Laurent Viaud (SCO Angers) : « Avec Rafa Benítez, les séances tactiques étaient longues mais ça nous servait tellement qu’on était content de les faire »

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Entraîneur des U17 du SCO Angers, Laurent Viaud connaît bien l’Espagne puisqu’il a évolué à Extremadura et Albacete puis effectué son stage de formateur à Villarreal où vient de signer Karl Toko-Ekambi. Champion de France avec Monaco en 1997, le milieu défensif a côtoyé un certain Rafa Benítez avec qui il a ensuite travaillé comme recruteur à Liverpool. Pour ¡Furia Liga!, il revient sur son expérience de joueur de l’autre côté des Pyrénées et évoque la politique de formation dans les deux pays. 

Vous vous occupez de jeunes dans un centre de formation, vous connaissez à la fois la France et l’Espagne. Quelles sont les différences de travail entre les deux pays ?

C’est vrai qu’il y a pas mal de temps, la formation en France était renommée. Mais avec les succès des différentes sélections espagnoles, on s’est forcément posé pas mal de questions. En termes de formation athlétique, on fait davantage de choses avec ballon. Quand j’ai passé mon formateur, j’ai fait mon stage à Villarreal et je m’inspire beaucoup de ce que j’ai vu là-bas, avec des toros par exemple. Ce qui prime pour moi au niveau des jeunes, c’est la technique. Ça c’est la base. Si on veut vraiment jouer au foot, il faut que les gamins aient un traitement du ballon intéressant.

Après 1998, la formation à la française était à la mode. Ça a été ensuite l’Espagne puis l’Allemagne qui a combiné les deux.

Exactement. Et puis maintenant, il y a les Anglais qui commencent à très bien marcher. Au dernier tournoi de Limoges, ils ont explosé tout le monde. On a un garçon du SCO qui y était et qui nous a dit que l’Angleterre c’était vraiment bien.

On a l’impression que depuis plusieurs saisons, les Anglais s’inspirent de l’Espagne.

Bien sûr et puis la base de tout dans le foot c’est qu’on soit à l’aise techniquement. Je ne conçois pas le football si c’est juste pour jouer les seconds ballons et toujours rester dans le combat physique. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. C’est ce qu’on essaie de mettre en place à notre niveau à Angers.

On peut établir de nombreux parallèles entre les titres en 1998 et 2018, notamment au niveau de la rigueur défensive et de la présence d’une colonne vertébrale inébranlable. Est-ce qu’au niveau des jeunes, on peut revenir 20 ans en arrière parce que, finalement, c’est comme ça que les Bleus ont conquis 2 étoiles.

On s’est beaucoup adapté à nos adversaires et puis devant on avait des individualités pour faire la différence. Mais on ne peut pas dire qu’on va s’inspirer de ça pour la formation. Déjà, parce que ce n’est pas ma façon de faire. Je préfère être maître de ce qu’on fait que de m’adapter à ce qu’on a en face, qui plus est chez les jeunes, d’autant qu’on n’a pas les moyens d’observer nos rivaux. Si on attendait le match pour nous adapter, ce serait encore plus compliqué.

Est-ce que vous constatez un changement des mentalités ces dernières années en Ligue 1. Cette saison par exemple, on voit que Nîmes a fait le pari du jeu pour se maintenir plus que de blinder.

C’est toujours pareil, on est dépendant des joueurs à disposition et des moyens. Nous, chez les jeunes, c’est facile de mettre en place quelque chose. Mais quand on est au haut niveau, comme ça peut être le cas d’Angers, l’objectif c’est de rester en Ligue 1. On n’a pas toujours les moyens d’avoir des joueurs qui font la différence donc être très bon collectivement et solide défensivement. On ne peut pas s’inspirer de l’équipe première, hormis sur les principes de jeu. Sur la façon de jouer, l’équipe pro n’a pas les mêmes impératifs que nous. Au niveau du centre de formation et de la réserve, on a un système mais on ne peut pas copier ce que font les pros. Quand tu joues le PSG ou Monaco, tu dois t’adapter, tu ne peux pas jouer de « tú a tú » pour t’en sortir.

 

Benítez nous disait « si vous faites ce que je vous demande, ça me va. Si ensuite vous êtes capable d’apporter un plus, c’est parfait »

Vous avez été champion de France en 1997 avant de partir une saison en Rennes. En 1998, vous signez à Extremadura, un petit club de Liga. Comment vous débarquez au fin fond de l’Espagne ?

Il y avait eu un changement d’entraîneur à Rennes et je sortais d’une saison moyenne. Le nouveau coach ne comptait pas trop sur moi, je ne jouais pas trop donc en décembre j’ai décidé de partir.

Et à Extremadura, vous découvrez un entraîneur en début de carrière : Rafa Benítez.

Rafa faisait avec les joueurs qu’il avait à disposition. Ça rejoint ce que je disais sur Angers. Il fallait qu’on soit au point tactiquement pour contrecarrer les plans des adversaires. On avait un gros travail sur tout l’aspect défensif, on était très bien organisé et tout le monde savait ce qu’il y avait à faire sur le terrain. Ensuite, il a été dans de grands clubs où il a pu faire encore mieux en étant parfaitement organisé tout en bénéficiant de joueurs plus techniques.

Cette force tactique lui a permis de remporter la Liga en 2002 et en 2004 et de soulever la coupe de l’UEFA en 2004 avec le Valencia CF avec une équipe de très haut niveau mais qui brillait principalement sur le plan collectif avec beaucoup de sérieux et du caractère.

Il avait des joueurs comme Kily González, David Albelda, Roberto Ayala, des profils comme ça ce n’est pas comme à Extremadura (rires). C’était une autre dimension ! Le sérieux et le caractère, c’est la clef  pour un entraîneur. Il connaissait les joueurs qui voulaient aller dans son sens. Ça s’est mal passé au Real Madrid parce qu’il y avait déjà un effectif en place et il fallait que les joueurs adhèrent à son idée de jeu. Ce n’était pas évident.

En quoi consistait un entraînement avec Rafa Benítez ?

Il y avait beaucoup de ballon ! Les séances tactiques étaient relativement longues et ce n’est pas spécialement ce que les joueurs préfèrent. Mais honnêtement, ça nous servait tellement en match qu’on était content de les faire. Il nous disait « si vous faites ce que je vous demande, ça me va. Si ensuite vous êtes capable d’apporter un plus, c’est parfait ». A Extremadura, ça nous correspondait. Franchement, on était une équipe limitée, il fallait vraiment que chacun soit opérationnel à 100%.

Benítez était du genre proche de ses joueurs ou instaurait-il une distance ?

Il parle beaucoup avec ses joueurs. Vu de l’extérieur, il a cette image de professeur qui n’est pas forcément vraie. Cependant, quand il est arrivé dans le vestiaire du Real Madrid, je ne sais pas le traitement qu’il a reçu, mais il a été contraint d’évoluer. La manière de fonctionner est forcément différente avec Extremadura et avec une star comme Cristiano Ronaldo. En plus, il a signé à un mauvais moment, juste après Carlo Ancelotti qui était apprécié de ses joueurs. On a bien plus entendu les sceptiques de Benítez que ses partisans. Mais à l’époque, il était très proche de nous.

Crédits : hoy.es

Vous étiez milieu défensif, donc vous savez bien que quiconque le rôle clef du numéro 6 chez Rafa Benítez…

Ce poste a toujours été son cheval de bataille. Il faut se souvenir qu’au Real Madrid, beaucoup se plaignaient qu’il fasse jouer Casemiro mais le Brésilien a continué à jouer avec Zinedine Zidane, c’est lui qui leur faisait du bien et on disait que c’était fantastique. Ce que faisait Rafa c’était si mauvais qu’ils ont continué de jouer avec Casemiro ! Vous savez, on ne peut pas plaire à tout le monde et quand vous avez un a priori défavorable c’est très compliqué de faire changer d’avis. Zidane a joué avec Makelele et il savait qu’il avait besoin d’un tel joueur pour que les autres brillent.

Vous avez une relation privilégiée avec Rafa Benítez. Après la fin de votre carrière, il vous a appelé pour devenir recruteur à Liverpool en 2006.

Le pire dans tout ça, c’est qu’il a été mon entraîneur pendant à peine 6 mois ! Le courant est bien passé entre nous. Quand il n’avait pas de club, j’ai continué à l’appeler régulièrement pour prendre des nouvelles. Ensuite, il est parti à Tenerife et on est toujours resté en contact, encore aujourd’hui. Comme quoi, il ne faut pas spécialement beaucoup de temps pour apprécier les gens.

Vous étiez en charge de quelles zones ?

Je m’occupais de la France, de la Belgique, des Pays-Bas. Pour la France, c’était surtout pour les jeunes. Lui et le responsable du recrutement Eduardo Macià (ancien joueur qui avait travaillé avec Benítez à Valencia, actuellement à Leicester, ndlr) me demandaient d’aller voir des joueurs susceptibles d’intégrer l’équipe première. Je m’organisais aussi pour voir des matches de jeunes et je rentrais toutes les informations dans la base de données du club.

On se pose souvent la question du maillage en termes de recrutement. Par exemple, le Celta est actuellement très performant dans les pays nordiques. Est-ce qu’à niveau égal, la Ligue 1 peut lutter dans la même cour ?

Ce qui est sûr, c’est que quand il s’agit d’un international, on ne peut pas lutter. Dans des clubs comme Angers, il faut aussi que le joueur soit capable de s’adapter rapidement et qu’il soit immédiatement opérationnel. Quand c’est un étranger, il y a toujours un laps de temps nécessaire pour qu’il se mette au niveau. Du coup, c’est un peu plus compliqué pour les clubs de deuxième zone.

Est-ce que cette crainte réside principalement dans l’aspect physique ?

Je ne pense pas. C’est surtout dans la façon de jouer et à la vie tout simplement. Ce n’est pas toujours évident de s’habituer à un nouveau quotidien, à la langue. C’est forcément un changement brutal.

On me disait que là où j’habitais, c’était le village le plus vilain d’Espagne. mais j’y ai connu une chaleur humaine que je n’ai plus retrouvé.

Après Rafa Benítez, vous avez eu un entraîneur qui a effectué plusieurs passages par Extremadura…

Avec Josu Ortuondo, on faisait moins de tactique mais en fait on avait la même ossature que la saison précédente et il s’est beaucoup appuyé là-dessus. La saison a été très compliquée, au bout de 6 mois on était condamné.

Vous parliez de l’adaptation à un nouveau contexte, à la fois sur et en dehors du terrain. Passez de Rennes à l’une des régions les plus arides et les plus pauvres d’Espagne, ça doit faire un sacré choc !

Quand je suis arrivé là-bas, j’ai pris peur (rires). Mais ça a été la meilleure expérience de vie que j’ai pu avoir dans toute ma carrière. Au niveau de la mentalité, j’ai été très bien accueilli. On me disait que là où j’habitais, à Almendralejo (à 30km au sud de Mérida), c’était le village le plus vilain d’Espagne. Mais j’y ai connu une chaleur humaine que je n’ai plus retrouvé.

Est-ce que votre titre de champion de France avec Monaco en 1997 a facilité les choses ?

Non je ne pense pas. Je ne jouais plus à Rennes et de toutes façons, personne ne me connaissait. Ils ne s’intéressait pas au championnat de France là-bas. Ceux qui étaient connus à Monaco, c’étaient les Thierry Henry, David Trezeguet, Enzo Scifo. Je n’avais aucun statut.

Après 2 ans à Laval entre 2000 et 2002, vous revenez en Espagne, cette fois-ci à Albacete.

Je suis arrivé quand le club était en Segunda, on est monté et j’ai disputé mes deux dernières saisons en Liga. Là aussi, j’ai passé 3 superbes années. Vraiment, j’adore l’Espagne !

Comme Extremadura, Albacete était un club qui jouait soit la montée soit le maintien en Liga. Comment se prépare-t-on à disputer une saison au cours de laquelle on sait qu’on va souffrir ?

Mentalement, on le sait dès le début. Alors on essaie justement que sur les détails, surtout sur les phases arrêtées où on ne soit pas surpris. Il faut être au point tactiquement et avoir un engagement total. Entre 2002 et 2004, j’ai eu César Ferrando comme entraîneur, puis José González qui était à Málaga la saison dernière. Lors de notre première année en Liga, on se sauve relativement facilement, à 4 journées de la fin. La seconde a été plus difficile parce que Ferrando est parti à l’Atlético de Madrid, on a changé de coach et ça s’est compliqué.

Il y a une belle afición à Albacete.

Absolument, il y avait du monde mais un peu comme dans toutes les villes d’Espagne quand vous montez en Liga, ça attire davantage. Après, il faut savoir maintenir l’affluence parce qu’on s’habitue vite à un certain confort.

Toko-ekambi a le style pour réussir en Espagne. C’est un joueur capable de prendre les espaces, comme Bakambu, Bacca ou Rossi

Vous avez fait votre stage de formateur à Villarreal, vous êtes en charge des U17 du SCO Angers, on ne pouvait pas finir cette interview sans évoquer Karl Toko-Ekambi qui vient d’arriver chez le Sous-marin jaune. On le compare déjà à Cédric Bakambu…

Je le lui ai dit à Karl quand j’avais discuté avec lui : il a le style pour réussir en Espagne. C’est un joueur capable de prendre les espaces, comme Cédric Bakambu, Carlos Bacca ou Giuseppe Rossi. Il peut enchaîner les courses et en plus il évolue dans une équipe qui joue au foot. Villarreal, c’est vraiment un bon club pour lui parce qu’il va progresser, d’autant qu’il est jeune, à peine 24 ans.

Angers l’a très bien vendu : 18 millions d’euros ! C’est un gros investissement pour Villarreal et aussi un gage de confiance de la part du club et du coach Javi Calleja.

Je ne l’ai pas côtoyé dans le travail quand j’y étais mais ça correspond à la philosophie de l’équipe première. Villarreal ne prendra jamais un entraîneur qui prend le ballon et tape devant. Ce n’est pas comme d’autres clubs qui choisissent un coach qui ensuite fait à sa sauce. Il y a une façon de faire à Villarreal et les dirigeants prennent quelqu’un qui colle à leur ambition. C’est un club familial mais avec l’argent investi par la famille Roig, il faut quand même avoir des résultats.

Cette stabilité leur a permis de remonter en Liga sans trop se faire peur après une seule saison en Segunda.

C’est parce qu’ils ont des certitudes sur la formation. Quand vous voyez qu’ils ont 50% de canteranos dans leur effectif, ça veut bien dire quelque chose, dans la formation comme dans la captation. Et faire monter l’entraîneur de la B, ça permet aussi de ne pas avoir peur d’aligner les jeunes puisqu’il les connaît déjà.

Est-ce que ça manque en France un tel suivi dans les gros clubs, à la fois pour la progression des joueurs mais aussi pour développer la philosophie de jeu ?

Quand votre réserve est en National 3, le fossé avec la Ligue 1 est beaucoup trop grand. Par exemple, le Barça B, les joueurs se sont aguerris la saison dernière, ça leur a permis de progresser rapidement. Ils sont descendus et maintenant ils sont en Segunda B qui reste d’un bon niveau. Ils savent ce que vaut le niveau de la deuxième division, même si ça me semble trop haut. En même temps, en Espagne c’est spécial puisque les équipes B sont autonomes avec un budget à part. C’est quasiment un club dans le club. Mais je pense que les clubs français devraient être autorisés à mettre leurs réserves en National. J’en suis vraiment persuadé.

Propos recueillis par François Miguel Boudet

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