prennent le contre pied. Après les masques ou les chapeaux de cowboy, les teintures : régulièrement les joueurs du club se teintent les cheveux avec une couleur spécifique. Le club ressemble à un club de vacances ou un camp de gitans où se mêle au quotidien du championnat : la fête, l’amusement et un peu de violence. Neza est totalement à l’image du quartier et El Turco s’y épanouit totalement.
Un avant et un après 2006
Mohamed a du mal à se poser, c’est un fait. Ces 5 ans passés dans la banlieue de Mexico sont la plus longue période qu’il aura passé dans un club en tant que professionnel. En 98, il quitte le club mais reste au Mexique. 5 ans après, à 33 ans il arrête sa carrière, à Zacatepec. C’est dans ce même club qu’il débute sur un banc dans le costume d’entraîneur.

Sa méthode est particulière et à l’image du joueur qu’il était. Il déteste les entraîneurs trop militaires, Mohamed pense que ses joueurs sont meilleurs quand ils s’amusent la semaine. Il ne leur demande qu’une chose, être à fond lors de chaque match. La méthode club med ne fonctionne pas vraiment au début, cependant tout va changer en 2006.
» Je continuerai à porter le chapelet sur le banc, mon fils m’accompagne toujours . »
Année de Coupe du Monde oblige, toute la petite famille de Mohamed fait le déplacement en Allemagne pour suivre l’Argentine. Après le quart de finale de l’Albiceleste, alors que la petite troupe file vers l’aéroport, une voiture rentre en collision avec celle d’Antonio. Tout le monde est gravement blessé, lui reste hospitalisé plus de 40 jours et passe proche de perdre sa jambe. Son fils, Faryd, de 9 ans, perd la vie.
Un événement qui le marquera au plus profond de son être. Il se réfugie dans le football, et ajuste sa méthode. Le football n’est plus un passe temps, Mohamed est maintenant animé par l’ambition de remporter des titres. Il était un roi sans couronne quand il était joueur, il veut corriger cela maintenant, pour son fils. Faryd le suit partout, il porte toujours son chapelet et a son nom tatoué sur son bras. Un nouveau Mohamed a émergé après ce drame, toujours déjanté mais animé par quelque chose en plus.
Une armoire à trophée qui prends de l’ampleur
A Huracan il fait remonter son club de coeur en D1 alors qu’il était revenu gratuitement pour le sortir de la crise. Ses équipes deviennent très compliquée à jouer et il tourne aux alentours de 40% de victoire. Après être passé par Veracruz et Colon il pose ses valises à l’Independiente. Avec le club d’Aguero, il remporte une Sudamericana, son premier trophée en tant que Mister. Pourtant cela se finit en eau de boudin après un conflit ouvert avec certains supporters.
Mohamed enchaîne les postes, 15 jours après son départ du club argentin, il pose ses valises à Tijuana qui vient d’être promu en D1. Avec un tout petit budget et un jeu qui va à l’opposé de ce qui se fait habituellement au Mexique, il remporte un Apertura, en 2012. Le nom de Mohamed commence à être très respecté et il est appelé « El Special » en hommage à Mourinho, un des entraîneurs qu’il apprécie le plus.

En 2014 il rejoint le géant America. Encore une fois, un passage couronné de succès puisqu’il soulèvera l’Apertura la même année. Il ne reste qu’un an dans le club et pose encore ses valises chez un autre géant, Monterrey. Toujours avec le même style de jeu, il y reste presque 3 ans et remporte encore une fois un Apertura. Le Mexique devient trop petit et l’Espagne lui tend les bras. Cependant Mohamed n’est pas vraiment vu comme un géant au pays des tacos, son style plus verticale fait tache dans un championnat où la possession est signe de domination.
Au Celta pour faire passer un cap au club
La rencontre entre Mohamed et le Celta est cohérente et intéressante. Le club galicien, depuis sa remontée, est un bon club qui recrute et joue plutôt bien mais qui manque de constance. Le club est habitué aux gros coups mais peine à garder un bon niveau toute la saison. Ces sauts de chaînes empêchent le club de passer un cap. L’arrivée d’un garçon comme Mohamed peut être déterminante pour le club comme l’a été celle de Berizzo.
Toto avait permis au club de se retrouver et de jouer des matchs dantesques de Copa Del Rey. Il a remis le Celta sur le carte de la Liga, Mohamed, lui, doit faire passer la seconde au club. Sur un plan tactique, il rompt avec le football de possession stérile d’Unzué et revient à une verticalité assumée. Pour Mohamed tenir le ballon n’est pas important, ce qui compte c’est les transitions : être dangereux offensivement sans détruire l’assise défensive. Sous El Turco, le Celta n’hésite pas à sauter des lignes. Il a aussi permis à Aspas d’être plus proche du but et à un Maxi Gomez de prendre de l’importance dans le jeu. Bien que les résultats ne sont pas totalement au rendez-vous, on voit de très bonne chose sur le pré.
Dans le jeu, les galiciens ont été habitué à bien jouer, c’est mentalement que le club a du mal. El Turco est un compétiteur. Par exemple, après ses débuts en fanfare où le Celta a remporté 7 points sur 9, le meilleur départ pour l’entité depuis un long moment. La réaction de Mohamed est surprenante : « Je m’attendais à ce que mon équipe ait neuf points, et non sept, donc je ne peux pas être heureux ». Une déclaration qui en dit long sur ce que veut faire l’argentin. En dehors des mots, on attend des résultats concrets. La victoire face à l’Atleti montre ce que le Celta peut faire mais c’est une habitude du club, de faire des gros coups. C’est sur la défaite face à Girona ou encore lors de son nul face à Valladolid que l’on attend le Turco. Armé de son chapelet blanc qu’il porte à la mémoire de son fils, Mohamed est face à un projet important, mais il semble avoir le caractère pour.
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13