Alors que Luis Rubiales a surement marqué des points en compagnie du président du gouvernement espagnol et celui de la FIFA, son avenir se joue peut-être dans un tribunal valencien.
Il existe une directive que s’est donnée la Liga selon laquelle tout match peut se disputer jusqu’à une température de 32 degrés. Sous le soleil jugé acceptablement chaud selon les décideurs, les footballeurs triment en ce début de saison. Ils tirent la langue pendant les 22 minutes séparant chaque pause boisson, blâment les horaires, agitent maladroitement la menace d’une grève pour se faire entendre, pendant que leurs dirigeants eux, s’écharpent dans l’ombre des bureaux. La meilleure Liga du monde (un terme qui commence à être utilisé avec une ironie grandissante) perd de sa superbe sur le terrain de la crédibilité, mais pas sur celui des feuilletons qui lui sont si chers : Martin Presa contre la communauté de Madrid pour la remise en état du stade du Rayo, Tebas contre Rubiales et le gouvernement concernant les matches aux USA, et puis plus récemment, Rubiales contre Galán pour une histoire à fort potentiel juridique.
Du pareil au même ?
Miguel Ángel Galán, c’est ce président du centre national de formation des entraîneurs dont on a déjà esquissé le portrait et les motivations. Initier la chute de Luis Rubiales de son piédestal comme il a précédemment initié celle de José María Villar est son combat. Pour lui, en haut de la pyramide footballistique espagnole, rien n’a changé. Une assertion ratifié par José Ramón de la Morena, célèbre journaliste du pays : « Villar entre en prison. Rubiales fait partie du conseil d’administration de Villar. Il connaissait presque toutes les escroqueries de Villar et de Padrón [ndlr. ex-président de la RFEF imputé lui aussi pour corruption]. Et maintenant il arrive comme s’il avait été quelqu’un qui a nettoyé tout ça, alors qu’il a été quelqu’un qui a tout sali. Et pis encore, il reste un ami intime de Padrón« . Si ces déclarations sont virulentes et peuvent faire penser à un règlement de compte de la part d’un journaliste ayant toujours été un détracteur absolu de Villar, elles sont appuyées par des faits saillants. Car Rubiales et Villar sont des proches.
Faisant partie du conseil d’administration de la Fédération espagnole de football (RFEF) pendant six années de l’ère Villar, Rubiales soutenait le chef en faisant du militantisme auprès des capitaines de première et deuxième division. Nul doute que les joueurs présentent un intérêt, certains d’entre eux ayant été élus au sein de l’assemblée générale de la Fédération, ce qui leur confère donc un droit de vote lorsqu’il s’agit d’élire le président. C’est le cas par exemple de Pedro León, de Miguel Ángel Moya, ou encore de Iago Aspas. Rubiales profitait de l’accès qu’il avait aux sportifs grâce à son poste de président de l’association des footballeurs (AFE) pour faire campagne en faveur de Villar.
Sa loyauté affichée, Rubiales était considéré par Villar comme son dauphin. En 2017, il se murmurait avec une insistance assourdissante que Villar avait eu l’idée de préparer sa sortie en nommant Rubiales comme vice-président de la Fédération. Puis en démissionnant à la suite de cette nomination, il lui aurait laissé le champ libre. Mais Rubiales avait refusé, sans pour autant que l’estime de Villar à son égard ne décroisse. D’ailleurs, quand sept présidents de fédérations territoriales avaient été imputés pour les mêmes causes que Villar (corruption), ces derniers avaient soutenu Rubiales comme candidat au poste de président de la Fédération, mettant ainsi en évidence la possible continuité d’un modèle taillé pour le clientélisme.

Coup de poing à une architecte
Au-devant de ce trouble fonctionnement, Miguel Ángel Galán a décidé d’agir. En décembre 2017, une plainte est déposée contre Rubiales, alors président de l’AFE, par Yasmina Eid-Macheh. Cette architecte l’accuse de l’avoir frappé dans l’estomac ainsi que dans les côtes (avec la porte d’un taxi) en juillet 2017. À l’origine de cette querelle, une dette de 120.000 euros contractée par Rubiales auprès de l’architecte, chargée de la rénovation de sa maison. Un peu limité financièrement, Rubiales demanderait à Eid-Macheh d’avancer l’argent pour payer les ouvriers et les matériaux, ce qu’elle fera. L’ancien joueur de Levante cherche ensuite une manière de la rembourser sans se creuser les poches.
Il fait à Eid-Macheh la promesse suivante : ce sera elle qui sera chargée de construire la « maison du footballeur », un projet de neuf millions pour le compte de l’AFE (dont Rubiales est le président à l’époque, rappelons-le). Le dirigeant ne s’embarrasse pas de l’organisation d’un concours public comme l’exige la pratique, pour déterminer quels seront les architectes qui mèneront le projet à bien. Il affirme que de toutes façons, Eid-Macheh gagnera le concours. Un premier versement de 28.000 euros de la part de l’AFE est donc fait à l’architecte, à titre de début du projet de cette « maison du footballeur ». En somme, pour elle, c’est une sorte de compensation réglée par l’AFE pour le non-paiement des 120.000 euros qui lui sont dus. Solde d’une dette privée par une association publique, les manigances règnent. Mais le 18 juillet 2017, jour où Villar est destitué de la présidence de la Fédération, la situation se complique. Rubiales somme sa créancière de rendre l’argent.
Lorgnant sur le poste de président de la Fédération, il souhaite effacer les traces de l’argent de l’AFE versé à Eid-Macheh, selon le journal El Mundo. Il souhaite aussi lui retirer le projet de la « maison du footballeur », car la presse pourrait opérer le rapprochement entre le fait que l’architecte personnelle de Rubiales soit celle chargée du projet de l’AFE. Face à la négative de cette dernière, le ton monte et c’est là que l’affrontement physique a lieu. En plus de la plainte pour violences physiques, une plainte pour non-paiement de dette est déposée au tribunal. Toujours au front pour purger la Fédération de ses professionnels des affaires, Miguel Ángel Galán lui, s’empare du cas dès que celui-ci parvient à ses oreilles. Conscient du poids des pièces qu’il a rassemblées, il choisit d’attendre que l’élection à la présidence de la RFEF se fasse afin qu’on ne puisse pas lui reprocher d’avoir voulu la perturber.

Payer sa maison privée avec de l’argent de l’AFE
Galán interroge par téléphone Eid-Mecheh et s’entretient avec elle et son mari en privé pour que les faits lui soient racontés. Les deux fois, il enregistre secrètement les conversations. Là encore, il est question de corruption selon les dires de l’architecte. Elle lui détaille comment Rubiales aurait proposé de la payer :
« Il nous a dit que la seule manière d’être payés pour sa maison, c’était au-travers des honoraires de la « maison du footballeur ». 40% des honoraires de la « maison du footballeur » lui seraient destinés [ndlr. destinés à sa maison donc].
– Donc en échange de faire la « maison du footballeur » et qu’il te paie tes honoraires, toi avec cet argent tu le lui redonnais pour qu’il paie sa maison personnelle ? C’est ce que je comprends.
– Oui, mais il ne nous l’a pas dit au début. Il nous l’a dit quand sa maison était presque terminée et et que nous en avions avancé la totalité ».
Et voilà qu’en plus des deux précédentes plaintes s’ajoute une troisième, déposée par Galán pour gestion déloyale. La justice a été saisie, on dépasse le cadre des simples accusations lancées au détour d’un débat ou d’une intervention radiophonique. Les enregistrements ont été remis au juge qui les a considéré comme des pièces à conviction. Mercredi, Eid-Mecheh (qui se retrouve malencontreusement au milieu d’un scandale à proportions énormes) et Galán ont témoigné devant le magistrat, pendant que Rubiales était en compagnie du président de la FIFA et du chef du gouvernement espagnol à Madrid.
Si les chefs d’accusation concernant la violence physique exercée et celui concernant le non-paiement des factures devraient inculper Rubiales (présence d’une témoin sur la scène des violences et rapport médical effectué), celui concernant la gestion déloyale peut prendre deux voies différentes. L’affaire peut soit être classée en raison d’un manque de preuves, ou alors, Rubiales peut être imputé pour gestion déloyale. En attendant, à la différence de la maison de son président, le football espagnol n’en a pas fini avec sa restauration.